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Haiti : Prorogation ou redéfinition du mandat de la MINUSTAH

Débat

Par Pierre-Richard Cajuste [1]

Soumis à AlterPresse le 17 juillet 2006

Le 15 août 2006, le Conseil de Sécurité se penchera sur le renouvellement du mandat de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH). Celle- ci est passée d’une force de rétablissement de l’ordre à une force de stabilité et de maintien de la paix. Ce serait, vraisemblablement, une opportunité pour Haïti de redéfinir le mandat de la force onusienne dans le pays.

Ce renouvellement se fera dans un contexte très particulier et très serein. Un président est démocratiquement élu, un gouvernement en fonction selon les normes constitutionnelles, un apaisement relatif des tensions politiques et une politique de réconciliation nationale. Cela mérite d’être consolidé. C’est le moins qu’on puisse dire. Malheureusement, on assiste depuis quelques semaines à une certaine détérioration du climat sociopolitique.

La résurgence de l’insécurité est telle qu’on craint un retour en arrière. Les nombreux morts enregistrés dans le quartier de Martissant (sud de la capitale) et la recrudescence des cas de kidnapping rappellent l’escalade de violence enregistrée au cours de la transition. L’impuissance des forces de police nationale et de la Minustah à combattre cette insécurité est patente.

Selon René Préval, l’insécurité est liée au banditisme, à la drogue et à la situation socioéconomique précaire du pays. Elle n’aurait pas une connotation politique. De l’avis d’autres secteurs, l’insécurité serait d’abord politique. Rechercher ses causes profondes, nécessiterait un débat national.

Quelle que soit l’explication fournie autour de ce fléau ayant déjà causé tant de torts à la famille haïtienne, il s’avère plus qu’urgent de le traiter dans toute sa complexité. Il est venu le temps de mettre sur la table la réforme de la police, de la justice et des prisons. Ces changements doivent être accompagnés de programmes sociaux avec pour objectif, dans un premier temps, de réduire la pauvreté dans le pays.

Une psychose de peur légitime est en train de s’installer parmi la population. Les gens ont constaté la faiblesse des forces de sécurité et le désengagement de la force internationale sur le terrain. Rongées de désespoir, toutes les couches sociales se posent des questions sur la vraie mission de la MINUSTAH dans le pays.

Cette réunion du 15 août offrira- t-elle l’occasion au gouvernement de négocier une redéfinition du mandat des troupes de l’Onu sur le terrain ?

Il est quelque peu difficile pour la mission onusienne de s’adapter à la nouvelle donne. Les forces internationales, traditionnellement, s’occupent du rétablissement de l’ordre, du maintien de la paix et de la stabilité politique. La lutte contre le banditisme et les crimes ont une toute autre caractéristique, c’est l’affaire des forces de police spécialisées.

La Minustah est foncièrement composée de militaires. Elle n’est pas appropriée pour mener des opérations de police. D’ailleurs, cela n’entre pas dans la définition de son mandat. Le rétablissement de l’ordre dont font mention les résolutions 1529 et 1542, signifie ordre institutionnel et /ou étatique. Ce dont Haïti a besoin maintenant est moins de militaires et plus de policiers. Cependant, il est très difficile de trouver des Etats membres disposés à fournir des contingents de police. C’est une espèce très rare. A titre d’exemple, une ville comme New York lance plusieurs concours pour recruter des policiers. Le militaire est plus disponible.

Le président de la République a exprimé le voeu que des changements soient opérés au niveau de la Mission. « les chars blindés de la MINUSTAH doivent être remplacés par des tracteurs, des bulldozers, engagés dans des travaux d’infrastructures », eut-il à dire. Le président de l’Assemblée nationale, Joseph Lambert, a abondé dans le même sens. Cette tendance à vouloir transformer la MINUSTAH en un instrument de développement, dans cette conjoncture, ne doit pas effacer l’aspect sécuritaire. Cela risque d’entraîner un désengagement des Etats membres de l’organisation mondiale et aussi de créer un vide difficile à combler par la police nationale.

René Préval, dans une interview accordée au journal Le Monde lors de son passage en France à la fin du mois de juin 2006, a déclaré : « Le gouvernement doit être plus présent. La Minustah devra travailler non seulement en accord avec le gouvernement, mais je
dirai presque sous la supervision du gouvernement, de l’Etat haïtien.
Nous allons discuter avec eux pour savoir de quelle façon ils
pourront aider au renforcement de la police et de la justice. »

La réforme de la police et de la justice représente un aspect important pour Haïti. La lutte contre l’insécurité dépendra en grande partie du succès des réformes initiées avec l’approbation du gouvernement. L’expérience dans des pays comme Kosovo, Timor oriental, a démontré que la préparation d’une force de police prend généralement un temps considérable.

Haïti représente un cas spécifique. Actuellement, le pays ne répond pas exactement au cas classique d’un Etat en conflit puisqu’il n’a pas été question de guerre civile, ni de génocide. Dans l’ordre « normal » des choses, il est très difficile pour l’ONU de trouver un « success story ».

L’expérience a prouvé que la majorité des Etats ayant connu des conflits retombe dans des crises quelque temps après le départ des forces de maintien de la paix des Nations Unies. A titre d’exemple on peut citer les cas d’Haïti après le retour à l’ordre démocratique en 1994, du Burundi, de Sierra Leone. C’est dans cette optique que la communauté internationale a jugé bon de créer le 20 décembre 2005, la Commission de Consolidation de la Paix, organe consultatif intergouvernemental, établi conjointement par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité chargé, d’aider les Etats et les sociétés à franchir le passage qui mène du conflit à la paix. (Réf. Résolution 60/180 et 1645/2005).

L’idée pour la communauté internationale est de créer un cadre institutionnel pouvant réunir au sein d’une même structure les agents chargés du maintien de la paix et ceux impliqués dans la phase de redressement économique. Cet organe subsidiaire du Conseil a pour rôle fondamental de consolider la paix et la stabilité politique dans des Etats connaissant des situations post-conflits, en jetant les bases du développement socioéconomique durable, mais également en travaillant au renforcement des institutions démocratiques (Police, justice, administration publique, formation de cadres...)

Dans le cadre du renouvellement du mandat de la MINUSTAH il serait indiqué que le gouvernement entame des négociations avec la communauté internationale pour que Haïti soit inscrit dans l’agenda de la Commission de consolidation de la paix. Tout au début de la création de la Commission de la consolidation de la Paix, les discussions informelles aux Nations Unies identifiaient déjà Haïti comme un « cas pilote ». L’utilisation de la Commission de Consolidation de la Paix pourrait se révéler bénéfique et durable, d’autant plus que la CCP aura à travailler de concert avec le Conseil Economique et Social, chargée de la mise en œuvre du programme à long terme d’aide à Haïti.

La spécificité de la question haïtienne, pour le moment, démontre qu’elle doit être abordée sur deux fronts ; la lutte contre l’insécurité et la lutte contre la pauvreté. La commission de Consolidation de la Paix aiderait à concilier sécurité et développement en réalisant un lien institutionnel et systématique entre le maintien d’un environnement sécuritaire et le réseau international d’assistance et de mobilisation des donateurs, en d’autres termes une « Mission intégrée ».

Surtout, aux yeux de la communauté internationale, la question haïtienne au delà de son caractère politique a une dimension hautement socio-économique. Déjà en 1998, de façon inédite, le Conseil de Sécurité dans sa résolution 1212/1998 avait invité les organismes et institutions de l’ONU, y compris le Conseil Economique et Social (l’ECOSOC) à contribuer à l’élaboration d’un programme d’aide à long terme en faveur d’Haïti. Toutes les résolutions subséquentes : 1542 (2004) du 30 Avril 2004, établissant la mission des Nations Unies pour la stabilisation en Haïti (MINUSTAH), 1576 (2004) du 29 novembre 2004, 1601(2005) du 31 mai 2005, 1608(2005) du 22 juin 2005, 1658(2006) du 14 février 2006 pour la prorogation du mandat de la MINUSTAH n’ont cessé de mettre l’accent sur le développement économique et social comme la clef de la stabilité en Haïti.

Le renouvellement du mandat de la MINUSTAH doit être négocié en vue d’améliorer la composante policière de la mission, changer les règles d’engagements et aussi dynamiser l’aspect de développement.

La coopération internationale doit être vue en terme d’appui à un agenda national. Ce serait une hérésie monumentale de croire le contraire. L’objectif primordial serait de forger un partenariat mondial en vue de mobiliser des ressources pour l’amélioration des conditions de vies des Haïtiens.

Quel que soit la forme que va prendre la mission onusienne, prorogation ou redéfinition, il est du devoir des dirigeants et de la société civile en général d’envisager la meilleure façon de lutter contre l’insécurité et la pauvreté. C’est l’avenir de la Nation qui est en jeu.

Contact : cajuste2000@Yahoo.com


[1Ancien délégué d’Haïti à l’ONU