Débat
Par Rachelle Charlier Doucet
Soumis à AlterPresse le 17 juillet 2006
Haïti n’en peut plus, de gémir et de pleurer. Haïti, écorchée, le corps exangue, est en train de rendre l’âme sous nos yeux effarés. Assassinée, égorgée, mutilée, torturée, violée, violentée, rançonnée, kidnappée, ruinée, dépouillée, détroussée, insultée, vilipendée, infantilisée, exploitée, manipulée, bafouée, abandonnée, Haïti n’en peut plus. Haïti a perdu la tête. Oui, Haïti devient folle. Qui de ses fils, qui de ses filles aura la tâche pénible de la porter en terre ?
Ann kenbe rèl la, mezanmi ! Ayisyen, ann kenbe rèl la. Ann kenbe rèl la ak yo !
Les évènements de la nuit du 6 au 7 juillet 2006 à Gran Ravin nous interpellent tous. Ils mettent en lumière la faillite de la MINUSTAH, de la PNH, et du gouvernement, face à la criminalité galopante qui terrorise la population -quelle que soit par ailleurs sa nature et son origine. Est-ce de la lourdeur, est-ce l’aveu de leur incapacité ou la preuve de leur manque de volonté de protéger la population ? "Crimes" rime avec "impunité", avec "banalité" et pire, avec "légitimité". C’est irrecevable ! Ces instances devraient, je le crois, avoir la décence d’apporter un minimum de réponse à la nation. Mais sans tenter de nous mener en bateau. Ce silence de leur part est intolérable. ASSEZ. SA SE TWà’P ATà’, ASSEZ.
Notre silence à nous, simples citoyens, est tout aussi intolérable. Ces crimes, ainsi que tous ceux qui les ont précédés et tous ceux qui malheureusement, continuent de se commettre à l’instant même où je vous parle, toutes ces horreurs, toutes ces atrocités, et surtout cette IMPUNITE, cette complicité - tout au moins apparente- de ceux qui ont pour tâche et mandat d’établir l’état de droit dans ce pays, tout cela interpelle notre conscience nationale. ASSEZ. SA SE TWà’P ATà’. ASSEZ.
Heureusement, le silence n’est pas total. Il y a eu des initiatives, et je profite pour saluer le courage de la presse haïtienne, de tous ceux-là qui continuent leur travail contre l’inacceptable, sachant bien qu’en Haïti, les menaces sont vite mises à exécution. Je salue les efforts de mobilisation contre l’impunité en commémoration de la mort de Jacques Roche. Je salue les efforts des victimes qui ont osé temoigner. Vaincre la peur, oui. Vaincre la peur et établir un réseau de solidarité.
Solidarité avec toutes les victimes, mais surtout, avec ces victimes anonymes des quartiers populeux qui tombent chaque jour, qui croulent chaque jour sous le poids de la douleur constamment renouvelée. Les témoignages de ces jeunes, de ces femmes, de ces enfants, relatant l’horreur inconcevable, la souffrance insoutenable, nous appellent à l’action. La voix de ce jeune homme de 23 ans, accablé de douleur devant la mort atroce de sa mère et de son frère résonne encore aux quatre coins d’Haïti. Une voix parmi tant d’autres ! Mais des voix qu’il faut écouter et auxquelles il faut répondre d’urgence.
Car nous sommes en face d’une catastrophe humanitaire, d’un désastre aussi grave qu’un cataclysme naturel. Comment porter une assistance effective aux victimes, par-delà l’encouragement de nos sentiments fraternels ? Comment les accompagner dans ces moments difficiles ? Car ces victimes ont besoin d’assistance matérielle mais aussi et surtout, d’aide psychologique et émotionnelle. Pour survivre et dépasser le cercle infernal de la violence. Et surtout, pour qu’Haïti ne meure pas, vicitime de l’auto-destruction démentielle. Car c’est de cela qu’il s’agit, chers compatriotes, UN PAYS PEUT MOURIR ! Et il est temps de mettre les projecteurs, non sur les criminels et les bourreaux, mais sur les victimes.
En plus d’actions qui doivent venir de l’Etat, il faudrait créer une synergie entre organismes des droits humains, travailleurs sociaux, professionnels concernés (psychologues, psychiatres, etc.), les organisations de femmes, de jeunes, les écoles, les églises et tous les citoyens qui veulent faire un don, don de leur argent, de leur temps, de leur compassion, de leur empathie. Certaines stations de radio pourraient servir de relai - certaines ont commencé d’ailleurs en donnant un espace aux victimes. On pourrait établir des lignes téléphoniques d’urgence, organiser des marathons en Haïti et à l’étranger pour monter un fonds d’aide, bref, d’une manière ou d’une autre, il faut nous mobiliser pour accompagner les victimes, concrètement, au quotidien. Car nos concitoyens de toutes les couches sociales, mais surtout les plus démunis, ont besoin de sentir notre affection et notre solidarité agissante. Autrement, la pire des catastrophes qui nous guette, c’est de croire ou de laisser croire que nous tous, Haïtiens, nous avons collectivement et individuellement, perdu notre humanité.
N.B. Evidemment je me porte volontaire pour participer avec tous ceux qui le veulent bien à l’organisation de ce vaste mouvement de solidarité citoyenne en faveur des victimes de ces atrocités. C’est un appel à tous les Haitiens, de l’intérieur et de l’étranger.
Contact : rcdoucet@hotmail.com