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Haiti : Un collectif d’organisations propose au gouvernement des mesures " ponctuelles " pour réduire l’inflation

Lettre ouverte au premier ministre Jacques E. Alexis

Par le Collectif de mobilisation contre la vie chère

Document soumis à AlterPresse le 27 juin 2006

Monsieur le Premier Ministre,

Durant le mandat du gouvernement de Boniface - Latortue, la situation économique et sociale dans le pays s’est sérieusement dégradée laissant les couches défavorisées dans une situation de détresse, de misère et de découragement extrêmes. En dehors de l’insécurité, du chômage endémique, la vie chère constitue l’un de ses problèmes majeurs.

A l’origine de cette situation, le prix des produits pétroliers a joué un rôle de tout premier plan. Du mois d’avril 2004, période pendant laquelle ce gouvernement a commencé à exercer le pouvoir, le prix du gallon de la gazoline sans plomb 95, celui de la gazoline 91, celui du gasoil, du kérosène qui était respectivement de 135, 131, 87 et 84 gourdes, a crû régulièrement pour atteindre 200, 179, 120 et 118 gourdes au mois de mai 2006, à la veille de son départ. Ainsi, il a ajouté sur le prix des combustibles respectivement : 65, 48, 33 et 34 gourdes (réf. tableau no. 1). En comparaison avec les années 1980 jusqu’avant 1986 où le prix des produits pétroliers subissait une augmentation de 40 centimes seulement par an, ces écarts sont énormes.

Ces augmentations ont entraîné celles du prix des transports, des produits de premières nécessités, des services comme l’éducation et les dépenses de santé occasionnant des débours importants pour les parents des couches les plus défavorisées du pays. Une course de taxi simple, par exemple, coûte actuellement 25 gourdes, le prix d’une petite marmite de pois noir dans les grands marchés publics tourne autour de 30 gourdes, une petite marmite de riz local se vend dans les 35 gourdes. Ces produits coûtent encore plus cher dans les supermarchés, si on prend pour référence les données relatives au prix de quelques produits de premières nécessités. Certaines variétés de haricot coûtent jusqu’à 33 gourdes la livre ou 37 gourdes la petite marmite. Certains supermarchés vendent la petite marmite de riz au prix de 23 gourdes.

A cet effet, depuis le mois d’avril 2005, le ‘’Kolektif Mobilizasyon Kont Lavichè’’ réunissant plusieurs organisations du mouvement démocratique et populaire haïtien a lancé une campagne de mobilisation contre l’augmentation du prix des produits pétroliers en particulier et celle du coût de la vie en général.

Dans le cadre de cette mobilisation, le Kolektif a déjà organisé plusieurs activités : des sit-in devant les Ministères du Commerce et des Finances, des manifestations de rue, une exposition sur la vie chère, une activité culturelle. De plus, en vue d’infléchir le mouvement à la hausse du prix des produits pétroliers sur le marché national, le Kolektif avait demandé que le gouvernement Boniface-Latortue accepte l’offre de Chavez de faire d’Haïti un bénéficiaire du projet Pétro Caribe et sollicité sa participation dans les négociations y relatives. De même, par les lettres datées respectivement des 6 et 9 juin 2005, le Kolektif lui a fait un ensemble de propositions sous forme de mesures à prendre en vue d’améliorer les conditions de vie des couches les plus défavorisées de la population haïtienne.

En ce qui a trait notamment au projet Pétro Caribe, au sein du Kolektif, nous avons pensé un moment que le Président René Gracia Préval, aurait une attitude différente de celle du gouvernement Boniface-Latortue à cause du vote massif provenant des couches les plus défavorisées du pays facilitant sa réélection. Un vent d’espoir a traversé les couches pauvres de la population lorsque Préval annonçait qu’il allait signer l’accord Pétro Caribe, attendant un renversement de la tendance de l’inflation. A la grande surprise de tout le monde, le Président annonçait par voie de presse, repris par vous, Monsieur le Premier Ministre, que le prix des produits pétroliers ne baissera pas d’un cran et ainsi le coût de la vie.

Certains des arguments soutenus par votre Gouvernement ainsi que la Présidence, pour ne pas baisser le prix des produits pétroliers, ne résistent pas à la critique.

A titre d’illustration, n’est-il pas erroné de penser que la baisse du prix des produits pétroliers profitera à ceux-là qui utilisent seulement les véhicules fonctionnant avec le gasoil ? Il est certain que les gens possédant ces types de véhicules tireraient avantage si les prix des combustibles venaient à baisser, mais ils ne seraient pas les seuls à en profiter. Les chauffeurs de taxi qui utilisent la gasoline 91 pour assurer le transport des passagers, les paysans qui utilisent le kérosène pour éclairer leur maison en profiteraient également. Mais on en attendrait positivement un plus grand impact sur le prix des produits de premières nécessités, ce qui serait dans l’avantage de tout le monde, notamment les masses appauvries.

Or, il faut reconnaître que le prix des produits de premières nécessités dont l’évolution est très sensible à celle du prix des produits pétroliers n’a cessé d’augmenter : le riz comme le pois, l’huile comestible, le pain, la viande de porc, de cabri, de bœuf et poulet (voir les données inscrites au tableau no. 2 ) ; sans oublier, l’augmentation fulgurante et incroyable des services comme l’éducation, la santé et l’immobilier.

Peut-on s’attendre, Monsieur le Premier Ministre, à ce que le gouvernement actuel qui a bénéficié d’un vote massif aux élections du 7 février 2006, aille se pencher sur la situation des masses d’exclus de la population et accordera à la question de la cherté de la vie toute l’attention qu’elle mérite ?

Le Kolektif rappelle que la dégradation des conditions de vie de la majorité de la population haïtienne est le résultat de la politique néolibérale des gouvernements passés axés sur la sacro sainte loi du marché qui permet aux commerçants de fixer leur taux de profit comme ils l’entendent en accordant un salaire de misère aux travailleurs et administrant des prix maxima sur les produits.

Plusieurs ministres des gouvernements passés qui ont traité ce problème, ont tenté de faire croire à la population l’idée suivant laquelle il n’existe aucune possibilité pour faire baisser le prix des produits pétroliers sur le marché local compte tenu de l’augmentation de leur prix sur le marché international. Nous autres, organisations qui ont lancé cette mobilisation, ne croyons pas que c’est seulement l’augmentation du prix des produits pétroliers sur le marché international qui explique le niveau de leur prix sur le marché haïtien. En effet, à côté de la flamblée des prix internationaux du pétrole, la quantité de taxes prélevée par l’Etat haitien sur les combustibles, la politique économique et sociale du gouvernement basée sur les diktats des institutions internationales dont le Fonds Monétaire International, par le respect entre autres choses de la loi de 1995 relative à la flexibilité des prix des produits pétroliers sur le marché local suivant leur évolution sur le marché international et celle du taux de change, tout cela aggrave davantage la situation socio-économique de la population.

En ce sens, votre Gouvernement, Monsieur le Premier Ministre et en particulier le Ministère du Commerce, continueront-ils à bouder les revendications des masses en n’adoptant aucune mesure importante pouvant faire fléchir le coût de la vie et soulager la misère de la population ?

Votre gouvernement est capable de prendre quelques mesures s’il prend le temps d’écouter le peuple au lieu de suivre les diktats du Fonds Monétaire International, de la Banque Mondiale et des ambassades des puissances étrangères. Ne serait-il pas justice si l’Etat haïtien manifeste vis-à -vis du peuple, victime de la vie chère et de l’augmentation du prix des produits pétroliers, la même sensibilité qu’il a montrée à l’égard de la bourgeoisie à laquelle il a accordé trois ans d’exemption fiscale, après le 29 février 2004 ?

Nous, organisations signataires de cette lettre ouverte, croyons que votre Gouvernement, Monsieur le Premier Ministre, s’il veut vraiment créer, aboutir à un apaisement social, devra prendre les mesures ponctuelles suivantes :

1) Mettre en veilleuse la loi de 1995 sur la flexibilité des prix de produits pétroliers et accorder par conséquent des crédits à la vente-consommation sur ces produits ;

2) Faire profiter effectivement à la population l’accord Petro Caribe et rendre disponibles les informations y relatives aux médias, aux organisations de la société civile et à la population ; le Kolektif rappelle à cet effet sa proposition de constituer une Commission Nationale de Gestion de l’Accord Petro Caribe ;

3) Faire baisser les bénéfices que la bourgeoise réalise sur les produits pétroliers et les autres produits de premières nécessités. Nous croyons que la bourgeoisie qui prétend vouloir établir un contrat social avec le peuple serait d’accord avec une telle mesure ;

4) Installer dans les différents quartiers populaires et dans les différentes communes/sections communales du pays, des magasins de l’Etat devant fournir aux populations des produits de premières nécessités et des outils à un prix préférentiel ;

5) Renoncer à subventionner le secteur privé à hauteur de 25 millions 596 mille gourdes à partir de ressources budgétaires (référence : article budgétaire 1216-2-14-). De même, le Gouvernement pourrait renoncer à des dépenses budgétaires inutiles qui n’amènent à aucune amélioration dans les conditions de vie des masses populaires sinon qu’à les aggraver telles les 13 millions de gourdes prévus pour faire fonctionner une direction chargée de gérer les zones franches.

6) Contrôler l’évolution des prix, notamment de celle des produits de base, en fixant un taux de profit ne devant pas dépasser 20 % du prix de revient selon la loi Lespinasse.

7) L’Etat doit prendre des mesures pour porter le salaire minimum des ouvriers à 200 gourdes au lieu de 70 gourdes par jour. Soulignons qu’en termes réels, c’est-à -dire en tenant compte du coût de la vie, l’ouvrier qui reçoit 70 gourdes par jour, possède moins que 5 gourdes par jour ;

8) Le gouvernement doit contrôler le prix des loyers et de la scolarité (éducation) dans le pays. Les propriétaires de maison et les directeurs d’école fixent comme ils l’entendent les prix de ces services au détriment des familles haïtiennes dont 65% vivent au-dessous du seuil de pauvreté.

9) Suspendre le paiement du service de la ‘’dette externe’’ afin de dégager les ressources nécessaires pour garantir dans le pays un minimum de services de base ;

10) Prendre des mesures claires afin de diminuer les dépenses inutiles, les perdiems, les voyages de missions à l’étranger et toute charge supplémentaire qui ne serait que dans l’intérêt des fonctionnaires nationaux et internationaux dans le pays ;

Pendant que nous continuons à nous mobiliser, nous espérons, Monsieur le Premier Ministre, que votre Gouvernement, par ses actions, ses orientations économiques, sociales et politiques, par ses choix de politique, n’engendre pas un véritable désespoir pour la majorité de la population, notamment, les masses appauvries.

Pour une Haïti meilleure et souveraine, pour la continuité de la lutte contre l’exploitation des masses laborieuses, la cherté de la vie et les politiques néolibérales :

Port-au-Prince, le 20 juin 2006

Guy NUMA

Makenton CIVILMA

Patrice FLORVILUS

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Tableau d’évolution du prix et de l’indice du prix des produits pétroliers et tableau d’évolution du prix moyen de quelques produits de premières nécessités sur le marché local