P-au-P, 22 juin 06 [AlterPresse] --- Deux organismes haïtiens de promotion et de défense de droits humains pressent, ce 22 juin 2006, les autorités nationales à œuvrer rapidement pour mettre fin à la flambée de violence armée qui tend à être banalisée dans les quartiers de Carrefour Feuilles et de Martissant, banlieue sud-est et sud de la capitale.
« Les activités de violence ont refait surface à Gran Ravin depuis la soirée du vendredi 16 juin 2006. Nous sommes préoccupés de la détérioration du climat de sécurité depuis le week-end du 3 au 4 juin 2006 dans les quartiers de Carrefour-Feuilles, particulièrement à Fort-Mercredi, Savane Pistache et Décayette », signalent l’Association pour la Santé Intégrale de la Famille (APROSIFA) et le Réseau National de Défense des Droits Humains (RNDDH), dans une lettre ouverte datée du 19 juin adressée au Premier Ministre Jacques Edouard Alexis, également président du Conseil supérieur de la Police Nationale d’Haïti (PNH).
Exigeant l’application de dispositions énergiques de droit contre les transgresseurs de la loi, les deux institutions s’inquiètent notamment d’une recrudescence de cas d’hypertension artérielle enregistrée, ces derniers jours, aux centres sanitaires de l’APROSIFA, une institution pourvoyeuse de soins intervenant dans la zone depuis 13 ans.
Les nombreux cas d’hypertension remarqués concernent surtout les jeunes de 30 - 35 ans, en majorité des jeunes femmes de Carrefour Feuilles frappées par le stress et le désarroi dus aux actes perpétrés par les groupes armés, dont des tirs à tout bout de champ, selon les informations obtenues par l’agence en ligne AlterPresse.
Dans le même temps, les mères de famille de Carrefour Feuilles hésitent à emmener leurs enfants au centre de récupération nutritionnelle de l’APROSIFA, qui voit son taux de fréquentation d’enfants souffrant de malnutrition passer de 48 à 22, à cause du climat d’insécurité et d’angoisse paradoxalement incorporé dans le quotidien des habitants depuis plusieurs mois.
La banalisation des actes de violence armée dans la banlieue sud/sud-est de Port-au-Prince est telle que les crimes perpétrés, qui ne sont plus relatés, engendrent des problèmes de santé, comme l’hypertension artérielle, chez les habitants.
Depuis le week-end du 3 au 4 juin 2006, les agents de santé de l’APROSIFA, « regardant, stupéfaits, les chefs de groupes armés opérer à nouveau en toute quiétude », éprouvent des difficultés à continuer d’accompagner la population déjà vulnérable économiquement. Ce qui affecte les actions de cette institution humanitaire en santé qui « offre quotidiennement des soins primaires à plus de 200 personnes démunies [ NDLR : notamment de Carrefour Feuilles] dans les domaines des soins materno-infantiles, la prévention et la prise en charge psychosociale des infections sexuellement transmissibles (IST/VIH-SIDA) ».
Dans ce contexte, les cas de morts par balles sont recensés quasi quotidiennement, dont 1 le dimanche 18 juin à Site Nèf dans le quartier de Caridad et 1 autre (un contremaître) atteint de 3 balles mardi soir 20 juin dans le quartier de Fontamara, au moment où il buvait une bouillie de maïs (plus connue sous le nom d’akasan), ont fait savoir des riverains à AlterPresse.
« Les populations de Décayette, Fort-Mercredi, Savane Pistache, Ti Bwa et Saurai, Gran Ravin particulièrement, continuent à être persécutées par des groupes armés de la zone, renforcés par des réseaux en provenance d’autres bases de la capitale. Cette situation entrave les activités des gens, en particulier la prestation de soins aux enfants du Centre de Récupération Nutritionnelle. En effet, des cas de Kwashiorkor, en récupération à l’APROSIFA, ont accusé une absence de plus de 10 jours. Les mères sont contraintes de rester chez elles pour protéger les enfants des balles perdues. La population est prise en otage par ces groupes armés », rapportent l’APROSIFA et le RNDDH dans la lettre ouverte du 19 juin au chef de gouvernement d’Haïti.
Dénonçant « les agissements cruels de ces groupes armés qui disposent d’armes de guerre pour exercer leurs forfaits contre une population paisible et sans défense », les deux organismes déclarent craindre une transformation de la banlieue sud/sud-est en zone de guerre, semblable à la réalité initiée depuis 2004 à Cité Soleil, grande agglomération populaire à la sortie nord de la capitale sous contrôle de gangs armés.
« Nous n’aimerions pas cependant que ces conflits, éclatés depuis le week-end du 3 juin 2006, se transforment en guerre entre zones, d’autant que Gran Ravin se mêle de la partie depuis le 16 juin 2006. Nous sommes préoccupés et ne voulons pas assister à une polarisation de cette violence, compte tenu des conflits précédents survenus entre Ti Bois, l’armée Ti Manchette, Martissant, Base Pilate et Gran Ravin. En réalité, c’est toujours la population qui en subit les conséquences. », s’alarment les deux organismes.
Les zones de Martissant relient géographiquement le Morne Hôpital et la localité du Fond Férrier à différents bidonvilles, où les auteurs de forfaits contre la population civile dissimulent facilement leurs armes durant la journée.
En dehors de la « présence de patrouille fixe de la PNH à l’entrée de l’Hôpital Sanatorium depuis quelques jours, aucune action concrète et systématique n’a été réalisée jusqu’à date par les forces onusiennes de concert avec la PNH pour appréhender les chefs des groupes armés et les déférer par devant la justice ».
Face à la situation qui se développe edepuis le début du mois de juin 2006 dans la zone de Carrefour Feuilles et de Martissant, l’APROSIFA et le RNDDH croient important pour les autorités nationales d’augmenter les patrouilles fixes et de déterminer des patrouilles mobiles de police dans la zone de Carrefour-Feuilles, particulièrement à Savane Pistache, Fort-Mercredi, Décayette, Gran Ravin jusqu’à Martissant, qui « aideraient grandement les détaillants et les habitants déjà aux abois sous l’emprise des réseaux de groupes armés, à reprendre leurs activités citoyennes ».
De même, disent-ils, il y a urgence d’accélérer le processus de désarmement dans ces zones, par des « fouilles élaborées, interventions policières inattendues, perquisitions professionnelles », entre autres mesures à prendre en vue de ramener le calme parmi la population.
Au lieu d’une « approche visant à augmenter le pouvoir des chefs de groupes armés sous prétexte d’apaisement social », les deux organismes préconisent l’arrestation et le jugement des responsables de ces groupes armés - qui tuent et qui violent des femmes en toute quiétude - ainsi qu’une évaluation en profondeur du processus de Désarmement Démobilisation et Réinsertion (DDR) dans ces quartiers.
Les riverains de ces quartiers n’ont pas cessé d’alerter les autorités sur les persécutions dont ils sont l’objet, depuis plusieurs mois, de la part de repris de justice et d’autres bandits armés qui se sont repliés dans la banlieue en toute impunité.
Une copie de la lettre ouverte du 19 juin, parvenue à la rédaction de l’agence en ligne AlterPresse, est transmise au ministère de la Justice, au commandement de la Police Nationale d’Haïti et aux commissions de Justice et Sécurité du Sénat et de la Chambre des Députés et aux réseaux internationaux de défense des droits de la personne.
L’APROSIFA et le RNDDH, signataires de la lettre ouverte du 19 juin 2006 au Premier Ministre Alexis, font partie d’une coordination d’organisations qui participent à une campagne pour la réduction de la violence en Haïti, en particulier la violence armée depuis la fin de l’année 2005.
Cette Coordination entend intensifier ses activités de sensibilisation sur toute la période de la coupe du monde de football (9 juin - 9 juillet 2006), laquelle semble n’avoir pas apaisé les élans meurtriers des groupes armés.
Depuis quelques semaines, parallèlement au renouvellement du mandat de la Mission des Nations Unies de Stabilisation en Haïti (MINUSTAH) et à l’annonce de la confirmation de Mario Andrésol (comme commandant en chef de la Police nationale dont le choix doit être ratifié pour 3 ans par le Sénat de la République), une résurgence des actes de violence est constatée dans le pays.
Le Kidnapping redevient monnaie courante, tandis que les assassinats sont légion, pour des motifs non précisés.
Un ressortissant canadien âgé de 62 ans, Ed Hughes, a été kidnappé tard lundi 19 juin 2006 à son domicile de Cabaret, municipalité à une trentaine de kilomètres au nord de la capitale haïtienne où il dirige un orphelinat, a indiqué à la Presse Michaà« l Lysius, chef de la Police judiciaire d’Haïti.
Durant le seul mois de mai 2006, la police nationale a recensé une vingtaine de cas d’enlèvements, dont un professeur à l’Université Burel Descopain survenu le 29 mai 2006, à son domicile (Delmas 31, secteur nord) , puis relâché le 2 juin par ses ravisseurs.
La PNH est elle aussi victime de la vague d’insécurité dans le pays. Entre le 11 et le 15 juin 2006, 4 policiers ont été abattus par des individus armés. Au mois de mai 2006, l’institution policière a enregistré l’assassinat de 5 de ses membres. [rc apr 22/06/2006 16 :00]