Débat
Par Pierre Richard Cajuste
Soumis à AlterPresse le 14 juin 2006
Depuis le 14 mai 2006, Haïti a fait son retour parmi les pays démocratiques. Le nouveau Chef de l’Etat, Monsieur René Garcia Préval, dans plusieurs interventions publiques, réalise un véritable plaidoyer en faveur de la paix et de la réconciliation. Selon lui, c’est la seule rampe de lancement capable de permettre d’emprunter la voie du développement et d’attirer l’investissement étranger.
La solidarité d’un nombre considérable de pays étrangers commence à se faire sentir. Dès l’investiture du président Préval, on a eu la signature de l’accord Pétrocaribe, suivie de la réunion des bailleurs de fonds au Brésil, la visite du président chilien, Madame Michèle Bachelet, la semaine dernière, au cours de laquelle Santiago a renouvelé son engagement en faveur d’Haïti. En juillet prochain, est prévue la réunion des donateurs en Haïti.
Donc, les déclarations de bonnes intentions pleuvent. Il s’agit maintenant de les matérialiser dans la glaise du réel.
Le président René Preval a parlé de « La Maison Haïti ». Pour la bâtir, le chef de l’Etat, tout en consolidant les relations avec les grands partenaires traditionnels (USA, Canada et la France), s’est tourné vers le sud du continent. Il a confié à l’Argentine, au Brésil et au Chili la tâche de préparer un plan de développement pour Haïti. Ce groupe, dénommé ABC, a déjà identifié quatre grands axes d’intervention :
La gouvernance démocratique (réforme de l’administration publique, l’établissement du parlement et la problématique des droits humains) ;
Programme d’urgence (Santé, éducation, plan d’apaisement social) ;
Appui à la stabilisation macro-économique (dette extérieure, institutions financières, stratégie de lutte contre la pauvreté) ;
Mise en place d’une équipe mixte pour le suivi des engagements.
Le premier ministre Jacques Edouard Alexis, dans son énoncé de politique générale, a présenté la vision de son gouvernement pour le prochain quinquennat, basée sur : la construction d’un état moderne, le renforcement des institutions démocratiques et la création des conditions favorables à l’investissement en vue de la création de richesses au bénéfice de la population.
Parallèlement, tout un ensemble d’actions d’ordre prioritaires sont en train d’être envisagés, à titre d’exemple le programme d’apaisement social (PAS), qui vise à répondre à très court terme à diverses demandes sociales, selon le premier ministre.
Cependant, il y a loin de la coupe aux lèvres. Le hic, malgré toutes ces manifestations de bonnes intentions, est de maintenir la flamme de la mobilisation internationale en faveur d’Haïti. Ce qui ne sera pas chose aisée. A n’importe quel moment, la crise au Darfour, la Somalie ou l’Iran peuvent, en notre défaveur, retenir davantage l’attention de la communauté internationale. Notons qu’on évolue dans une situation où l’aide publique au développement se réduit comme une peau de chagrin, cédant, de plus en plus, la place à l’aide humanitaire et l’investissement étranger direct ; ce dernier a connu un montant record de 491 milliards de dollars, d’après la Banque Mondiale.
En dépit de cette hausse considérable de l’investissement étranger vers les pays en développement, les pays les plus pauvres, comme Haïti, n’ont pas, pour des raisons diverses, su en profiter.
De plus, l’administration Préval-Alexis aura á évoluer dans un contexte de marasme économique et d’une situation politique sensible. Le peuple qui a voté le 7 février dernier espère des changements considérables, la société haïtienne faisant face à des crises structurelles très graves. Pour répéter Claude Moise [1], le pays est « fatigué d’être abîmé et le peuple de supporter des privations ». En dépit du calme apparent, on est forcé de dire que la situation politique reste et demeure très fragile. Il serait éminemment naïf de penser le contraire.
La grande question qui émerge est la suivante : comment faire re-démarrer le train et ceci très rapidement quand les ressources sont rares ou presqu’inexistantes ? Une fois que le premier ministre Jacques Edouard Alexis a établi la vision stratégique, il revient maintenant aux ministres de présenter leurs plans d’action et le cadre opérationnel à l’intérieur duquel vont s’articuler la coordination et la gouvernance globale du système gouvernemental.
L’une des tâches principales de la nouvelle administration est de créer une articulation entre l’économique et le politique. En d’autres termes, une sorte de prise en charge des intérêts des différentes composantes sociales de la Nation, tout en donnant à l’Etat la fonction de régulateur économique et de garant de la cohésion sociale. Les démarches de l’Etat pour encourager l’économie de marché ne sauraient nullement empêcher un engagement en faveur du développement humain.
A l’heure actuelle, l’Etat haïtien dispose seulement pour chaque citoyen, d’environ $ 4,00 par mois (Rapport du Groupe Croissance publié le 24 février 2002). Pour sortir de cet imbroglio, il faut que nous nous mettions d’accord sur le fait que la création de richesses passe aussi et surtout par l’investissement privé.
Dans ce pays si pauvre qu’est le nôtre, la croissance, pour être efficace, doit être accompagnée d’une lutte contre la pauvreté. N’allons pas par quatre chemins pour demander une autre forme de gouvernance, une rupture avec la gestion traditionnelle. Un besoin d’inclure des opérateurs nouveaux, un autre souffle. Commençons par poser les problèmes á résoudre á partir des diagnostics réalisés et l’identification des moyens devant être mobilisés en vue de leur exécution.
La construction de « La Maison Haïti » ne peut plus se faire attendre. Au-delà de ce partage de pouvoir, pensons à construire le consensus sur la base d’un projet, une vision de société. Car, parmi les multiples interrogations, il reste une qui est tout à fait essentielle : le vent peut- il toujours souffler dans la mauvaise direction pour Haïti ? Ne pas choisir, c’est choisir de ne pas choisir.
Pierre Richard Cajuste
cajuste2000@yahoo.com
[1] NDLR : Historien et éditorialiste du quotidien Le Matin