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Refonder Haiti

Propositions de la Coordination pour la Refondation de la Nation (KORE N)

Document soumis à AlterPresse le 13 juin 2006

1. Contexte

Nous ne pouvons plus perdre de temps. Ayiti s’éteint.

Dans notre appel pour le 8 février 06 nous avions bien précisé que poser l’acte d’élire des dirigeants ne saurait conduire à la résolution de la crise fondamentale qui est celle de l’inexistence de la nation. Nous avons insisté sur la nécessité de l’émergence d’une force sociale pour amorcer le processus devant déboucher sur la refondation de la nation et sa construction.

Les organisations de la société civile, les citoyens ayant exercé leur droit de vote et qui réalisent que l’exercice de la citoyenneté ne se fait pas seulement le jour des élections, devraient comprendre la nécessité de s’impliquer dans la démarche de structuration de cette force, mener des actions pour marcher sur la voie de cette refondation et porter les nouveaux dirigeants à créer un espace institutionnel permettant de cheminer vers la concrétisation de la question de la construction nationale. Car la démocratie ne se crée pas avec le simple dépôt d’un bulletin de vote, elle se matérialise et se consolide au-delà des élections avec la participation des secteurs organisés de la société dans la recherche de solution aux grands défis nationaux : la souveraineté, la pauvreté, l’environnement, la justice, la corruption etc. Dans une société aussi complexe que la nôtre, éclatée et contrôlée de plus en plus par des étrangers, nous ne prétendons pas dégager une homogénéité de tous les secteurs sur tous les points ; mais il est indispensable, à ce carrefour historique de notre vie de peuple, de dégager un consensus minimal sur les questions fondamentales dans une dynamique visant cette refondation et cette construction nationale. Les indicateurs socio-économiques sont au rouge ; en ce sens, la société haïtienne est menacée d’extinction. Sans ce sursaut historique pour vider les contentieux vieux de plus de 200 ans, il s’avère de plus en plus impossible de perpétuer la survie de l’espèce haïtienne.

Cependant la démarche de Congrès de refondation que nous préconisons, qui est fondamentalement une grande mobilisation à l’échelle nationale de tous les secteurs de la société dans une réflexion profonde et dans la prise de décisions pour réorienter le pays et le sortir sous l’emprise étrangère, ne saurait se confondre à l’instauration de l’espace institutionnel dénommé dialogue national, initié en décembre 05.

Le concept de dialogue national distillé subtilement dans le milieu par l’International réfère historiquement à des situations où l’on cherche à initier un processus de paix entre des factions politiques indigènes armées qui s’affrontent ou risquent de s’affronter. Ce qui ne correspond pas à la problématique haïtienne actuelle.

L’espace institutionnel auquel nous faisons référence, facilitera l’implication de l’Etat dans le déclenchement d’une mobilisation générale, pour entraîner tous les secteurs de la société, à l’intérieur comme à l’extérieur du pays, de façon structurée, dans une série d’échanges sérieux devant conduire à une entente sur les nouveaux choix à faire pour rebâtir le pays sur de nouveaux socles dans différents domaines : économie, agriculture, santé, éducation, environnement, culture, justice... Ceci nous permettrait de trouver les matériaux nécessaires à la préparation d’un plan de développement de longue durée qui partirait des collectivités, en passant par les sections communales, les communes, pour arriver aux départements. En outre, les structures mises en place pour ces échanges, serviraient au déclenchement d’une série d’activités sur la base des différents consensus atteints pour initier le travail de construction nationale ; et on pourrait aboutir au montage d’une structure nationale représentative de la société, capable d’aider à la restructuration de l’Etat en faillite et donner corps à une véritable décentralisation.

Ce cadre de référence indiquera une double démarche pour mettre en branle ce mouvement pour la refondation de la nation : la dynamique de la construction de la force sociale et l’implication des responsables d’Etat.

1. Catalyser la construction de la force sociale

1.1. L’appel du 21 janvier 06 pour un rassemblement structuré autour de la question de la refondation de citoyens/nes déjà organisés/es et de tous ceux et toutes celles qui fort/es de leur croyance au changement, se sont battues pour voter depuis le 7 février en vue d’obtenir ce changement, doit être réitéré. Il faut souligner que la situation que nous vivons actuellement confirme les prédictions à la base de cet appel à savoir : les luttes pour le partage des postes, le renforcement des prérogatives de l’International, la poursuite de l’insécurité, la configuration émiettée du parlement, l’illusion de pouvoir des élus, la détérioration des valeurs, la désagrégation continue de la société...

1.2. Il s’agit donc de redynamiser les organisations de base dans les différentes régions du pays, stimuler l’émergence de plate-formes départementales et obtenir leur adhésion et participation à la lutte pour la refondation nationale en sensibilisant le plus grand nombre de gens sur la stratégie de woumble national comme démarche de mobilisation de l’ensemble de la société sur le projet national. KORE-N deviendra ainsi une réalité incontournable. Ceci est fondamental pour contrer toutes les tentatives de déviation ou de récupération par les responsables d’Etat et l’International de la démarche de débat national, déjà entreprises et à venir.

2. Stimuler la création d’un espace institutionnel par les responsables d’Etat

2.1. Le nouveau gouvernement devrait éviter de légitimer le projet du Premier ministre Latortue signé avec le PNUD et la MINUSTAH, sans date officielle, intitulé : « Projet d’appui au dialogue national en Haïti ». (projet signé au cours d’une cérémonie officielle le 14 février 05). Ce projet, dans ses lettres, consacre formellement le contrôle étranger sur le pays. C’est un projet de dialogue de l’International. Il arrive à terme le 15 juin 06.

2.1.1. Il ne constitue pas un projet ayisyen.

Le premier document ainsi que le document final ont été préparés par la MINUSTAH et le PNUD qui soulignent à encre forte dans les différentes parties que la proposition vient d’eux (page 6, 2ème paragraphe - Annexe A, page 14, 1er paragraphe - page 15, 1er paragraphe).

Elle est raccordée : 1) à la décision relative à la résolution 1542 du Conseil de Sécurité des Nations Unies qui donne à la MINUSTAH le mandat d’appuyer un processus de dialogue national qui contribue à créer un meilleur climat social et politique et de meilleures conditions de sécurité (page 4, 2ème paragraphe - page 14, point 3, 2ème paragraphe) ; 2) au Cadre de Coopération intérimaire (CCI) déjà conçu par l’International dans les conditions que nous savons ( page 4, 2ème paragraphe - page 5, dernier paragraphe) ; 3) puis à l’accord du 4 avril 04, pour lui donner un cachet national.

2.1.2. Pas de participation réelle de la société à ce dialogue

Depuis décembre 04 - janvier 05, plusieurs organisations avaient pris l’initiative de monter un groupe de réflexion pour lancer des débats profonds dans le pays. Au moins 3 d’entre elles (la Conférence nationale haïtienne souveraine, le Kolektif Solidarite, Idantite ak Libète/KSIL prônant le Congrès de refondation avec Kay Fanm et le MPC avaient déjà préparé un cadre de référence pour faire avancer ce processus, quand le gouvernement provisoire lança son « dialogue national » allant à l’encontre de cette dynamique et des objectifs fondamentaux visés par ces groupes.

Il se dit que tous les secteurs de la société (professionnel, religieux, syndical, féministe, etc...) sont représentés dans le Comité de pilotage du dialogue, mais on constate que ce Comité est passé inaperçu.

2.2. Le nouvel exécutif devrait annuler l’arrêté du président provisoire Boniface Alexandre qui a lancé le « dialogue national » et prendre d’autres dispositions légales pour maintenir cet espace institutionnel créé et le réorienter (Convocation d’un Congrès national ou autre nom ?)

Le nouvel exécutif devrait repenser le projet actuel de dialogue national qui souffre d’apesanteur et qui est surtout caractérisée par l’absence la plus complète en matière de représentativité et dont l’appellation prête à confusion par rapport à la situation qu’on veut adresser et aux objectifs. L’actuel gouvernement doit rendre l’espace initié efficace en le réorientant et aussi en le supportant par la disponibilité de moyens matériels et institutionnels et l’augmentation de sa capacité de convocation dans la mobilisation de tous les secteurs de la société, à tous les niveaux. Cette instance doit dynamiser le dialogue social, politique et économique en vue d’aboutir à un plan de développement de longue durée.

2.2.1. Nouvel Objectif de cet espace :

Soutenir les initiatives de la société civile dans leurs démarches pour la refondation de la nation ayisyenne.

2.2.2. Pourquoi la refondation de la nation ?

Cette nécessité de refondation de la nation émane plutôt du constat de : la désarticulation et l’éclatement de notre tissu social, la faillite des institutions, la démobilisation de la population, l’aggravation de la misère et la projection d’une image de notre pays sur la scène internationale en rupture avec notre passé héroïque. Elle passe d’emblée par une démarche collective consciente de récupération de nos droits souverains aliénés depuis plus de 90 ans.

Cette préoccupation part du principe que les fondements de la société ayisyenne doivent être repensés à partir d’une remise en question des différents choix historiques qui nous ont amenés à cette faillite. Ces choix historiques seront questionnés sur tous les plans (politique, économique, culturel, social...) et d’autres seront faits pour réparer les dégâts commis au cours des 200 ans en fonction des réponses aux questions de « qui nous sommes » et de « comment nous devons vivre ensemble ».

2.2.3. Problèmes spéciaux à poser pour arriver à une entente patriotique

-  Qui sommes-nous comme peuple ? Qu’avons-nous en commun ?
-  Les choix historiques d’organisation de la nation qui nous ont conduit à cette catastrophe aux plans : économique, politique, culturel, social, etc...
-  Autres options à faire pour trouver des solutions à la kyrielle de problèmes qui menacent aujourd’hui notre existence, pour combattre l’exclusion de la majorité de la population (paysans/es, femmes, vodouisants/es, etc..)
-  Les problèmes qui menacent notre existence et qui nécessitent des solutions urgentes, comme :
. l’insécurité
. l’environnement
. la sécurité alimentaire et nutritionnelle liée à la réforme de l’agriculture
. la sécurité sociale (emploi, logement, assurance..)
. la décentralisation (organisation du nouvel Etat)
. le respect de la loi et l’élimination de l’impunité (justice)
. l’éducation
. l’hygiène et la santé publiques
. les relations internationales et la construction d’un monde plus juste /intégration régionale / intégration de la diaspora
. la gouvernance politique
. la crise des valeurs

Il s’agit donc de trouver une entente sur les grandes orientations à prendre pour résoudre ces problèmes en vue de bâtir tout de suite un programme de redressement du pays sur plusieurs années (pour un plan de développement à long terme viable).

2.2.4. Approche :

mobilisation de toute la société à participer à une réflexion dans une démarche de refondation de la nation, de façon structurée et institutionnalisée.

2.2.5. Ressources à mobiliser : ressources humaines et financières locales / contributions financières de l’Etat et d’institutions/organisations sur place intéressées à la démarche.

3. Comment réorienter cet espace institutionnel ?

3.1. Une étape intermédiaire peut être envisagée avec la création d’une Commission indépendante d’évaluation.

La structure de l’actuelle commission de dialogue présidée par le pasteur Paul et les activités entreprises feraient l’objet de cette évaluation, en vue de sa réorientation. Cette commission indépendante travaillerait durant six (6) mois et aurait également pour mission de faciliter l’émergence d’un comité national véritablement représentatif.

3.2. Lancement du Comité national.

Dans un deuxième temps, pour donner suite aux revendications de différents groupes sociaux réclamant l’aménagement de cet espace et sur la base des recommandations de la Commission d’évaluation, l’Exécutif appuierait le lancement de ce Comité pour faire avancer la mobilisation de la population sur la question de la refondation de la nation, organiser une réflexion dans une démarche structurée, en vue d’aboutir, dans 2 ans, à un pacte contractuel pour construire la nation.

Ce comité doit regrouper les représentants des différents secteurs de la société à l’intérieur du pays comme dans la diaspora. Sur le plan interne, les populations de toutes les collectivités territoriales, doivent être impliquées de façon structurée.

3.2.1. Rôle du Comité national

Ce comité travaille sur les grandes lignes d’orientation de : 1) stratégie générale de mobilisation ; 2) conception de la structure et des mécanismes d’échanges ; 3) contenu des échanges et les résultats à obtenir en fonction des objectifs de refondation de la nation ; 4) recherche de fonds à l’intérieur du pays et dans la diaspora sous mandat de l’Etat, pour compléter les fonds officiels (Le gouvernement devrait affecter les fonds alloués au Conseil des Sages par exemple à ce travail). 5) préparation des règlements pour le fonctionnement de toutes les instances à mettre en place ; 6)constitution d’un Secrétariat exécutif par délégation de membres à cette structure.

N.B. Aucun membre de la Commission et du Comité national ne devrait percevoir de salaires pour leur participation, qui devrait être un service civique. Les fonds doivent être consacrés au financement des activités prévues et de l’appui technique nécessaire.

4. Rapports du « Woumble de Refondation » avec : l’Exécutif, le nouveau Parlement et l’International

Le Parlement appuiera l’Exécutif dans les dispositions légales prises pour lancer le processus, délèguera son/sa représentant/e et produira surtout des textes de lois pour matérialiser les décisions consignées dans le Pacte.

Quant à l’Exécutif, il aura pour tâche de :
- prendre des dispositions légales pour lancer le processus ;
- lancer le Comité national pour l’organisation du processus de façon indépendante (selon la composition de ce comité prévue au point 3.2.2.) ;
- soutenir le Comité et maintenir la liaison avec lui par l’intermédiaire d’un/e représentant/e délégué en son sein ;
- mettre les ressources nécessaires à disposition du Comité.

L’International sera invité dans le lancement et la clôture des travaux. Il facilitera des échanges avec des ressources étrangères de référence sur demande des membres du Comité national ou du secrétariat exécutif. Il apportera sa contribution financière et technique dans le cadre des orientations définies à l’issue du processus et du plan de développement qui s’ensuivra.

5. Budget

Le budget de l’activité sera préparé par le comité national qui le soumettra au gouvernement pour les décaissements appropriés. Des audits périodiques doivent être réalisés par la Cour Supérieure des Comptes (CSC) pour s’assurer de la régularité des dépenses.

6. Méthode de travail

La méthodologie de travail sera déterminée par le comité national qui disposera de ses moyens de travail, des assises à réaliser et des instances régionales et locales à mettre en place pour le woumble sur la base d’une représentation par secteurs de la société.

7. Produit

Les structures qui seront mises en place dans tous les coins du pays pour les échanges, tout comme le Comité national d’organisation, doivent fonctionner de façon indépendante.

Les décisions ou résolutions prises à l’issue de ces échanges, figureront dans un document officiel et surtout engageront toute la population dans le processus. Elles feront l’objet d’un « pacte contractuel » à publier dans le journal le Moniteur.

Comme tous les secteurs de la population seront représentés dans la structure nationale du woumble, cette dernière sera représentative et aura une forme de légalité que lui confèrera la démarche. A la fin du processus, sera mise sur pied une structure spéciale pour assurer le suivi des décisions adoptées et pour maintenir la mobilisation de la population en vue de garantir le respect du « pacte » par différentes instances du pouvoir : l’exécutif, le législatif et le judiciaire. Cette structure de suivi remplacera le Comité national du woumble et la structure organisationnelle de départ.

5/06/06

Coordination pour la Refondation de la Nation (KORE N)

KSIL (Kolektif Solidarite Idantite ak Libète) ; Kay Fanm ; SPI (Sendika Pèsonèl Enfimye) ; UMHA (Union Médecins Haïtiens) ; CPREDH (Centre pour la promotion et le respect des droits humains) ; KORENIP (Kòdinasyon Oganizasyon Rejyonal NIP) ; Initiative Citoyenne ; PEJEFE (Projet d’Encadrement des Jeunes Femmes et Filles Mères) ; David Descieux ; Dominique Verella ; Rudolph Prudent

Pour authentification :
Yanick Guitaud Dandin, KSIL