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L’autonomie universitaire en mouvement : Élections rectorales contre Réforme de la Participation

Par Jean Anil Louis-Juste, professeur a l’Universite d’Etat d’Haiti

27 avril 2003

L’université d’Etat d’Haïti, c’est le Conseil de l’Université. Il vient de décréter une grève d’une semaine pour protester contre les agissements d’étudiants au siège électoral du Rectorat ; il avait auparavant déclenché le processus électoral contre des volontés de réforme qui se sont exprimées par des lettres de Lutte Etudiante et du Front de Résistance, la motion du Conseiller John Picard Byron sur l’opportunité des élections, l’organisation d’un forum sur la réforme universitaire, etc.

Le Conseil de l’Université agit selon son existence de cacique et nie sa constitution historique d’acquis démocratique. Des voix autorisées du Conseil ont rejeté la responsabilité de l’illégitimité du processus électoral sur les facultés qui n’ont pas su organiser des élections pour le renouvellement de leurs propres représentants au sein du Conseil. Comme quoi les facultés auraient été en principe, autonomes par rapport à l’Administration Centrale de l’UEH. Ces démocrates qui s’attachent charnellement aux dispositions constitutionnelles, ont pourtant feint d’oublier que l’autonomie est un attribut de l’UEH et non des facultés. En pratique, la réalité de fonctionnement des facultés contredit ce principe constitutionnel, car chacune d’elles fonctionne comme un espace de pouvoir personnel qui fait de l’UEH, une université de caciques. Dès que le Rectorat renonce à sa fonction de coordination des délégations facultaires, il devient un autre caciquat qui tend seulement à reproduire ses propres privilèges. C’est là , tout le drame de l’actuel Recteur qui voit en la candidature du Doyen de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, une menace à sa propre reproduction de cacique. Tout ceci n’est que l’expression d’une volonté de changer de personnalité dans la reproduction du culte des privilèges, puisque les deux postulants viennent de passer plus de quatre années au Conseil de l’Université sans impulser le processus de la réforme de l’université.

Cette contradiction semble dériver de la négation des luttes démocratiques et populaires qui ont permis de constituer le Conseil Elargi de l’Université. Dans l’université impériale de 1960, qui exécutait les ordres des Duvalier, le Conseil de l’Université s’érigeait en un club de doyens nommés par le président à vie de la République. Depuis la chute du régime le 7 février 1986, la participation des universitaires dans la gestion des entités de l’UEH, devenait un moyen d’autonomisation de l’éducation universitaire à l’égard des pouvoirs économique et politique. Le Conseil de l’Université, actuellement composé de doyens, de professeurs et d’étudiants, symboliserait un acquis de hautes luttes menées, entre 1986 et 1994, par la Fédération Nationale des Etudiants Haïtiens (FENEH), l’Association des Professeurs de l’Enseignement Supérieur (APESUP), l’Association des Enseignants de Port-au-Prince (AEP) et d’autres organisations démocratiques et populaires. Au lieu de réaliser l’autonomie de l’UEH, ce Conseil s’est autonomisé lui-même par rapport aux secteurs actifs de l’UEH qui n’ont pas cessé de revendiquer la réforme de la participation universitaire au bénéfice de la société en général, et des secteurs majoritaires de la population, en particulier. Le Conseil s’est donc isolé en s’éloignant dangereusement des revendications historiques de l’Université d’Etat d’Haïti.

L’isolement du Conseil de l’Université peut être pensé à partir de la pratique de division qu’il a intégrée dans son modèle de fonctionnement. Les facultés ne sont pas des entités que le Conseil oriente, contrôle et arbitre à travers le Conseil Exécutif, mais des écoles-fiefs placés sous l’autorité d’un cacique universitaire. Les étudiants se catégorisent dès lors, non par les disciplines dans lesquelles ils veulent se former, mais bien par leur appartenance à un fief. L’exemple le plus clair de cette division reste et demeure le refus du Conseil de Gestion de la Faculté des Sciences d’autoriser la tenue d’un forum sur la réforme universitaire, parce que cette activité dite extra-académique n’avait pas été introduite et coordonnée par l’association des étudiantes de la dite faculté ; l’autre exemple se rencontre dans le comportement d’étudiants de la Faculté d’Agronomie et de Médecine Vétérinaire, qui s’opposent à l’exécution de l’autorisation donnée par le Doyen Jean Vernet Henry, à la Fédération des Etudiants Universitaires Haïtiens (FEUH) pour l’utilisation du Campus de Damien aux fins d’organiser son Congrès annuel. Les opposants ont allégué qu’ils ont besoin de leur campus pour l’organisation de leurs propres activités.

Il semble que la dispersion de nos facultés est à l’origine de la conception aliénée de l’université d’Etat d’Haïti, mais les nouvelles technologies de communication défont cet argument, car elles permettent de gérer des mouvements à des milliers de kilomètres de distance. La question de la division comme principe de gestion de l’UEH, est plutôt un problème lié au complexe de supériorité des lettrés haïtiens et à la domination du capital. Historiquement, l’école haïtienne est sous la dominance de la pédagogie humaniste traditionnelle qui forme des élites propres à conserver l’ordre des choses. Dans notre formation sociale dépendante du capital, les relations pédagogiques sont fétichisées sous forme de compétence supérieure à vendre sur le marché. A l’université, l’extension comme mode de communication verticale, prend la place du dialogue et de la discussion. Le Conseil de l’Université revendiquait, par exemple, le dialogue comme moyen de résoudre la crise du 27 juillet 2002, parce qu’il avait considéré le pouvoir d’Etat comme étant supérieur à l’Université. Il a choisi le mépris à l’égard des étudiants, parce qu’il subalternise la raison de ces derniers. La lutte pour la réforme de l’université est donc un mouvement vers le dépassement de ce complexe de supériorité et de la dépendance au capital. Par la réforme, nous devons êtres capables de former des cadres réellement autonomes qui s’ouvrent aux autres et travaillent à la reconquête de la solidarité et de l’égalité manifestes de la Révolution trahie de 1804.

Le refus d’écouter les autres a renfermé le Conseil de l’Université dans ses prétentions de savoir absolu. Ainsi se croit-il investi du pouvoir de fétichiser la démocratie universitaire sous forme d’élections rectorales en niant superbement le contenu de l’autonomie universitaire. Quand il a refusé de dialoguer avec des étudiants qui mettent en question l’organisation d’élections viciées à la base, c’est encore l’esprit de séparation qui agit au détriment de la participation qui prône la coopération entre les composantes de l’UEH. L’identification du problème de l’UEH à une simple question académique qui se caractérise par un manque de ressources humaines et financières, participe du même processus de négation des autres, car cette problématisation dés-historicise la constitution du Conseil de l’Université qui a été institutionnalisé pour la réalisation de la démocratie universitaire totale où prendra confortablement place la pédagogie de la question, laquelle pédagogie devra inclure la coopération dans le travail didactique solidaire des travailleurs dans la société.

Le renfermement du Conseil de l’Université a amené l’interruption brutale des élections du 25 avril 2003. Les deux attitudes sont anti-universitaires. Maintenant, il ne s’agit pas d’ériger l’antériorité du premier comportement par rapport au second, en une relation purement logique, puisque la cause première est d’ordre sociologique ou pédagogico-politique (les deux acteurs agissant selon leur propre vision de l’université et de la société), mais il est plutôt question de ré-introduire la réforme dans les débats universitaires. En ce sens, toute prochaine élection doit insérer les enjeux de la réforme à l’agenda du processus électoral.

Pour un nouveau départ, les acteurs en conflit doivent se rencontrer ; le point de rencontre reste et demeure l’existence et la constitution du Conseil de l’Université comme organe de la Réforme Universitaire. Le Conseil aurait donc intérêt à lever son mot d’ordre unilatéral de grève contre les agissements d’étudiants de l’UEH. Comme Sénateurs de l’Académie, nos conseillers apprendraient ainsi à écouter la voix de la Raison Etudiante qu’ils n’ont pas cessé de former.

Jn Anil Louis-Juste

Fort-Jacques, 27 avril 2003.