Communiqué exprimant les inquiétudes et position de la PAPDA
suite à la réunion internationale sur le dossier haitien, le 23 mai 2006 à Brasilia
Rompre avec le CCI et la logique de l’intérimaire (ou de l’occupation) pour instaurer une perspective de construction nationale souveraine sur le long-terme
La Plateforme haïtienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif (PAPDA) tient à exprimer ses plus vives inquiétudes quant aux informations diffusées dans la presse relatant les conclusions de la réunion de Brasilia tenue le 23 mai dernier et qui a rassemblé des représentants de 16 pays et de 11 organismes internationaux dans une rencontre sur Haïti. Les questions du développement de notre pays continuent à être mal posées.
Tout d’abord soulignons que les conclusions annoncées ne répondent point à la nécessité d’une vraie ‘révision de la coopération internationale avec Haïti’ enchâssée aujourd’hui dans le fameux « Cadre de Coopération Intérimaire » (CCI).
Les conclusions de Brasilia déçoivent donc par leur manque d’innovation pour autant qu’elles ressassent les mêmes poncifs imposés par le passé. Elles s’inscrivent pour ainsi dire en droite ligne de la réunion de Bruxelles des 20-22 octobre qui proroge le CCI jusqu’à décembre 2007.
La prolongation du CCI [1]
se fera dans le cadre d’une connexion avec un programme type PRSP [2], tout en tenant compte de la récente intégration d’Haïti au club des HIPC / PPTE [3] (Pays Pauvres Très Endettés).
L’expérience des PRSP a démontré l’incapacité de ce type de programme a dynamisé un processus réel de développement des pays du Sud. Elle a partout renforcé la dépendance des économies des pays du Sud et le théâtre de la participation et de la consultation finit par conférer plus de pouvoir aux Institutions de Bretton Woods sur la définition des politiques nationales de développement.
Au cours de la Conférence de Brasilia une annonce officielle a été faite concernant l’intégration d’Haïti dans le groupe des PPTE. Selon une étude récente réalisée par l’ Independent Evaluation Group (IEG ) [4]
basé à Washington, le Programme PPTE qui a démarré en 1996, suite aux pressions exercées par les mouvements de citoyens et citoyennes à travers le monde, constitue un échec flagrant :
a) Parmi les pays PPTE (+ ou - 40 pays), 29 ont atteint le point de décision et 18 le point d’achèvement après avoir entrepris de drastiques réformes inspirées de l’orthodoxie néolibérale
b) 19 milliards de dollars US ont été accordés comme réduction du stock de dette externe publique de ces 18 pays
c) Pour la moitié de ces 18 pays la situation d’endettement est la même et parfois plus grave que celle qui existait avant la mise en place du programme
d) Pour 11 de ces 18 pays la dette publique externe est aujourd’hui plus élevée
e) Pour 8 de ces pays (Rwanda, Ethiopie, Uganda, Tanzanie, Mauritanie, Burkina Faso, Ghana et Mali) le ratio Dette / Exportations dépasse les 150% malgré l’allègement obtenu
f) Les 18 pays concernés par les allègements obtenus dans le cadre du programme HIPC / PPTE ne seront pas en mesure d’atteindre les objectifs de développement du millénaire fixés pour l’horizon 2015 et sont encore très vulnérables face aux chocs externes.
Soulignons que les décaissements de l’ordre de 900 millions de dollars US et les nombreux projets et programmes soutenus par ce financement n’ont produit aucun résultat de nature à relancer l’économie nationale vers les chemins de la croissance et montrent ainsi l’incapacité totale de cette stratégie à répondre aux besoins de restructuration des services de base et des institutions étatiques.
Rappelons également que près d’une centaine d’organisations de la société civile s’étaient clairement prononcées au cours de la période mai-juillet 2004 contre les choix contenus dans le CCI. Elles avaient alors appuyé leur contestation par la publication d’une série de documents d’analyse approfondie dénonçant le cadre adopté les 19 et 20 juillet 2004.
L’échec du CCI ne peut plus être maquillé aujourd’hui. Les différents exercices d’évaluation réalisés par les Institutions Internationales et l’Etat haïtien montrent des résultats médiocres très en-deça des objectifs fixés [5]. Les bilans publiés au cours des 8 derniers mois sur l’économie haïtienne (par le FMI, la CEPAL, la Banque Centrale, le CNSA, la PFNSA etc.) s’accordent pour signaler une croissance largement insuffisante, une aggravation de la pauvreté, une détérioration des conditions de vie de la population exposée à une brutale érosion de leur pouvoir d’achat. Haïti a enregistré un taux de croissance de 1.5% du PIB inférieur à la croissance de la population, tandis que nous avons payé plus 101 millions de dollars au titre de versements du service de la dette. Le Gouvernement intérimaire a enregistré un déficit fiscal de l’ordre de 4.5% du PIB et 76% de la population rurale survit difficilement avec moins de 1 $ US par jour. Aucun programme de création massive d’emplois n’a été déclenché malgré les promesses solennelles de l’ancien Premier Ministre Gérard Latortue.
Le CCI a également échoué dans ses objectifs de fournir de nouveaux mécanismes de coordination de la coopération internationale en Haïti. L’expérience de ces 2 dernières années montre un échec total dans ce domaine. Les réponses fournies par la communauté des « bailleurs » sont trop souvent incohérentes, faibles et désarticulées. La succession de réunions internationales coûteuses et sans grande efficacité (Washington, juillet 2004 / Cayenne, mars 2005 / Montréal, juillet 2005 / Bruxelles, octobre 2005 / Brasilia, mai 2006) cache mal les rivalités entre les puissances et les intérêts divergents. On a assisté au cours de ces 2 dernières années à une inflation d’unités d’exécution et à un gaspillage de ressources. La majorité des ‘Tables sectorielles’ n’a pas fonctionné de manière satisfaisante et les représentants de la société civile au COCCI [6] ne se sont jamais réunis avec les organismes de la société qu’ils sont censés représentés. Ces mécanismes aboutissent à des effets médiocres de saupoudrage et au lieu d’améliorer les capacités d’intervention, de planification et de coordination de l’Etat ont contribué à aggraver les défaillances et les dysfonctionnements des instances étatiques.
Il nous faut sortir du CCI et du paradigme de l’étiquette d’un Etat en faillite dont on veut nous affubler souvent sans justification. Il faut reconquérir notre souveraineté et le droit de définir nos options et nos stratégies de développement.
La sortie de crise et l’amorce d’un processus réel de construction nationale exigent une rupture responsable avec les habitudes du passé. Le CCI doit être enterré. Cela n’implique pas l’arrêt de l’exécution de tous les projets engagés. Certaines actions doivent être maintenues mais dans le cadre de nouvelles priorités et d’une nouvelle vision du développement national. Il faut sortir de la logique du CCI et entrer résolument dans une perspective de construction économique et institutionnelle de long terme. Nous ne sommes plus dans une situation intérimaire. C’est un cadre conceptuel inadapté. Il faut avoir le courage de rompre avec les recettes néolibérales et construire de nouvelles politiques économiques et sociales qui sont en cohérence avec la satisfaction des besoins essentiels de la population et les défis qui se présentent au Peuple haïtien au XXIème siècle.
Le Peuple haïtien a clairement exprimé le 7 février 2006 sa volonté de changement et de reprise en main de sa souveraineté. Les récentes déclarations insultantes du nouveau patron de la MINUSTAH, le Guatémaltèque Edmond Mulet, « Nous devrons conclure des contrats avec des fonctionnaires internationaux parce que il n’y a pas de fonctionnaires haïtiens. Nous devrons faire venir des juges de pays francophones, de France, du Québec et d’Afrique qui maîtrisent plus ou moins le système juridique français », montrent que nous sommes encore très loin de cet objectif. Il est inconcevable que le CCI, qui a été mis en place - 2 ans plus tôt - sans participation réelle de la population et qui réaffirme les orientations néolibérales qui sont en grande partie responsables de l’effondrement économique actuel de notre pays, ait été simplement prolongé au mépris de la volonté clairement exprimée par le Peuple haïtien.
Une réunion décisive des IFIs, de l’ONU et des principaux partenaires d’Haïti se tiendra à Port-au-Prince le 25 juillet prochain. Nous appelons les responsables haïtiens à saisir cette opportunité pour exiger une évaluation approfondie et participative du CCI tout en tentant de réorienter les logiques imposées par les IFIs et les grandes puissances. Nous appelons les citoyens et les citoyennes de même que les organisations de tous les secteurs de la société à se mobiliser pour faire entendre la voix des exploités et des exclus de toujours afin de mettre en place de nouvelles orientations conformes aux défis du moment et aux besoins de refondation de notre nation. Evitons de garder un silence qui ne serait qu’une complicité avec les plans de destruction de notre pays et de notre économie.
Camille Chalmers
Directeur Exécutif de la PAPDA
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[1] Cadre de Coopération Intérimaire : Document définissant les principales options de l’action gouvernementale au cours de la période de transition et constituant le cadre de référence pour la réalisation des programmes et projets de développement. Décidé en mars 2004 ce document est élaboré avec la participation de nombreux experts étrangers et des cadres de l’administration publique haïtienne sans une réelle participation des secteurs vitaux de la société haïtienne. Plus de 800 millions de dollars ont été décaissés dans le cadre du CCI avec un rythme souvent illogique et sans impact visible sur la grande pauvreté des masses haïtiennes. Approuvé le 20 juillet 2004 il reflète les priorités et les orientations traditionnelles des politiques imposées par les IFIs.
[2] Poverty Reduction strategy Paper traduit en français par Cadre Stratégique de Lutte contre la Pauvreté (CSLP) ou Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP). Il s’agit d’une nouvelle méthodologie mise en place depuis août 1999 par le FMI et la BM qui insiste sur une perspective de long-terme, cible des politiques concrètes visant à réduire la pauvreté et met l’accent sur la participation de la société civile surtout dans la définition des politiques sectorielles.
[3] Highly Indebted Poor Countries (HIPC) ou Pays pauvres Très endettés en français (PPTE). Ce programme établi en 1996 et modifié en 1999 lors de la grande mobilisation citoyenne de Cologne face au G8 (HIPC II) fonctionne à partir d’une liste d’une quarantaine de pays sélectionnés en fonction de leur incapacité à continuer à honorer le service de la dette externe. Cette sélection est faite sur la base de seuils d’un ensemble de ratios notamment Dette/recettes d’exportation.
[4] Ce groupe relève du Département d’évaluation des Opérations (OED) est un mécanisme d’audit interne de la BM. C’est un « organe de contrôle interne de la Banque mondiale, indépendant de la Direction. Il relève directement du Conseil des administrateurs de la Banque mondiale. L’OED détermine si les actions menées sont couronnées de succès ou non. Il évalue en outre les mesures envisagées par l’emprunteur pour exécuter un projet et en garantir la pérennité, ainsi que la contribution durable de la Banque au développement général d’un pays. L’évaluation a pour but de tirer les leçons de l’expérience acquise, de fournir une base objective pour l’évaluation des résultats des interventions de la Banque, et de favoriser la mise en jeu de sa responsabilité dans la réalisation de ses objectifs »
[5] Voir notamment l’évaluation publiée le 13 octobre 2005 par la cellule de coordination stratégique de la primature. Ce rapport malgré un ton plutôt complaisant dénonce la « rigidité des procédures de décaissement des bailleurs de fonds » et constate que : « Les objectifs fixés et les cibles retenues n’ont pas été atteints suivant ce qui était prévu dans le calendrier ». Les résultats sont évalués à moins de 30% des objectifs plus de 18 mois après la réunion de Washington des 19 et 20 juillet 2004
[6] Le Comité Conjoint de Coordination et de suivi de la mise en œuvre du CCI (COCCI) mis en place en octobre 2005 est composé de 3 ‘représentants’ de la société désignés par le Premier Ministre. Ces 3 personnalités n’ont jamais fait un rapport de leurs activités à ceux qu’ils sont supposés représenter.