Par Ladenson Fleurival, envoyé spécial de l’agence AlterPresse à Miragoane (Sud-ouest d’Haiti)
(Agence Monde noir) Abandonné par ses parents depuis 18 mois, le petit Fidélito survit grâce aux bons samaritains de l’hôpital Sainte-Thérèse de Miragoâne. Mais l’hôpital, lui, est encore plus oublié que le petit orphelin.
On ne sait trop rien sur l’âge exact de Fidélito, ni sur les auteurs de ses jours. Un quidam rapporte que son géniteur est pour l’instant en prison à L’Anse-à -Veau. Quant à sa mère, aucune trace... Ce qui n’empêche pas Fidélito de sourire de tous ses yeux au fond du petit lit de l’hôpital Sainte-Thérèse de Miragoane, qui l’a accueilli il y a un an et demi et qui le garde depuis. Arrivé sans aucun papier d’identité, le bambin a aujourd’hui un prénom grâce au personnel. Le directeur médical du centre hospitalier, le docteur Jacques Laroche, craint pour la santé de l’enfant, manifestement à l’étroit dans son lit minuscule. ‘’Le petit contracte déjà l’hospitalisme chronique’’, soupire ce fils de Miragoâne, en poste depuis 2001.
L’infortuné Fidélito n’est pas le seul à avoir été largué par ses proches. Le centre hospitalier qui l’accueille est, lui, abandonné par l’Etat haïtien : ses installations sont désuètes, le personnel est mal payé, l’environnement malsain, les ambulances sont en panne...à€ maints égards, l’hôpital Sainte-Thérèse de Miragoâne semble plus mal en point que les malades qui s’entassent à l’urgence ou dans ses salles décrépites. Le directeur médical ne se gêne d’ailleurs pas une seconde pour dénoncer la gravité de la situation qui prévaut aujourd’hui dans le seul centre hospitalier du département des Nippes. ‘’Les conditions hygiéniques sont déplorables, dit-il. Alors que la malaria est à l’état endémique en Haïti, de l’eau stagne constamment dans l’arrière-cour de l’hôpital.’’
Les ressources humaines et le matériel de fonctionnement sont à l’avenant. Le centre hospitalier ne dispose que d’un seul véhicule. La cour est bondée de véhicules en panne, dont deux ambulances, qui lui donnent l’allure d’un cimetière d’automobiles. La sécurité et l’intimité des lieux sont loin d’être garanties. Animaux et chiens errants folâtrent allègrement au milieu des patients et des visiteurs à longueur de journée. Jacques Laroche en rejette la responsabilité sur le ministère de la Santé publique qui, selon lui, traite les Nippes en ‘’parent pauvre’’ en matière de santé publique : ‘’Nous avons multiplié les contacts avec les autorités de la direction départementale des Nippes et du ministère sur l’état déplorable du bâtiment. Sans succès.’’
Le docteur se plaint notamment du maigre budget alloué pour le fonctionnement de l’hôpital.’’ L’Etat alloue mensuellement 3 000 gourdes pour l’achat de carburant devant alimenter le centre hospitalier et la direction départementale et 33 000 gourdes à la pharmacie. Le pire, c’est que ces montants n’arrivent pas à temps’’ s’indigne-t-il.
Pas étonnant que l’hôpital doive exiger une contribution des patients. Ainsi, une césarienne coûte 5 000 gourdes, une somme que les bénéficiaires sont rarement en mesure de payer. ‘’ Dans la majorité des cas, les clients nouvellement traités ne reviennent plus honorer leurs engagements’’, dit-il. Les recettes internes varient entre 120 000 et 150 000 gourdes par mois alors que les dépenses réelles atteignent le double. En butte à d’insolubles difficultés économiques et financières, l’hôpital n’a d’autre choix que de contracter des dettes auprès des fournisseurs qui, avoue le docteur Laroche, ne ‘’ménagent guère leur langue’’ quand l’administration ne peut régler ses créances à la fin du mois...
Construit en 1980, l’hôpital Sainte-Thérèse était, à l’origine, un dispensaire. Aujourd’hui, il s’occupe en principe de la santé de 300 000 personnes, dont les 60 000 de la seule commune de Miragoâne. Des chiffres qui dépassent largement les possibilités humaines et physiques de l’hôpital, dont l’accessibilité universelle est loin d’être garantie. ‘’Le ministère de la Santé publique a nommé seulement 3 médecins pour le centre hospitalier, qui dispose des services de base comme la médecine interne, l’obstétrique/gynécologie, la chirurgie et la pédiatrie’’, explique le directeur médical qui se plaint de ce que le personnel de fonctionnement soit composé en grande partie d’agents temporaires, de coopérants, d’infirmières, d’auxiliaires et de stagiaires. Le centre offre aussi des services de radiologie et de laboratoire et met à la disposition des malades une pharmacie qui, la majeure partie du temps, est désespérément vide. ‘’ La situation serait pire sans la présence des deux médecins cubains’’ ajoute-t-il, reconnaissant.
L’établissement reçoit en moyenne de 20 000 à 25 000 patients par an, parmi lesquels 6 000 femmes enceintes. Ces patients font face à des maladies spécifiques comme la malnutrition, la diarrhée ou les infections respiratoires chez les enfants, toutes des altérations de l’organisme qui dessinent fidèlement le portrait de la misère endémique dans la région. ‘’ Il faut aussi ajouter le Vih/Sida, dont le taux de prévalence atteint le chiffre record de 9% alors qu’il est de 4% dans le reste du pays, s’indigne-t-il. Cette infection concentrée au début dans les villes a tendance à gagner les montagnes ces jours-ci. Heureusement, le President’s Emergency Plan For Aids Relief (PEPFAR - un programme du gouvernement des Etats-Unis d’Amérique (ndlr) - met en place un programme de dépistage.’’
Une frange de la population évite aussi l’hôpital, offusquée par le manque de discrétion du personnel. ‘’ Un problème réel qui a tendance à disparaître car nous l’avons énergiquement combattu’’, rétorque le docteur en chef, conscient des critiques d’une bonne partie de la population de Miragoâne qui se plaint, en plus, de l’état lamentable de l’hôpital. ‘’ Si vous êtes malades, allez tout de suite à Port-au-Prince ‘’, conseille d’ailleurs un débardeur courroucé.
Josué Dorival, président du Syndicat des débardeurs de Miragoâne, et donc conscient des recettes collectées, estime en effet que la première ville du département des Nippes pourrait s’autogérer à partir de taxes perçues dans le seul port. Et faire vivre décemment un hôpital. ‘’Mais c’est tout le contraire qui se produit, se plaint-il. Chaque vendredi, des hommes venant de la capitale, lourdement armés et prêts à tirer au moindre geste, viennent recueillir les sommes accumulées et repartent avec l’argent.’’
L’Amicale des travailleurs de Presse de Miragoâne est très critique, elle aussi. ‘’Les responsables de l’hôpital se sentent confortables dans cette situation et s’arrangent avec Port-au-Prince pour que cela dure, prétend l’un de ses membres qui réclame l’anonymat. Sinon, ils auraient plié bagage depuis longtemps car, dans les faits, l’hôpital ne fonctionne pas’’. Mais où irait alors Fidélito ?
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