Mise au point sur trois schèmes identitaires
Par Camille Loty Malebranche
Texte soumis à AlterPresse le 1er juin 2006
Je tiens à préciser dès l’abord du concept d’identité, que je n’aborderai pas dans ce qui suit, l’identité génétique des espèces qu’étudie la phylogenèse ni celle encore génétique des individus des espèces, qui intéresse l’ontogenèse ; mais l’aspect humano-social du sujet.
Pour parler de l’identité, il faut commencer par interroger le concept lui-même dans son sens sémantique. L’identité est qui permet de distinguer entre tous les différents et tous les ressemblants, tel être particulier à cause de ses caractéristiques spécifiques et uniques. Derrida nous dit dans la grandiloquence qu’on lui connaît, mais qui parfois précise de manière claire le sens des concepts : « l’identité, c’est ce qui diffère de la différence ». Pour moi, l’identité est l’inextensible marque emblématique du substratum d’un être, (d’un étant [L’étant est tout être particulier considéré comme part de l’àŠtre qui est la grande présence que constitue le Monde, l’Univers...]], d’une entité) pris en soi parmi tous. C’est donc l’altérité unique, donc l’unicité parmi toutes les altérités possibles. Il s’agit vraiment de la force expressive spécifique à l’être (l’étant) identifié.
Au-delà des grandes querelles qui agitent la bannière théorique (philosophique, anthropologique) et pratique (politique) de l’identité comme mode d’être étatico-national, nous devons préciser ce qui suit, l’identité connaît trois grands schèmes de manifestation à l’échelle de la vie collective dans le contexte des Etats-Nations :
A) l’identité culturelle populaire.
B) l’identité culturelle nationale.
C) l’identité politico-étatique.
A. L’identité culturelle populaire est la composante la plus faible de l’identité des communautés. Il s’agit de cette part flexible et manipulable de l’identité. Elle est constituée des manières d’être dues à l’évolution scientifiques techniques, technologiques qui transforment constamment les aspects pratiques de la vie sociale, tels les moyens de communication (la téléphonie, l’Internet, la télévision interactive), la mode vestimentaire et ménagère (gadgets électroménagers), les formes du transport privé et public (voitures, trains à grande vitesse, métros), la perception du corps (l’obsession de la minceur, par exemple), les soucis écologiques, les droits individuels, la libéralisme sexuel, le féminisme, les droits des minorités, les droits des enfants, les droits des homosexuels, la condamnation formelle du racisme, bref, la démocratie par la liberté d’expression et le respect institutionnel des droits à la différence...
Tout cela est évidemment, désormais d’expansion sinon planétaire mais à tout le moins, dans la grande majorité des pays et ne peut souffrir de répression au moins au niveau des discours officiels, des chartes onusiennes et des revendications juridico-légales nationales et internationales. Les peuples, même au niveau de leurs plus petits ressortissants, exigent ces acquis et vivent selon eux. C’est la méga culture populaire standardisée malgré les énormes différences entre les cultures nationales.
B. L’identité culturelle nationale est d’abord celle de la société, de ses composantes ethniques fondues dans l’histoire, c’est donc celle du rapport à soi de l’ensemble social malgré les particularités internes qui peuvent exister selon que la société soit multiethnique ou non. L’identité culturelle nationale donc, est l’espace de la manifestation de soi d’un peuple en tant que mégalithe social exprimant sa weltanschauung [1], ses rapports à soi et à autrui par-delà l’assumation différente de cette weltanschauung à l’intérieur des différentes classes sociales. Elle comporte donc le discours du sens de la société à travers les domaines de ce rapport à soi, à la nature et à autrui tel que susdit. Les langues, les mythes, les religions, les manières de penser et de réagir face aux inéluctables existentiels tels la naissance, la mort..., voire les éléments culinaires (malgré l’invasion du fast food ou des flocons de céréales en boîte), la relation entre les sexes etc...
Cette face de la culture, la nationale donc, est de loin plus rigide, plus imperméable, et plus durable que la culture populaire extrêmement flexible parce que hypermédiatisée et influencée par la télévision et les autres médiums de communication de masse. Il faut remarquer que l’identité culturelle nationale est si fortement ancrée dans les sociétés que si dans un ensemble étatico-national multiethnique, telle société ou ethnie est trop différente, elle finit par déboucher sur le sécessionnisme, l’indépendantisme voire le nationalisme qui peut aller à la friction politique dans les meilleurs cas (Québec-Canada) mais parfois jusqu’au bellicisme et au « terrorisme » (Pays Basque-Espagne).
C. L’identité étatico-nationale est celle politique et juridico-légale que les élites, les gouvernants impriment à l’Etat. D’abord, elle passe par la Constitution. L’Etat y dit clairement s’il est une monarchie ou une république. Ensuite, elle est déterminée par la vocation que les politiques en cours donnent à l’Etat. L’orientation économique, l’organisation de la société, les manières de définir sa diplomatie, voilà l’effigie de cette identité complexe que l’Etat détermine. D’où elle peut facilement changer par une action d’éclat de l’élite dirigeante ou du peuple. Par exemple, la Russie, d’abord, monarchique sous les tsars Romanov pendant des siècles, est devenue en 1917 une république socialiste sous la houlette de Lénine, phare de la révolution marxiste et centralisatrice de ce qu’on a appelée la fameuse Union Soviétique. Puis, la même Russie, tout en gardant le tracé républicain, s’est transformée - sous la trique de la perestroïka de Gorbatchev, et ensuite par la politique d’Eltsine - en une république capitaliste hors de l’union qui a éclaté.
C’est donc, susdit, ma saisie du vocable d’identité, que je tiens à soutenir, étant donné les nombreuses lettres interrogatives reçues de la part de lecteurs qui m’ont demandé à éclaircir mes propos tenus sur le même thème de l’Identité dans un précédent article sur les mythes fondateurs haïtiens, et que je propose comme canevas d’exploration conceptuelle de l’identité collective !
[1] La weltanschauung est la vision du monde, manière de voir et de concevoir l’àŠtre et les étants.