Une mise au point en réponse aux articles de mon ami Pascal Lundy parus dans les numéros 36907, 36908, 36909 et 36911 de Le Nouvelliste en avril et mai 2004 et dans l’édition en ligne d’AlterPresse du mardi 25 avril 2006
Par Sergot JACOB [1]
I. Introduction
Quand en avril-mai 2004, mon ami agro-économiste Pascal Lundy publiait son article dans Le Nouvelliste sous le titre « Pourquoi les politiques néo-libérales ont-elles échoué en Haïti ? Et après, que faire ? », j’avais bien noté mes objections, relevé certaines incohérences et souligné des parties et fragments de mon mémoire de Master (entendez Master’s thesis dans la terminologie belge) en « Gestion et Evaluation de projets » à l’Université d’Anvers en Belgique et de mes autres publications qu’il s’est appropriés sans me citer, mais également d’autres parties qu’il a citées improprement, c’est-à -dire en déformant ma pensée originelle. Cependant, « contre mauvaise fortune, j’avais fait bon cœur » en décidant de ne pas réagir me disant qu’il n’a peut-être pas compris ou a mal lu mon travail. Pourtant, dans la matinée du 17 mai 2006 en naviguant sur le Net, je me suis rendu compte que j’ai été cité dans plusieurs publications récentes. Et, l’une de ces citations est de mon collègue Pascal Lundy qui a récidivé en publiant chez le Réseau alternatif haïtien d’information en ligne AlterPresse (http://alterpresse.org/article.php3?id_article=4538) un nouvel article, cette fois-ci sous le titre « Retour sur les causes de l’échec des programmes d’ajustement structurel (PAS) en Haïti, Quelques considérations sur les perspectives actuelles », censé revisiter son papier de 2004. Il faut d’ailleurs reconnaître l’effort de notre collègue pour améliorer la qualité de son papier. Mais le papier revisité n’est pas - comme le premier d’ailleurs - sans susciter quelques objections et désaccords. Et plus curieux encore est que dans le premier texte, il m’attribue des propos (que je ne peux accepter tant leur dénaturation est grande) qui ne sont plus les mêmes dans le second texte, comme quoi, s’il relit mon texte avant chacune de ses publications, il le comprend différemment à chaque fois. Bizarre ! En plus, je reconnais encore dans ce texte - comme dans d’autres qu’il a publiés - certaines parties de mon travail (fait en 2000) qui ont été reproduites texto encore une fois sans être citées, ce en violation des règles élémentaires de la rédaction scientifique. [2] Je reviendrais plus tard au besoin sur ces aspects.
Le but de cette mise au point n’est pas d’engager avec mon confrère une polémique, tant s’en faut. Il s’agit simplement de mettre en garde le lecteur par rapport à ce qu’on lui fait lire et de relever quelques erreurs dans la partie que mon collègue et ami me prête à tort. Je ferai naturellement l’effort de ne pas polluer mes réflexions d’une quelconque idéologie afin d’être plus objectif. Mais le lecteur attentif à mon regard se rendra compte d’emblée que mes propos ne sont pas neutres.
En dehors des quelques objections, incohérences et contradictions, que l’on peut relever dans les deux textes de Pascal Lundy, il faut voir dans ces publications un effort en termes d’une révision commentée et critique de la littérature. Cela en soi peut être utile au lecteur qui s’intéresse aux politiques publiques menées dans notre pays en ce sens qu’il aurait en un seul document l’opinion de plusieurs chercheurs. Seulement voilà : notre collègue échoue à respecter les règles de base de la publication internationale. Voici texto le paragraphe des deux textes de Pascal Lundy qui m’a surtout déterminé à faire cette mise au point aujourd’hui :
[« Le manque de réussite de l’ajustement structurel en Haïti ne peut s’expliquer que par les difficultés de leur mise en œuvre effective dues essentiellement aux turbulences internes et conjoncturelles qui ont handicapé leur efficacité » insiste S. JACOB dans un travail académique sur les impacts de ces programmes en Haïti [8]. Ce qui est contestable dans la mesure où ces politiques ont toujours été lancées, pour une raison ou non, au cours des périodes de fortes instabilités et d’incertitudes.]
D’abord, tout lecteur scientifique sait d’ailleurs, une phrase citée entre guillemets sous-entend qu’elle n’a été nullement modifiée (disons de préférence « traficotée ») et qu’elle est donc celle de l’auteur cité. Cependant, notre cher agro-économiste est mis au défi de nous trouver la page dans laquelle j’ai écrit ces propos (ce qu’il a sans doute sciemment éviter de faire). Donc, le lecteur retiendra que cette phrase n’est pas mienne. Cela dit, ce que notre collègue conteste dans la deuxième phrase de son paragraphe, c’est son propre raisonnement : auquel cas, il s’agit en l’espèce d’un cas d’« auto-flagellation ». Bien que la contestation formulée (sur son propre raisonnement) comporte en soi un problème technique, je ne me prononcerai pas là -dessus pour les raisons que je viens d’évoquer. Toutefois, le lecteur avisé qui posera ce problème dans des termes appropriés se rendra compte aisément d’une influence réciproque entre les turbulences socio-politique et l’application des PAS. Elles se sont donc influencées mutuellement. En fait, les programmes ont été signés à des moments où on tablait sur un certain calme sociopolitique, et par la suite, ils ont été interrompus en raison de ce que j’ai préféré appeler dès le départ (en 2000) des « turbulences socio-politiques » pour « être reconduites sous la pression financière renouvelée » (Jacob, 2000 :80). Techniquement, on parlera alors d’une causalité bi-directionnelle, mieux qu’une simple corrélation quand il s’agira de traiter de ce que j’ai appelé la « faisabilité socio-politico-institutionnelle » ou « l’économie politique » de l’ajustement structurel en Haïti. C’est moi qui, en 2000 (p. viii, p.82), en 2002 (p.101) et après, ai clairement et scientifiquement établi que des obstacles conjoncturels et structurels, de nature sociale, économique, politique, institutionnelle, d’origine interne et externe « ont handicapé le calendrier, la cohérence, la continuité et partant, l’efficacité des réformes économiques mises en œuvre durant ces 20 dernières années » (je remercie le lecteur de bien suivre mon regard). Mais, laissons ce débat de côté, puisqu’il déborde le cadre des propos que je suis venu tenir ici. Le lecteur intéressé lira la section « L’économie politique de l’ajustement structurel en Haïti » de mon papier publié chez L’Harmattan et Centre Tricontinental (Paris, Hongrie et Italia, et Louvain-la-Neuve) : [``Impact des ajustements structurels sur le secteur agricole en Haïti``. In : Question agraire et Mondialisation. Alternatives Sud, Vol. IX (2002) 4, pp. 99-117, Cahiers édités par le Centre Tricontinental. (Résumé disponible en français et en anglais sur le site : www.cetri.be). Revue à comité de lecture international].
Ayant publié (en 2000, 2001, 2002, 2003, 2004 et 2006) plusieurs dossiers individuels complets ou contributions à des ouvrages ou revues spécialisées sur le sujet que le lecteur intéressé pourra télécharger ou se procurer à partir des pages Web suivantes :
www.cetri.be ;
http://forum.inter-reseaux.net/spip_redirect.php3?id_article=152 ;
http://www.ired.org/modules/iredforum/show.php?id=7&idjour=1 ;
http://www.Collectif Haïti-Nouvelles Images d’Haïti.htm,
je vais seulement me contenter ici d’une simple mise au point telle que précédemment annoncée.
II. De la difficulté d’évaluer des PAS
On le sait désormais : il n’y a rien de « structurel » dans les « Politiques d’Ajustement Structurel » dont les échecs ici et là à travers le monde ont entraîné qu’elles soient rebaptisées à plusieurs reprises durant les 20 à 25 dernières années qui en ont vues d’ailleurs plusieurs générations. Depuis quelques années, on constate qu’elles comportent même une composante « Réduction de la Pauvreté », c’est dire que leurs concepteurs se rendent compte de bien des choses.
Les PAS sont en réalité des programmes assez complexes pour lesquels une mesure d’impact net échappe souvent au non spécialiste. Et, souvent on leur attribue à tort tous les maux des pays qui les appliquent. Il faut d’emblée reconnaître qu’il n’est pas très aisé d’évaluer de tels programmes. Différentes approches existent en effet : les tests « avant-après », la comparaison binaire (tests « avec-sans » sur des groupes de pays), la modélisation, ... Si chacune de ces méthodologies présente des avantages, il n’en demeure pas moins vrai qu’elle souffre également d’inconvénients. L’originalité de ma démarche - que je ne pourrai qu’ébaucher ici - a consisté en une application de la méthode « Avec-Sans » empruntée aux sciences sociales. Or, étant entendu l’impossibilité d’observer la situation « contrefactuelle » en Haïti, c’est-à -dire la mesure du scénario « sans efforts d’ajustement » se rapportant aux tendances macro-économiques qui se seraient manifestées si aucune politique d’ajustement n’avait été mise en œuvre, j’ai recouru à une comparaison entre Haïti et d’autres pays en Afrique et en Amérique Latine aux conditions initiales comparables au début des années 80, et qui se sont lancés sur la voie de l’ajustement tout en bénéficiant de conditions socio-politiques et institutionnelles beaucoup plus favorables. Mes résultats sont en effet concluants sur la base des indicateurs censés représenter les témoins de l’efficacité des PAS. Voyons d’abord ce que je pense.
III. Ma thèse, ma position personnelle et mes conclusions
Je n’ai pas besoin en réalité de défendre ma position puisque ce travail de Master a, disons-le, bien fait sa vie indépendamment de la mienne dans le milieu spécialisé et s’explique tout seul au lecteur qui cherche à le comprendre. Pour la « petite histoire », on retiendra qu’il a été soutenu publiquement le 04 décembre 2000 et m’a valu, le 19 décembre 2000, au nom d’Haïti et des Amériques le « Prix de la Province d’Anvers pour la Coopération Internationale Belge au Développement en 2000 » pour la meilleure Master’s thesis de l’année 2000 à l’Université d’Anvers. C’est au demeurant la seule fois que ce prix créé depuis plusieurs décennies déjà est venu sur ce continent. Même quatre ans après, j’étais informé que ce travail était encore pris en référence pour comparer les recherches en développement international de plusieurs instituts européens de développement.
Mais, il n’est pas superflu que je revienne sur quelques points importants qui peuvent clarifier pour le lecteur les aspects sur lesquels on lui a induit en erreur. Voici texto l’hypothèse de travail que je me suis appliqué à vérifier et de fait que j’ai vérifié avec des données objectives [3] (Jacob, 2000 : 7) [4].
« Le manque de réussite ou l’insuccès relatif des efforts d’ajustement réalisés jusque-là en Haïti est dû à une combinaison de perturbations internes (pour la plupart conjoncturelles) à la fois économiques et - surtout - non économiques ou socio-politiques (instabilité politique, contraintes sociales, insuffisances institutionnelles), mais également externes (détérioration des conditions de l’échange international, embargo commercial, évolution de l’aide). »
Le lecteur-analyste averti n’a qu’à juxtaposer la première citation (que nous prête notre collègue) à celle-ci et se rendra aisément compte que cette hypothèse, qui n’a pas été infirmée par la réalité des faits et les données disponibles, n’autorise pas à écrire la « citation de Lundy » qui en fait correspond à une vision manichéenne des choses totalement différente de ce que je crois, pense et également de ce que j’ai démontré et publié.
Ce travail - qui ne se prétendait nullement d’être exhaustif - s’est fixé comme objectif majeur d’étudier et d’évaluer les impacts des efforts d’ajustement réalisés en Haïti depuis le début des années 80. N’ayant pas pu mener une recherche du type « AVEC ou SANS » efforts d’ajustement pour des raisons déjà évoquées, la comparaison avec d’autres pays engagés sur la voie de l’ajustement et qui ont bénéficié de meilleures conditions d’application de ces programmes a apporté des éléments très instructifs sur ces politiques publiques. Les sections suivantes sont puisées texto de mes conclusions en 2000 (Op. cit. pp. 80-82). Je demanderais au lecteur d’être suffisamment attentif aux parties notamment en gras et de se faire une conclusion personnelle quand il aura lu le texte de mon ami Lundy.
Il ressort de cette étude que la mise en œuvre de chacun des programmes de réformes adoptés en Haïti a été entachée de turbulences pour la plupart internes et conjoncturelles qui ont handicapé l’efficacité des mesures. Ces facteurs ont rendu vulnérables les réformes et paralysé leurs impacts nets. La croissance économique reste lente et aléatoire. Les équilibres macro-économiques n’existent pas encore. Les déficits de la balance des paiements sont persistants et croissants. L’offre globale des biens échangeables (en particulier dans le secteur de l’agriculture) a périclité et la production agro-alimentaire a régressé. Les ratios investissement/PIB et épargne/PIB, déjà faibles, le sont restés. Les salaires réels ont baissé de manière continue. Les mesures de libéralisation ont amplifié les inégalités de revenus entre les secteurs urbain et rural en pénalisant beaucoup plus directement les détenteurs des revenus agricoles. La qualité de vie et les services sociaux ne se sont pas améliorés. En outre, malgré une certaine attention accordée à la dimension sociale dans les accords de Facilité d’Ajustement Structurel Renforcé (FASR), les indicateurs concernés ne vont pas dans le bon sens. La crise socio-politique et la détérioration institutionnelle en sont les principales causes. Cette instabilité interne s’est doublée d’une instabilité externe en termes d’aide publique au développement qui rend encore plus précaires les résultats.
Il en ressort également que l’engagement politique du pays est faible en ce qui concerne les accords conclus. Plusieurs fois, les mesures d’austérité ont été suspendues sous la pression socio-politique pour être reconduites sous la pression financière renouvelée, ce qui a contribué à aggraver leurs coûts humains. Les avancées ont été bien souvent anéanties par des reculs. La mise en œuvre des politiques économiques ne s’est donc pas inscrite dans une logique durable et planifiée en anticipant leur suspension par une implication des entités concernées directement ou indirectement.
Au terme de cette analyse, la situation se révèle précaire et fragile, et la dépendance du pays de l’aide extérieure est de plus en plus accrue. Toutefois, les efforts d’ajustement ont influencé sur une courte durée de manière significative au moins deux phénomènes particuliers : l’inflation et le taux de change, même si ceux-ci restent encore pour le moins instables. La croissance économique en Haïti semble finalement n’avoir été qu’un phénomène de courte durée, soit de 1975 à 1980. Tout porte à croire pourtant que l’ajustement aurait donné de meilleurs résultats en Haïti s’il n’avait pas été trop perturbé par les événements socio-politiques interférents. Il convient alors d’admettre que si certaines mesures d’austérité n’avaient pas été prises par certains gouvernements, les résultats auraient été encore pires qu’ils ne le sont aujourd’hui.
Les efforts d’ajustement en Haïti se sont donc opérés dans un contexte de crises ininterrompues qu’il est impossible de dissocier des variables opérationnelles de l’ajustement, ce qui rend difficile toute évaluation objective. Il importe alors de considérer comme fausse toute analyse qui ne tiendrait pas compte de ces aspects socio-politiques dans l’évaluation des effets économiques ou sociaux des mesures d’ajustement en Haïti, comme dans les autres pays ébranlés par des crises de cette nature. En effet, la comparaison avec d’autres pays aux conditions initiales comparables à Haïti et ayant connu un climat socio-politique beaucoup plus favorable permet de valider l’hypothèse sur laquelle s’est fondée cette analyse. Elle fait ressortir des différences significatives notamment en ce qui concerne la croissance, l’investissement et les exportations.
Il se révèle alors que les déterminants de la croissance et du développement social et économique sont à la fois nombreux, complexes et variés, et souvent doivent être recherchés dans des secteurs non économiques comme la stabilité politique, le calme social, la bonne gouvernance, etc. En clair, les résultats des réformes économiques ne seront manifestes qui si des variables - surtout non économiques - agissent comme catalyseurs. Ainsi, le contexte de crises socio-politiques de plus en plus graves a indéniablement compromis les efforts d’ajustement réalisés en Haïti. De ces crises, est dérivée la plupart des autres éléments de handicap qui ont expliqué - ne fut-ce que partiellement - l’insuccès relatif des réformes économiques. Aucune réforme macro-économique ne semble donc viable dans un environnement interne instable. En outre, il ressort de cette analyse que les performances institutionnelles sont un gage de sécurité pour mener à terme et efficacement des reformes de grande envergure au niveau d’un pays.
Ces contraintes sociales, politiques et institutionnelles conjoncturelles ont dans la plupart des cas - sinon toujours - handicapé la cohérence, la continuité ou le calendrier des réformes. Ces troubles ayant sévi - et sévissant encore en Haïti - ont atténué (et atténueront encore aussi longtemps qu’ils persisteront) l’impact des mesures de politiques économiques en affaiblissant en premier lieu la capacité des gouvernements à bien les mettre en œuvre. Il est ainsi indéniable que si Haïti n’avait pas à réagir spontanément à ses crises sociales, politiques et institutionnelles, elle aurait pu mieux concentrer son effort sur les défis fondamentaux de l’heure que sont la création des capacités institutionnelles, l’assimilation des technologies nouvelles, le développement de ses capacités de production, la maîtrise de la croissance démographique, etc. dont la réussite en soi constitue un ensemble de catalyseurs internes majeurs pour une croissance soutenue et durable (à laquelle devrait s’atteler en particulier l’ajustement structurel) en vue d’un développement socio-économique à long terme.
En définitive, on retiendra que si Haïti tarde encore à retrouver son rythme de croissance de la fin des années 70, une série de facteurs externes, mais aussi - et surtout - internes en sont responsables. Cette étude voit dans la crise socio-politique alarmante et la dégradation institutionnelle qui l’a accompagnée, la principale cause de l’insuccès des efforts d’ajustement et de la détérioration économique, ce qui confirme l’hypothèse de départ. Il est ainsi erroné de penser que les PAS puissent à eux seuls guérir l’ensemble des maux dont souffre le pays. A n’en pas douter, il n’y a de meilleure politique macro-économique que celle de la rigueur, d’où il y a une nécessité évidente de poursuivre le cap des réformes économiques et financières (peut-être moins orthodoxes que celles du FMI) susceptibles de corriger les déséquilibres internes et externes que connait le pays et de développer son potentiel de production. Bien que la situation macro-économique s’est quelque peu améliorée avec les accords FASR (premier volet annuel et accords relais face à la démission du gouvernement), il est évident que cette amélioration ne se poursuivra et ne s’amplifiera que si le pays maintient et intensifie les réformes économiques et institutionnelles.
IV. Et s’il fallait en profiter pour faire quelques suggestions à nos politiques ?
En 2000, j’ai formulé quelques recommandations opérationnelles en terminant mes analyses, je les reprends ici sans nullement les nuancer. Chacun jugera si elles sont encore pertinentes à cette période cruciale de la vie de la nation :
(a). S’il est vrai que des réformes économiques sont incontournables pour amorcer le processus de développement, il reste que la stabilité politique, sociale et institutionnelle est d’abord à conquérir et apparaît comme une condition préalable et indispensable pour toute réussite des politiques publiques. Cette stabilité favorisera notamment une amélioration des taux d’épargne et d’investissement intérieurs qui, à leur tour, sont nécessaires pour amorcer la croissance économique. Elle attirera en effet l’investissement privé direct (national et étranger) qui créera des emplois stables nécessaires pour diminuer le niveau de chômage et améliorer la qualité de vie de la population pauvre. Il n’en reste pas moins qu’il faudra améliorer la gouvernance et l’efficacité dans la gestion publique. On s’est aperçu également que la mise en œuvre des programmes déjà expérimentés a posé des problèmes aux gouvernements en contribuant à alimenter une spirale coûts sociaux-coûts politiques. Donc, les réformes économiques ne peuvent être efficaces sans une stabilité politique bien qu’elles puissent à leur tour miner la stabilité politique. Ainsi ces rapports mutuels doivent être analysés soigneusement et de manière intégrée. Il importe à l’avenir d’impliquer la population et les syndicats, et de leur faire comprendre les choix qui sont faits. Ceci permettrait d’élargir la base politique et sociale des mesures. Mais encore faut-il que les coûts humains soient minimisés et les profits sociaux maximisés.
(b). Il apparaît tout aussi évident que des capacités institutionnelles accrues ont un rôle crucial à jouer. L’ajustement structurel, entendu comme un vaste programme d’envergure nationale, doit en effet s’insérer dans un processus de développement socio-économique durable (en protégeant la capacité de production des ressources naturelles) et équitable (en assurant notamment un plus grand accès des pauvres aux facteurs de production, préalable nécessaire en vue de la stabilité politique et sociale). Le développement des capacités institutionnelles et la transparence devraient permettre à l’Etat et son administration de ne pas succomber dans l’emprise des intérêts particuliers.
(c). Les politiques macro-économiques ont des effets directs au niveau sectoriel, de même de bonnes orientations données aux secteurs productifs se traduiraient dans une amélioration de la performance d’ensemble de l’économie. La politique de libéralisation totale des prix en supprimant l’ensemble des protections du secteur agricole en vue de favoriser spontanément sa production dans un marché ouvert - en l’absence de mesures d’accompagnement concernant les prix, les intrants et l’organisation des marchés devant précéder la libéralisation - s’est révélée erronée. La stratégie agricole doit nécessairement être repensée. Le secteur - encore incapable de se confronter aux marchés extérieurs - doit bénéficier de mesures particulières et modérées qui mettraient l’accent sur des étapes soigneusement échelonnées et réfléchies. Dans cet ordre d’idées, des prix rémunérateurs aux producteurs semblent un moyen sûr de dynamiser [5] la production, ce qui justifie une action régulatrice de la part de l’Etat qui pourrait consister en une protection tarifaire sélective et prudentielle devant ralentir le rythme des importations pour que la production intérieure soit favorisée par une demande adéquate. Cette protection fournirait par ailleurs des ressources financières pouvant en retour être investies dans le secteur sous forme d’infrastructures productives et particulièrement de réseaux déconcentrés (parapublics, privés ou coopératifs) mais non monopolistiques d’approvisionnement en intrants à des prix non prohibitifs, de crédit de proximité à la production, de moyens de stockage, etc. Ceci aurait un impact hautement significatif notamment en ce qui concerne la réduction des importations alimentaires et l’augmentation des exportations agricoles avec leurs incidences favorables notamment sur la balance des paiements, la croissance et le taux de change, étant donné le poids encore considérable de l’agriculture dans la formation du PIB et dans les exportations. Par ailleurs, des interventions sous forme de projets, à la conception et à la réalisation desquels les organisations de producteurs participeraient, semblent un vrai moyen de relancer l’agriculture. Aussi, il apparaît urgent d’améliorer l’offre des produits échangeables (en particulier le café, le cacao et la mangue) du secteur agricole en améliorant sa productivité et sa compétitivité. A cet égard, un effort systématique d’investissement dans le capital humain (formation en techniques de production et de gestion), semble un facteur efficace pour garantir à long terme la croissance sectorielle et partant, la croissance du PIB. Encore faut-il que la sécurité alimentaire soit une dimension transversale non moins prioritaire de la stratégie agricole pour que celle-ci ne néglige pas la production vivrière.
(d). Au niveau des secteurs de l’industrie et des services, il faudra poursuivre avec plus de vigueur les réformes et la privatisation des entreprises publiques, ce qui permettrait de produire plus efficacement et à moindres coûts, d’améliorer la position de la balance des paiements en réduisant les importations et par ailleurs, de fournir à la population de meilleurs services et un plus large accès et à plus bas prix à certains produits de base. Ceci est un pilier pour améliorer la qualité de la vie et favoriser le développement socio-économique du pays. La privatisation de la Minoterie est à ce titre un bon exemple où les prix ont diminué à peu près de moitié en deux ans. De tels résultats, pour pouvoir durer longtemps, appellent toutefois la privatisation de certains services dont en particulier l’électricité et les télécommunications en vue de fournir un approvisionnement suffisant en ces services avec comme effet la réduction des coûts de transactions pour la production des biens. Il convient par ailleurs de promouvoir le développement d’activités d’exportation non traditionnelles.
(e). La croissance économique doit répondre à des critères donnés. Compte tenu de la forte pression démographique qui rend difficile sa répartition équitable, un objectif majeur qui doit être poursuivi dans la mise en œuvre des réformes à venir est celui d’un taux de croissance économique au moins supérieur à celui de la population afin de faire reculer la pauvreté et d’assurer à celle-là un minimum de bien-être. Il faudra à ce titre que la lutte contre la pauvreté fasse partie intégrante des politiques publiques afin de minimiser les coûts sociaux de celles-ci.
(f). La croissance économique, pour être durable, exige la mise en valeur des ressources humaines non comme objectif en soi mais comme moyen de développement économique et social par l’amélioration des compétences et donc, de la productivité. Des formations professionnelles adaptées aux besoins des secteurs productifs semblent des investissements hautement productifs pour empêcher à la croissance de se ralentir sur le long terme.
(g). La mise en place de mécanismes visant à mobiliser d’abord l’épargne interne (sans faire payer aux couches défavorisées le poids de l’effort) devrait avoir un impact significatif sur la réduction de la dépendance du pays de l’assistance externe.
Cette étude n’avait pas l’intention de dégager des perspectives à moyen et long terme - loin s’en faut -, mais les recommandations ci-haut formulées paraissent l’essentiel du prix à payer pour qu’Haïti puisse s’insérer dans l’économie du nouveau millénaire axée de plus en plus sur le libéralisme économique et la concurrence internationale. C’est aussi à ces conditions que des politiques publiques puissent à l’avenir être mises en œuvre efficacement tout en réduisant la pauvreté.
Voici ce je pensais et pense encore. Voilà ce qu’étaient et sont mes propos, qui méritent d’abord d’être compris. Toute déformation n’engage que celui qui en a pris l’initiative. Le lecteur, même non-expert, pourra juger de lui-même.
23 mai 2006
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[1] Ing.-agro-économiste, DES, M.Sc., Doctorant en Sc. Economiques
[2] Il n’est d’ailleurs pas seul dans la pratique de cet art dans notre pays. Espérons qu’ils changeront un jour pour le plus grand bonheur de ceux qui se rendent utiles en produisant des réflexions originales et en les publiant comme un effort de production de connaissances scientifiques censées aider le développement de leur pays, refusant ainsi la simple fonction de consommation de connaissances.
[3] Quand les données existent, elles peuvent parler d’elles-mêmes. Il suffit seulement de quelques mains suffisamment habiles pour leur faire sortir leurs messages. Ce que l’on pense devient alors secondaire.
[4] Ajustement Structurel en Haïti : Evaluation et Etude d’impacts. Thèse de Master en ‘Gestion et Evaluation de Projets, Université d’Anvers-RUCA, Anvers, Belgique.
[5] La croissance agricole entraînerait à son tour une croissance des autres secteurs car la demande des agriculteurs s’orienterait en premier lieu vers des secteurs non agricoles.