Débat
Par Daniel Simidor
Soumis à AlterPresse le 26 mai 2006
Jean-Yves Noel ap peye pou sa l fè. N’osa-t-il pas
dresser un tableau sans complaisance des détournements
de fonds (pas tous hélas) du régime Aristide/Neptune &
Cie ? La classe politique dans son ensemble fit la
sourde oreille (zanno kay òfèv). Or corrompus et
corrupteurs entendent continuer leurs combines sous le
nouveau régime. D’un revers de main, avec
l’incarcération du directeur de l’UCREF, ils ont fait
échec aux timides tentatives de mettre un frein à
leurs activités. Ailleurs, dans les rues de la
capitale et dans les boîtes de l’état, rastas et
chimères reprennent du poil de la bête, et sous
couvert d’une mobilisation pour le retour de leur
chef, réclament à grands cris le privilège des
chèques-zombi qu’ils avaient perdu avec le départ
précipité du président Aristide pour l’Afrique.
Le mal est déjà fait, mais il n’est pas sans remède.
La réputation de M. Noel est ternie grâce à
l’impudence du juge Pérez Paul, tandis qu’un autre
juge tout aussi impudent allait débloquer les millions
de la Fondation Aristide que l’Unité Centrale de Renseignements Financiers (UCREF) avait gelés. Un
simple élargissement de Jean-Yves Noel laisserait le
mal intact. Qui, dans un tel climat, oserait après
lui prendre le contrepied de la corruption ? Or sans
une lutte acharnée contre les concussions de tous
genres, l’espoir engendré par le vote du 7 février et
par la détente de la dernière chance qui s’ensuivit,
ne fera pas long feu. La déliquescence de l’état, de
la société et de l’économie en Haiti, précipitera le
pays dans une désintégration quasi-irréversible.
Comment enrayer, ponctuellement, la corruption ?
Indépendamment du régime en place et des écarts du
système judiciaire, il incombe à la société civile,
aux organisations populaires, aux associations
communautaires et socio-professionelles, aux
institutions religieuses, à l’école et à l’université,
de s’engager à fond dans une campagne pour combattre
les méfaits de la corruption, et son incidence
corrosive sur le tissu social et le développement
économique. Dans certains pays, la corruption fait
partie du donnant-donnant d’un capitalisme en plein
essor. Mais ce n’est pas le cas chez nous.
L’économie et la société en Haiti étouffent sous le
poids conjugué d’un état prédateur, de la corruption
et d’un capitalisme improductif. Les acteurs sociaux
doivent à tout prix faire de la transparence une
revendication fondamentale face au pouvoir.
Le gouvernment Préval, pour sa part, devrait résister
à la tentation de céder aux pressions des affidés
lavalassiens, déterminés à troquer loyauté contre
sinécure. Les réformes envisagées par le nouveau
président ne survivront pas à ce genre de chantage.
Ce dernier devrait s’en tenir aux explications
données, à savoir que le rôle de l’état n’est pas
d’embaucher les sans-travail, mais de créer les
conditions propices l’investissement et à la
croissance de l’économie. La paix sociale et une
infrastructure adéquate étant aux premiers rangs de
ces conditions.
Il va sans dire que l’état se doit de trouver les
resources adéquates pour embaucher les cadres et le
personnel qui manquent dans des domaines aussi variés
que l’éducation, la santé, la sécurité publique,
l’environnement, et l’administration. Mais la
chimérisation d’une bonne partie de la jeunesse
urbaine rend celle-ci peu réceptive aux normes du
marché de l’emploi, exception faite des petites
besognes de casseurs et de détaillants de drogue, qui
alimentent en retour l’insécurité et l’instabilité
politique. Il faudra toute une rééducation pour
récupérer cette jeunesse dépravée.
L’un des objectifs d’une campagne anti-corruption
serait de persuader le président René Préval de faire
appel à un investigateur spécial ou à un panel
d’hommes de loi indépendants, avec les pleins pouvoirs
et les ressources nécessaires, pour faire suite aux
enquêtes de l’UCREF et de la Commission d’enquête
administrative (Commission Paul Denis et Sylvie
Bajeux), et pour juguler la corruption dans son propre
gouvernement. Pourquoi une telle mesure ? Parce que
le système judiciaire est de toute évidence moribond
et vicié. Parce qu’il en va de la réputation du
nouveau président et de ses chances de succès. Et
puis parce que le pays en a besoin. A ce prix-là , le
calvaire du directeur de l’UCREF ne sera pas en vain.
New York, le 26 mai 2006
Email : simidor@gmail.com