Soumis à AlterPresse le 22 mai 2006
Par Camille Loty Malebranche
La culture populaire, hypermédiatique contemporaine, est avant tout, celle de la surenchère du corps et d’une forme d’esthétique corporelle en fonction de la nouvelle iconographie somatique des revues de mode.
Les mannequins, tops modèles, sont devenus les faces hagardes - sans visage, car le visage est vie, alors qu’elles sont images formelles animées, mimiques, modélisantes - du standard morphologique de corps humain admissible par la culture, sous peine de critique, voire rejet de ce qui n’y correspond pas.
Je ne parle pas ici de gens malades par boulimie, gourmandise, dérèglement de la nutrition et qui doivent objectivement améliorer leur condition de santé métabolique et leur forme physique. J’évoque ici ce qui fait figure d’une véritable doctrine de l’anorexie qui balaie le paysage culturel contemporain, où le corps exproprié, séquestré par l’inflation du discours néoesthétique de notre temps, est devenu étranger à soi, prisonnier des modèles et standards esthétiques médiatiques.
En fait, disons-le, il ne s’agit pas du corps humain et spécifiquement féminin, mais du corps-signe, corps-objet de la consommation sociale, qui incarne les vœux mercantiles des décideurs de la mode. Le mode de fonctionnement de cette somatisation de la culture de masse tend à redéfinir les données classiques du rapport de l’humain à son habitat biologique (qu’est le corps) et à le dépouiller de toute intériorité.
A l’analyser de près, cela entre dans le projet éternel de domination des oligarchies opulentes, des producteurs industriels d’objets et de biens de service qui tendent à rendre les caractères vulnérables et donc plus faciles à manipuler.
Un homme totalement extériorisé, extraverti, vidé de toute la substance que révèlent les métaphysiques, les sciences humaines et les arts, n’est qu’un corps et un corps mou, une étendue qu’on peut aisément mouler dans la forme d’un imaginaire collectif amolli.
Par ironie des valeurs toujours admises avant cette invasion de l’idéologie somatique, une somatologie, totalement ignorante de la somatognosie, qui met l’esprit d’accord avec le corps, remplace philosophie et théologie, dénigre toute spiritualité intérieure et confère au corps la fonction duelle de chair et « d’âme ».
Mise à mort de la profondeur, le système actuel est contempteur de l’esprit, et dans sa contemption, il initie un curieux paradoxe de déification et de réification du corps féminin. Chanté comme corps divin, à l’image des déesses de la mythologie, mais aussi traîné dans la boue du sexualisme avilissant, dans lequel une immense quantité des images de femmes, en vogue dans la banque des icônes à l’usage des organes de presse populaire, se présente ouvertement ou suggestivement comme des expositions sexuelles, manière pornographique évidente ou voilée de représentation du corps féminin.
Alors qu’à coups de grands sous, l’ordre sordide du marché cache ses morbides effets, alors que la prostitution classique tombe de plus en plus dans l’illégalité, l’enrichissement pécuniaire « héroïse » et « surhumanise » des stars et des mannequins, ces nouvelles dispensatrices de la jouissance virtuelle d’une société désemparée de la vraie jouissance naturelle.
Mais, le triste de toute cette déchéance, c’est l’humanité, privée des valeurs fondamentales et pauvre de toute profondeur et transcendance, qui s’appauvrit de l’essentiel. Le sacré avachi, profané par l’ère de la soma désincarnée et iconographiée, accomplit le vieux rêve d’être dieux démiurges, qui a toujours hanté les oligarchies dominantes de l’Histoire des sociétés.
Comme toujours, quand l’animal humain veut remplacer Dieu par le mortel et l’absurde qu’il prétend produire, c’est de la tératogénie qui remplace la Création et de la mécréance qui altère la spiritualité originelle de l’humanité.
L’homme n’est même pas encore procréé dans son essence que l’animal humain, l’infrahumain, lui brûle les étapes par la surhumanité dégénérée et monstrueuse des gargantuas industriels de la société de consommation.
La somatisation, de l’homme ainsi réduit à une seule dimension, signe la mort des hypostases sacrées qui, toute l’histoire, malgré errements et erreurs, ont constitué les référents de l’espèce humaine en rapport à elle-même, à l’univers et au sacré. Elle constitue le fond de l’abysse de l’homme, sans humanité d’aujourd’hui, qui cherche dans le triste séculier des représentations perverses de son corps virtualisé, séculier où il substitue une somatolâtrie, c’est-à -dire l’idolâtrie du corps-icône à la piété spirituelle, un sens à sa déchéance incurable et ses misères irrémédiables, par le fait même de cette sécularisation somatisante de la nature humaine classique !
Camille Loty Malebranche
aecmill@yahoo.fr