Débat
Par François-Frantz Cadet [1]
Soumis à AlterPresse le 16 mai 2006
Titre original : Haiti
D’AMOUR irréel, d’ABSENCE coupable
de MEMOIRE dilapidée et d’IMAGINAIRE faussé :
Une terre et ses enfants se meurent !
Bien que les élections aient eu lieu en Haïti, bien qu’elles aient mis à la tête du pays René Préval, tous les matins, nous nous levons et nous nous posons la question suivante : Comment aider ceux de nos proches et des acteurs associatifs à exister sur une terre inondée de pauvretés.
Communiquer, toutes les semaines, avec ceux qui, contre vents et marée, font fonctionner des lieux de solidarité et qui, comme tant d’autres opérateurs esseulés, mènent des actions humanitaires, nous offre la possibilité de nous rendre compte de l’importance des œuvres de soutien et de leur place dans la lutte quotidienne pour la survie des démunis.
Le DESESPOIR est dans les faits et s’est installé dans la population qui vit en Haïti et chez ceux qui, comme moi, ont souhaité depuis très longtemps et, attendent encore aujourd’hui que viennent et s’enracinent durablement : le changement politique et le renouveau social.
Mais l’ESPOIR demeure et se réactive chaque fois qu’il faut remotiver tous ceux qui comme nous, en contact avec les humanistes du monde, informons un large public, mobilisons les militants, collectons auprès des convaincus et pourvoyons, avec des dérisoires moyens, aux nécessaires et grandes satisfactions des besoins exprimés par ceux qui souffrent.
Sur toutes les terres d’accueil de par le monde, des hommes et des femmes originaires d’Haïti et surtout de bonne volonté, initient des actions, financent des projets et fournissent tous les mois à leurs proches restés au pays, une capacité à consommer, un moyen d’exister. Les ressources d’Haïti sont faibles voire inexistantes, sa démographie galopante et son économie exsangue. Or depuis des décennies les dirigeants contraints par l’extérieur et pressés de l’intérieur, n’affichent qu’incompétence et incurie et se trompent de projet.
Au regard de ce qu’il m’est permis de lire dans les journaux ou sur Internet, j’en conclus qu’il est urgent de comprendre l’évolution de notre pays et qu’il est temps que l’analyse que nous portons sur lui, soit sincère et soit la traduction d’un diagnostic ni partisan, ni idéaliste, ni aveuglant pour nous permettre enfin, d’exiger de tous nos gouvernants (surtout élus) :
d’accomplir leur METIER, de faire de la POLITIQUE : en un mot, faire des CHOIX,
de soustraire de leur engagement politique le DESIR de REVANCHE sur un sort qui assaille, depuis des décennies, l’être haïtien. Si certains tentent d’ôter, autour de son coup, cette corde qui semble l’étrangler ; à défaut de pouvoir la lui enlever, d’autres insistent pour ne demander, on ne sait à qui, pourquoi on le lui a mise.
de regarder DEVANT EUX sans oublier le passé certes, mais surtout d’avoir des idées neuves et des perspectives pour les JEUNES HAà TIENS,
d’offrir, à ces derniers, un AVENIR SIMPLE pour éviter qu’ils ne se mettent à se regarder dans le miroir déformant du consumérisme des pays riches,
d’organiser le PARTAGE du peu de RICHESSES qui nous restent : pas seulement entre clans, partisans, amis et parents mais entre tous.
et de faire que chaque HAà TIEN soit ACTEUR de sa PROPRE DESTINEE.
La survie passe par cela. Et à une époque où la MONDIALISATION fait d’HAà TI, même pas une PLAGE pour classe moyenne, il nous faut reconsidérer la place de la coopération internationale dans le devenir d’HAà TI. Les haïtiens ne peuvent pas sortir seuls des ornières dans lesquelles ils sont tombés. La diaspora haïtienne peut beaucoup mais ne peut pas tout. Ce n’est pas la faute de notre génération et surtout de celle qui l’a précédée d’avoir été obligées de se livrer aux nations avancées et à celles du continent africain. En pure perte pour notre pays, les instruits ont offert leur SAVOIR, leur SAVOIR-FAIRE, leurs COMPETENCES et les plus démunis leur FORCE de TRAVAIL. Déculpabilisons-nous pour réclamer cette ’’ethno-psychiatrie’’ et pour enfin atteindre ce ’’retour sur soi’’, cet ’’auto-diagnostic, cette ’’nécessaire reconquête’’ de nos racines qui nous font défaut et qui détiennent les clés pour que nous puissions réécrire et réenrichir les actes fondateurs de notre NATION. Son histoire écrite, très partiale, trop partielle et restée incomplète, nous prive de ces sentiments originaux que sont l’APPROPRIATION et l’AMOUR d’une terre.
Souvenons-nous :
que pour se libérer de l’esclavage il a fallu haïr cette terre : celle fertilisée à la sueur et à la chair des noirs, celle qui faisait le bonheur et la richesse des occupants, celle qui reçut la déclaration de Boukman, à la cérémonie du Bois Caïman : "koupé têt, boulé kaye" pour, sans le vouloir, installer durablement le facteur érosif destructeur de nos sols ;
que Jean-Jacques Dessalines, libérateur et premier chef d’état haïtien, a été assassiné deux ans et neuf mois après l’indépendance. Liberté ou la mort, devenait un choix non accompli, l’union oubliait qu’elle faisait force et l’imaginaire qui nous offrit un drapeau national, s’effritait en lambeaux.
qu’une partition territoriale s’en est suivie. A l’image des anciens colons, les nouveaux propriétaires territoriaux devenaient avides de pouvoir et rétablissaient les relations de dominants à dominés, de possédants à possédés.
que les notions de blanc, de noir, de mulâtre ont resurgi pour fonder des classes, puis de manière plus pernicieuse, des castes et un racisme de rang,
qu’il a fallu, face à notre dépendance au regard de l’extérieur, acheter notre indépendance et revenir à la culture française,
que notre pays, tout en étant le point de départ de la libération des peuples oppressés de l’Amérique Latine, est peu reconnu par eux, peu accepté à l’OEA et peu bénéficiaire de la solidarité régionale caraïbéenne,
que notre espace national constitue un TERRITOIRE à PARADOXES :
il détient son nom des indiens Taïnos, qui ne lui ont pas offert de descendance directe et, se trouve éloigné de la culture originelle qui faisait
que l’organisation sociale de l’époque s’installât sous une couverture végétale (d’où protection du sol, richesses agricoles et peu d’érosion de surface) ;
la langue officielle est le français et la langue parlée (et comprise de tous) le créole ; les plus proches voisins parlent l’espagnol (et ne nous sont pas solidaires) et l’anglais est devenue la langue de survie, de l’espoir et de fuite ;
les territoires de langue française de la caraïbe, qui attirent les haïtiens dans leur exode forcé, les considèrent comme de vils émigrés porteurs de problèmes socio-économiques et donc, ne nous apprécient guère.
Oui rappelons encore :
qu’aucune réforme agraire n’a vraiment abouti et le problème de la propriété terrienne en Haïti, gangrène les relations entre familles, les « grandons » et l’état haïtien. Certaines propriétés conservent encore les tracées coloniales et, 3 ou 4 titres de propriété existent pour un même terrain.
que nous détenons le record mondial de présidents éphémères en un siècle,
que notre pays a connu des occupations très déstructurantes,
que nos dirigeants n’ont pas de modèle en politique et singent des systèmes qui n’ont ni les mêmes problématiques, ni les mêmes besoins et surtout pas les mêmes ressources,
que le pouvoir en Haïti dépendait des forces armées, de l’église et de la bourgeoisie marchande mulâtre, en absence d’un groupe d’intellectuels pensant, d’une vraie force d’entrepreneurs industriels et de producteurs agricoles agissant. Les trois premiers se gavaient de privilèges, tandis que les intellectuels absents car sous-exploités sont partis se mettre au service de l’Afrique, de l’ONU et des pays riches ; les entreprises étaient écrasées de prélèvements fiscaux au profit des "moun pa" fonctionnarisés, parasites, incompétents et pilleurs de nation ; et enfin, les paysans exploités, méprisés et paupérisés qui ont cédé leur patrimoine pour une place de « Kantè » (Boat-poeple) sur lequel ils ont tenté de ou sont parvenus à gagner une terre moins hostile.
A travers ce court récit historique il est patent de constater que les haïtiens n’ont pas eu le temps de s’APPROPRIER leur territoire et surtout d’AIMER ce qui, de ce patrimoine naturel et culturel commun, aurait pu être légué, transmis, donné et inscrit, sans faille et comme moteur, dans la mémoire collective.
Les sentiments de désespoir qui se sont exprimés ces temps derniers, sont d’ordre affectif certes, mais ils se rangent aussi bien dans un recueil analytique. Le positionnement perpétuel d’une certaine intelligentsia trop souvent située sur un seuil répulsif, distancié ou plaintif, suscite l’isolement, génère l’oubli et engendre l’amnésie.
Rumeurs et informations sont, tous les jours, confondues ; comparaisons fortuites et interprétations malveillantes sont, incessamment étalées. De sources douteuses et d’intentions infondées, les soupçons calomnieux, (facile glissement souvent relevé dans la presse haïtienne), effacent la portée d’une réelle investigation. Alors que pour avancer il faudrait, mesure gardée, replacer les faits dans leur contexte, se munir de moyens d’analyse et éviter de juger de manière péremptoire.
DESEPERER au contact de la réalité humaine quotidienne est certes possible, mais demeurer OPTIMISTE quant aux chances d’Haïti de se RECONSTRUIRE dans le CONCERT des NATIONS est un DEVOIR.
Seuls les Haïtiens d’Haïti peuvent et doivent CHOISIR le mode et le rythme de leur EVOLUTION SOCIALE et de leur DEVELOPPEMENT ECONOMIQUE. Nous les exilés ne pouvons apporter que notre aptitude à encadrer, notre savoir-faire dans les activités technico-économiques, notre volonté d’agir, notre contribution au renouveau et notre capacité à rompre l’isolement entre les hommes de bonne volonté (nombreux et disponibles).
Nous devons pour cela :
nous débarrasser - de notre désuétude, - de notre arrogance, - de notre misérabilisme, - de notre attentisme, - et de notre amnésie des faits,
pour laisser place - aux souvenirs originels (nos conquêtes, nos victoires, nos ’’kombits’’, nos réussites), - à la résurgence de nos racines culturelles (nos chants, nos musiques, nos danses), - aux fondamentaux de notre nation "l’Union fait la Force" en y adjoignant les notions citoyennes que sont "le respect, le partage et la solidarité" et surtout, - à notre IDENTITE retrouvée.
Germées à travers de simples échanges d’idées, ces réflexions sur l’EXPLICATION du NAUFRAGE de notre pays chéri et apprécié (mais pas aimé)*, doivent être considérées comme une contribution - à notre quête de savoir pour évaluer nos besoins, - à notre volonté de comprendre pour mieux réaliser nos choix et - à notre désir de reconstruire pour mieux appréhender le devenir de notre nation.
A regarder mon pays d’origine, avec des critères objectifs de comparaison et des points de similitudes observés, j’y vois encore une parcelle d’AFRIQUE, un ILOT de VIE à la dérive dans les CARAà BES. Nous avons les moyens d’émerger de cette belle mer des Antilles et d’occuper une place enviable dans la chaude Caraïbe. La volonté politique qui nous y conduira, sera, sous peine de laisser notre nation à l’état larvaire, l’œuvre d’un attelage de compétences haïtiennes, proposant des PROJETS ALTERNATIFS (endogènes et adaptés à la situation actuelle) et bénéficiant de la SOLIDARITE INTERNATIONALE (tout au moins caraïbéenne).
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*N’y a -t- il pas davantage l’aveu d’un ’’désamour’’ : - à piller l’état, - à exploiter les ’’reste-avec’’, - à fuir son pays, - à détruire son sol, - à vivre dans son souvenir plutôt qu’à vouloir satisfaire ce désir de retour, - à faire semblant (pour une frange de la diaspora) de refuser l’intégration dans le pays d’accueil ... plutôt que l’expression d’un amour.
[1] Enseignant Agricole
Exilé d’origine haïtienne
Maîtrise en sciences du développement
Animateur d’un organisme de soutien humanitaire envers Haïti
E-mail : frantz.cadet@mfr.asso.fr.