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P-au-P., 17 mai. 06 [AlterPresse] --- Difficile de lire les états d’âme de René Garcia Préval, investi le 14 mai président de la République d’Haïti. Pas un seul sourire, tout au long de ces longues cérémonies.
Assermentation d’abord au Parlement, suivie d’un Te Deum à la cathédrale de Port-au-Prince, où le nouveau président haïtien a écouté sans broncher le sermon du président de la Conférence épiscopale haïtienne, Mgr Louis Kébreau.
Pas grand enthousiasme non plus au palais national, où près de 300 journalistes et des centaines d’invités se trouvaient.
La scène contrastait grandement avec son investiture de 1996 où, aux côtés de Jean-Bertrand Aristide, Préval paraissait plus détendu.
Sérénité, disent les uns, Préval connaît la musique, il a déjà rempli un mandat présidentiel (1996-2001), c’est un habitué du Palais national.
La grande victime de la journée, affirment les autres : René Préval semble avoir reçu l’écharpe présidentielle comme un grand fardeau.
Préval semblait réellement être accablé d’une charge énorme.
Au Palais, son premier geste consistait à « passer les troupes (la police) en revue ». Il s’est ainsi approché des grilles, derrière lesquelles se trouvaient des milliers de sympathisants. « Arrêtez Latortue », scandait la foule, fort déçue des réalisations du premier ministre intérimaire, qui devra être remplacé au cours des prochains jours.
Le principal concerné demeurait stoïque à la balustrade du palais.
Le discours de Préval a été servi solennellement, sans débordement de joie. Première dans l’histoire du pays, l’allocution était exclusivement en Créole, la langue parlée et comprise par toute la population. Il a rompu l’habitude des petits bouts de français à l’intention des dignitaires étrangers.
René Préval a tenu à remercier Juan Gabriel Valdés, représentant spécial de Kofi Annan depuis le renversement d’Aristide en 2004. « Votre mission est terminée », a-t-il lancé à Valdés qui s’apprête à quitter le pays, et qu’il a remercié. Mais, celle de la Force onusienne, se poursuit, a-t-il ajouté.
Mais la foule n’a retenu que la première partie de la phrase et a vite exprimé, parait-il, sa joie de voir Valdés partir. Nous n’avons plus besoin de chars, mais bien de bulldozers, déclarait le président, afin de mettre en branle les nombreux programmes d’infrastructures dont le pays a urgemment besoin.
Le mécontentement envers la machine onusienne et le gouvernement intérimaire est largement répandu à Port-au-Prince, pour des raisons diverses et contradictoires.
Plusieurs secteurs déplorent le peu de mesures prises pour contrer l’insécurité, grand fléau de 2005. Certains milieux populaires et les sympathisants de l’ex-président Aristide dénoncent la « répression politique », les dommages collatéraux occasionnés par la force onusienne, ou encore l’implication de celle-ci dans différents actes criminels.
Et tous à Port-au-Prince, sont grandement déçus de la terrible gestion de la crise énergétique par le gouvernement Latortue.
Depuis des semaines, Port-au-Prince n’avait en moyenne que deux heures d’électricité par jour. Pénurie totale depuis début mai, puis retour graduel de l’électricité à la veille de l’investiture.
Large défaite pour Latortue, qui affirmait en prenant le pouvoir que les Haïtiens allaient oublier le sens du mot « black-out » au cours de sa période de gouvernement.
Quelques dizaines de sympathisants d’Aristide étaient bruyants lors des cérémonies de dimanche. La dizaine de soldats pakistanais a semblé improviser pour les tenir à l’écart du périmètre de sécurité, alors qu’une bande aux allures rasta a pu encerclé les quelques journalistes présents derrière le palais.
« C’est à nous de faire la paix. Nous devons nous parler », déclarait Préval dans son discours, en invitant les Haitiens à ne pas compter sur les étrangers, même si leur « bourad » (aide) est nécessaire.
Un des plus grand défis de Préval sera justement de savoir jouer des équilibres et des ruptures, entre une famille politique enracinée dans la mouvance lavalas de l’ex-président Aristide et des partis de centre-gauche présents à l’Assemblée nationale (Organisation du Peuple en Lutte, Fusion, Alliance), avec qui il devra sceller une entente afin de pouvoir mettre sur pied et faire fonctionner un gouvernement.
Faire fonctionner une équipe gouvernementale et produire des résultats susceptibles de montrer que le pays est sur la bonne voie, c’est-à -dire, celle de la démocratie participative, du développement et de la satisfaction des nombreux besoins sociaux.
On a heureusement vu un Préval nettement plus détendu lorsque qu’il a posé son premier acte administratif, dans les minutes qui ont suivi son allocution.
à€ peine sorti du balcon présidentiel, Préval se rendait dans une petite salle du Palais, où l’attendait le vice-président vénézuélien, José Vicente Rangel, et quelques fonctionnaires, pour signer l’entente Pétrocaribe.
Un bateau en provenance du Venezuela était arrivé la veille à Port-au-Prince, pour souhaiter la bienvenue, avec 100 000 barils de pétrole, au nouveau président et à la reprise de la normalisation politique haïtienne.
Le premier geste du Chef d’Etat consiste donc à intégrer ce programme énergétique du gouvernement vénézuélien. Haïti ne paiera que 60% du coût du pétrole, les 40% restant étant échelonnés sur une période de 25 ans.
Les fonds ainsi dégagés à court terme permettront d’investir dans des programmes sociaux et d’infrastructures, a promis la nouvelle administration.
« Nous ne cherchons pas à amener Haïti dans l’‘axe du mal’ », a blagué le vice-président vénézuélien aux journalistes présents. Une allusion à peine voilée au point de vue américain. [fle gp apr 17/05/2006 06:00]