Analyse
P-au-P., 12 mai. 06 [AlterPresse] --- L’investiture le 14 mai prochain de René Préval comme 55ème président d’Haiti s’effectuera au bout de 3 mois de relative accalmie.
Le premier tour des présidentielles et législatives, le 7 février dernier, a apporté quelque peu de répit à la Mission des Nations unies pour la stabilisation d’Haïti (MINUSTAH), qui, depuis septembre 2004, a fait face à une véritable flambée de violence.
Appelée à remplacer la Force multinationale intérimaire en juin 2006, la MINUSTAH avait de nombreux défis qui l’attendaient : assurer la sécurité d’Haïti, faciliter le dialogue national dans un pays grandement polarisé politiquement, et ainsi rendre possible la tenue d’élections qui puissent remettre le pays sur la voie de la normalisation.
Certes, la bonne tenue du premier tour électoral, le 7 février 2006, ainsi que du second scrutin législatif, le 21 avril, a été saluée comme une victoire par la mission internationale. Toutefois, nombre d’indicateurs tendent à prouver les effets limités de celle-ci quant au succès des élections.
En septembre 2004, plusieurs éléments armés des quartiers populaires de Port-au-Prince - Cité-Soleil, Bel-Air, entre autres - ont lancé des mouvements de violence, connus sous le nom d’« Opération Bagdad ». L’ex-président Jean Bertrand Aristide a été accusé d’être derrière cette opération qui tendrait à faire tomber le gouvernement intérimaire de Gérard Latortue.
Cette série de violences a atteint son paroxysme en juin 2005, alors que le marché Tèt Bèf de Port-au-prince a été incendié, chassant à la rue les 2500 vendeuses qui y gagnaient leur vie. Des écoles de Delmas (nord de la capitale) ont essuyé des fusillades. Le nombre de kidnappings frisait les 30 par jour.
Alors que le racket d’enlèvement était souvent criminel - un business somme toute lucratif, qui a rapporté des millions de dollars en rançons - on a également noté plusieurs enlèvements à caractère politique, dont celui de Jacques Roche, militant, poète et journaliste, sauvagement assassiné en juillet 2005.
Devant cette montée de violences, le Conseil de sécurité a augmenté le nombre de militaires présents en Haiti. En date d’aujourd’hui, la MINUSTAH compte 7151 soldats pour seulement 1752 policiers étrangers.
Plusieurs voix haïtiennes se sont élevées pour dénoncer la non-comptabilité d’une réponse hautement militaire aux problèmes de criminalité, largement confinés à Port-au-Prince, tout en reprochant le peu de sérieux de l’accompagnement onusien de la Police nationale haïtienne (PNH).
Malgré cette forte présence militaire, la MINUSTAH n’a pu empêcher cette vague d’actes criminels de se répandre à d’autres quartiers. Devant les critiques répétées des populations, tenues en otages par les gangs armés - les habitants de Cité Soleil devaient payer des « frais de douanes » à leur sortie ou leur entrée du bidonville - la MINUSTAH a démontré en juillet 2005 qu’elle pouvait renforcer ses actions. L’un des chefs de gangs notoires de Cité Soleil, Dread Wilmè, a été abattu le 6 juillet.
Toutefois, les « dommages collatéraux » occasionnés par ces opérations militaires - des civils et des enfants ont été tués - ont renforcé le discours lavalassien, voulant que la force de l’ONU désirait assassiner les habitants pauvres de Cité Soleil, et renforcé la polarisation politique du pays.
Nombre de rumeurs ont couru quant à l’implication de la machine militaire de la MINUSTAH dans une série d’actes criminels. Elles ont atteint leur apogée au lendemain du suicide, à l’Hotel Montana, du général brésilien Urano Teixeira da Matta Bacellar.
La veille, une dispute aurait éclaté entre celui-ci et Juan Gabriel Valdez, représentant spécial de Kofi Annan en Haïti, au sujet de l’implication du bataillon jordanien dans le commerce d’armes et la vague de kidnappings. Bacellar n’aurait pas pu contrer les activités militaires des soldats jordaniens, ce qui lui aurait vallu les réprimandes de Valdez. Peu après ce suicide, le bataillon jordanien fut déplacé hors de Cité Soleil
Ce n’est qu’au lendemain des élections du 7 février que cette série d’affrontements et d’enlèvements a diminué. Ce qui amène plusieurs à penser qu’un mot d’ordre aurait été lancé par les chefs de gangs afin que puisse avoir lieu les élections.
Toutefois, bien peu croient qu’il s’agit du résultat d’une campagne efficace de la MINUSTAH visant à faire cesser les actes criminels dans la capitale.
Sur le plan du dialogue national, les initiatives prises par la MINUSTAH pour parvenir à réconcilier l’ancienne opposition d’Aristide avec les partisans de celui-ci n’ont pas connu les résultats escomptés.
Encore aujourd’hui, la société haïtienne est grandement divisée, d’importants secteurs réclamant le retour du président déchu, alors que d’autres veulent le traîner en justice pour la répression sanglante de l’opposition au cours des années 2002 et 2003.
Réconcilier la société haïtienne et mobiliser les différents secteurs pour remettre Haïti sur la voie du développement seront le défi du président Préval, et des partis présents à l’Assemblée nationale.
Enfin, plusieurs problèmes ont été soulevés quant à la gestion du processus électoral. Bien que le CEP soit théoriquement en charge de l’organisation des prochaines, nombre d’Haïtiens ont dénoncé la mise sous tutelle du processus électoral par la communauté internationale, et des complications qui en résulté.
Le choix du nombre et de la localisation des bureaux de vote a de fait été laissé à l’Organisation des Etats américains (OEA), également responsable du processus d’inscription et de l’embauche de nombreux travailleurs électoraux.
Le nombre de bureaux de vote a été abaissé à 8.750, soit trois fois moins qu’aux dernières élections. Certaines sections communales n’avaient pas de bureaux de vote, écartant ainsi du processus électoral un nombre important de paysans. [fle gp apr 12/05/2006 16:50]