Débat
Par Camille Loty Malebranche
Soumis à AlterPresse le 24 avril 2006
J’ai souvent considéré Hamlet comme le théâtre ontologique par excellence. Tout ce drame shakespearien est une sorte de méditation sur la situation de l’homme face au sceptre du destin qu’il peut choisir ou non. Le rapport à soi de la conscience humaine est aussi une liberté qui se doit de s’approprier la vision du pouvoir suprême de cette liberté qui consiste à générer tout autre pouvoir possible. à€ opter pour la domination et le règne ou la soumission et l’abandon face aux adversités et aux nécessités de combat. C’est donc le pouvoir comme mise en scène du rapport de l’homme à l’être. Le « to be or not to be » est en fait une évocation du sens de la contingence existentielle de l’homme, ou dans ce que nous abordons en cet article, la contingence conditionnelle de la société voire de communauté de sociétés voisines par le sort et les occurrences historiques. Nous sommes pris au factuel de conditions contingentes et pourtant, c’est là que nous devons affirmer contre toute imposition du sort, toute fatalité historique, notre vision de nous-mêmes. Dépasser les contingences et fonder contre tout fatalisme, son espace du devenir par la liberté, voilà la vocation suprême de l’homme et des sociétés.
Le pouvoir est avant tout une question de pensée et de projection de soi que l’élite dirigeante met en acte par l’action comme une définition et une manifestation identitaire de soi. Plus qu’une fonction différentiante et culturelle - comme c’est le cas de l’identité ethnique, sorte d’équivalent de l’identité génétique et naturelle de l’individu - l’identité étant, de la plus belle définition, l’unicité d’un être parmi toutes les unicités et altérités possibles, l’identité nationale constitue, par la politique étatique qui l’exprime, une force d’affirmation, une sculpture d’être de la société érigée en nation par l’Etat et que celui-ci propose à soi et au monde. D’où la nécessité de défolkloriser par la gérance rationnelle et rigoureuse, l’être collectif haïtien. Ni l’art ni le culte, ni les breloques de la culture populaire très changeante au rythme et à l’influence des grandes chaînes de télévision étrangères et du multimédia, ne peuvent être un fondement pour une réforme culturelle nationale où l’individu peut enfin devenir personne humaine plénière et citoyen responsable dans la cité.
La nouvelle politique du Venezuela de Chavez retrouvant Fidel Castro dans ce qui est en fait une affirmation de l’indépendance des peuples par une coopération horizontale de certains pays du sous-continent, exprime, bien au-delà de la dialectique classique du pouvoir entre droitiers/gauchistes, une réponse ferme des peuples au projet ploutocratique des néolibéraux de l’économie. Sans vaine polémique, des peuples du Sud, peuples de l’autre Amérique oubliée tentent d’échapper à l’inféodation féroce du capitalisme nord-américain triomphaliste d’après la chute soviétique, qu’une oligarchie du nord voudrait imposer comme allant de soi et sans possibilité de réplique de ses victimes.
La propagande d’une imdépassabilité de l’ordre économique du nord et d’exigence incontournable de reddition des états du sud, se retrouve ironiquement démentie dans l’acte de résistance politico-économique pacifique de la nouvelle orientation de certains états du sous-continent latino-américain et de la Caraïbe. Alors que les économistes du nord et leurs suppôts disséminés çà et là au sud se masquent de prétextes et de conjectures scientifiques tout en adoptant une attitude dogmatique et viscéralement idéologique pour soutenir l’incontournabilité de l’ordre unique du néolibéralisme, la nouvelle politique d’échange régional et entre suds d’états de différents niveaux de ressources, est la voie que doit emprunter les pays dignes et intelligents qui veulent s’émanciper de l’ordre ploutocratique que les oligarchies du nord veulent rendre mondial.
Les allégations et logorrhées soudoyées de certains économistes traitres du sud mystificateurs et stipendiés par les tenants du nouveau capitalisme néoesclavagiste du Nord, démasquées dans leur inhumanité, attisent au lieu de la désarçonner, la volonté des peuples du sous-continent et augurent d’un nouveau visage plus digne et plus humain des économies régionales. Il ne s’agit guère ici de simple conflit classique entre capitalisme et socialisme mais d’exigence de se faire un destin socio-économique des peuples longtemps écrasés par les multiples fardeaux dissimulés de l’économisme malsain du Nord qu’il faudrait désigner aujourd’hui comme un « financiarisme » vu l’imposition de la haute finance notamment boursière à la véritable vie économique des peuples. »
Arguant de la finance et des prospectives boursières, l’économie politique contemporaine est une mystificatrice de « l’économie réelle [1] » des nations par l’économisme virtuel de la haute finance, un abysse idéologique pour ensevelir les peuples et pays du Sud où elle prône la démission voire l’effacement de l’Etat. C’est aussi un laboratoire de paupérisation de masse, de massification de la misère qui tend à fabriquer des pauvres des miséreux afin d’en faire les nouveaux travailleurs esclaves pour des usines bénéficiant de la délocalisation des industries les plus cupides et les plus dangereuses du nord en quête de paradis fiscaux.
L’intégration d’Haïti dans l’ordre alternatif de la nouvelle politique latino-américaine contre la mainmise ou tout au moins pour la limitation du nouvel ordre ploutocratique antisud, est essentielle à une diversification du soutien au progrès national et à une véritable aide de vrais amis sans faux-semblants.
Le Hamlet caraïbéen, la question de l’être ou du non-être latino-américain se répond positivement quand nos états à partir des choix de l’Etat, s’expriment dans l’autonomie qui passe par cette endogénéité régionale que tout pays responsable de la zone se doit d’intégrer sans rompre avec les puissances du nord mais en se donnant de meilleurs moyens de négociation par l’acte souverain de se doter d’une diplomatie clairvoyante et large en se dotant de relations internationales pluridimensionnelles diversifiées Sud-Sud et Sud-Nord où priment les intérêts du Sud.
Montréal, ce 23 avril 2006
Camille Loty Malebranche
aecmill@yahoo.fr
[1] Concept de l’économiste engagé Ricardo Petrella