Par Nancy Roc
Soumis à AlterPresse le 24 avril 2006
Du 20 au 30 avril, Vues d’Afrique présente les 22èmes Journées du cinéma africain et créole avec une programmation composée de 125 films, fictions, documentaires, courts et longs métrages et films d’animation. Ces multiples regards sur l’Afrique et les pays créoles sont classés en 6 catégories : Panorama africain et créole, Regard d’ici, Regard du monde, Rétrospective marocaine, Fonds Sud et Ciné Pop. Après le Sénégal l’année dernière, c’est au tour du Maroc d’être à l’honneur avec son cinéma jeune et prometteur.
En 1986, Vues d’Afrique avait dédié sa deuxième édition à ce pays. Vingt ans plus tard, le festival renouvelle cet hommage à ce pays qui a vu naître une génération de cinéastes prometteurs. D’autre part, une véritable industrie culturelle se développe dans ce pays d’Afrique du Nord avec la création d’une dizaine de longs métrages par an.
Le cru du Festival Vues d’Afrique 2006 est chargé de la complexité africaine et créole d’une trentaine de pays dont l’Algérie, l’Angola, le Bénin, le Burkina Faso, le Burundi, le Cameroun, le Congo, l’Egypte, la France, le Gabon, la Guadeloupe, Haïti, l’àŽle de la Réunion, le Maroc, la Martinique, le Mozambique, le Portugal, le Rwanda, le Sénégal, Trinidad et Tobago, la Tunisie etc.
Cette année, la marraine du festival est la chanteuse d’origine haïtienne Mélanie Renaud et le parrain est l’humoriste d’origine sénégalaise Boucar Diouf.
Zoom sur la femme et le Rwanda
La femme et le Rwanda constituent les deux principales thématiques qui se dégagent du Festival cette année. La première a été choisie comme sujet principal dans une vingtaine de films par le biais d’évocations anciennes ou de préoccupations contemporaines. Douar de femmes de Mohamed Chouikh met en images le combat des femmes algériennes qui en l’absence de leurs maris, prennent les armes pour se défendre contre les terroristes et découvrent le pouvoir qu’elles détiennent et en viennent à transgresser certains tabous. Le documentaire Beautés grandeur Nature présente un regard sur la beauté africaine à l’opposé des stéréotypes occidentaux ou encore, La Marche des Lionnes trace le portrait de quatre femmes, quatre « lionnes » maliennes qui se battent pour améliorer leurs conditions de vies.
Cette année, plusieurs réalisateurs s’intéressent au Rwanda, aux survivants, témoins et criminels du génocide de 1994. Yesterday in Rwanda de David Pardo, dépeint l’histoire poignante d’une survivante du génocide qui vit aujourd’hui au Canada. Rwanda, les collines parlent de Bernard Bellefroid accompagne survivants et bourreaux dans les premiers procès populaires Gacaca où ils se retrouvent face à face ; Mères courage, survivantes vivantes du journaliste de Radio Canada Léo Kalinda, dresse les portraits des femmes rwandaises hors du commun qui ont su unir leurs forces afin de surmonter les douleurs du génocide et Sometimes in April de Raoul Peck raconte l’histoire de deux frères Hutus dont les relations sont changées à tout jamais par le génocide.
Un lancement mitigé
Environ 20.000 personnes sont attendues cette année et les festivaliers pourront échanger leurs réflexions tout en découvrant la gastronomie africaine et créole à l’espace Baobar de l’Impérial. Le lancement de Vues d’Afrique 2006 a eu lieu vendredi dernier, un lancement presque raté par l’absence de qualité de la cérémonie d’ouverture. Pour une 22ème édition, on avait l’impression de se trouver devant des amateurs qui en étaient à leur première présentation officielle. Le directeur du festival, Mr. Gérard Lechêne peinait dans son rôle de maître de cérémonie, vraisemblablement inconfortable dans ce dernier. Le décor était pauvre et presque « tiers-mondiste », le son trop faible lors du récit d’un conte africain.
De son Côté, Mélanie Renaud n’a pas su endosser son rôle de marraine du Festival lors de son discours contrairement au parrain, Boucar Diouf qui, en quelques mots, a su saisir le cœur des spectateurs et a faire preuve d’un humour efficace et rassembleur. Enfin, pour « couronner le tout » , le film prévu pour le lancement, La symphonie marocaine du réalisateur marocain Kamal Kamal, n’a pu être projeté et a été remplacé à la dernière minute par Juanita de Tanger de Farida Benlyazid, une production marocaine/espagnole qui n’avait aucune saveur de l’Afrique du Nord et a entièrement été filmé en espagnol. Les chants de la chanteuse marocaine Habiba Zahid ont heureusement relevé le spectacle ainsi que le défilé de mode de la styliste Amal Benkiran, spécialiste hors pair en broderies de perles, récipiendaire d’une mention d’honneur du corps militaire marocain pour la broderie de drapeaux en 2003.
Les organisateurs du Festival ont apparemment du faire face à des problèmes logistiques malgré une aide de $75.500 du gouvernement du Québec à l’organisme Vues d’Afrique. Selon l’actrice Haïtienne, Fabienne Colas, membre du Jury cette année, « Vues d’Afrique est obligé de faire beaucoup avec très peu. Comme vous pouvez le deviner, le manque d’argent est souvent à la base de tout problème logistique et technique dans un évènement de ce genre. Vues d’Afrique travaille avec un personnel réduit et manque de bras et de ressources (encore faute d’argent) donc cela a un impact direct sur l’organisation et la planification. Tout le monde est obligé de courir dans tous les sens pour essayer de faire des miracles et de plaire aux plus exigeants... Les bénévoles sont parfois incompétents ou mal guidés (leurs tâches ne sont souvent "pas bien définies"), ce qui ralentit considérablement le rythme et le bon déroulement des choses. Il y a aussi quelques problèmes de coordination mais, que voulez-vous, la perfection n’est pas de ce monde. », nous a-t-elle déclaré dans une interview. Fabienne Colas a toutefois félicité les organisateurs pour leur courage et leur persévérance en dépit de tous les obstacles auxquels ils ont du faire face. « Quelle belle vitrine pour le cinéma africain et créole au Québec. 22 ans, c’est toute une vie ! », s’est-elle exclamée.
Signalons que plusieurs films haïtiens sont à l’affiche du festival 2006 : Au nom de la mère et du fils de Maryse Legagneur, Pluie d’espoir de Jacques Roc, Petites mères de Judith Brès et Sometimes in April de Raoul Peck. Fabienne Colas a avoué avoir été très impressionnée par ce dernier : « L’histoire est venue m’a interpellée par les tripes. C’est un film captivant du début à la fin. Par moment on se croit en train de regarder un documentaire vu l’extrême crédibilité des acteurs et la véracité des faits. Le travail de réalisation joue un rôle prépondérant dans ce drame, il y a une certaine magie palpable tout au long du film qui le rend encore plus émouvant. Raoul ne fait pas que raconter une histoire que l’on connaît déjà , il y ajoute une touche particulière qui nous permet de redécouvrir ce génocide avec d’autres yeux. Je suis d’autant plus fière car Raoul Peck est un Haïtien. Un Haïtien qui fait notre fierté jusqu’à Hollywood. Pour moi il est une espèce de génie ! C’est dommage que le film ne sera pas présenté ailleurs sur grand écran. Le monde entier devrait voir Sometimes in April.†, a-t-elle souhaité.
Enfin, soulignons que parallèlement à son implication cinématographique, Vues d’Afrique organise une série d’activités dont l’objectif est de promouvoir l’art africain et créole dans sa diversité. Ces dernières se dérouleront au Musée de la civilisation du Québec du 24 au 28 avril sous les thèmes suivants :
Le Rallye-Expos, une quinzaine d’expositions de photos, sculptures et peintures proposées gratuitement au public pendant cinq mois (janvier à juillet)
Les Ciné spectacles au clair de lune, des projections en plein air précédées de musique (en juillet)
Des Goûts et des Couleurs, un programme scolaire pluridisciplinaire qui donne aux jeunes la possibilité de rencontrer les cultures d’Afrique et de sa diaspora pendant l’année scolaire.
Ce 26 avril, le nom de Léopold Sédar Senghor sera attribué à une place de Montréal. Cette inauguration coïncidera avec la Rencontre des maires francophones et la 22ème édition des Journées du cinéma africain et créole de Vues d’Afrique.
Nancy Roc, Montréal, le 24 avril 2006
rocprodz@yahoo.fr