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Haiti - Réforme agraire : Un outil indispensable à la résolution de conflits terriens

Par Djems Olivier, envoyé spécial de l’agence AlterPresse dans l’Artibonite

(Agence Monde noir) La réforme agraire, réalisée sous le premier mandat de René Préval, a contribué à l’éradication des conflits terriens qui sévissaient dans l’Artibonite, au centre d’Haïti. La distribution de titres de propriété aux paysans sans terre n’a cependant été qu’un demi-succès.

Pieds nus maculés de boue, vêtu de haillons rapiécés et bouche édentée, le riziculteur Clément Philémon jette un regard angoissé sur son demi-carreau de rizière, perdu au milieu de la plaine verdoyante écrasée de soleil (Photo Logo : Clement Philemon admire son champ de riz). ‘’Le profit que je tire de mon demi-carreau ne me permet plus de vivre, s’indigne-t-il, à l’ombre du manguier où nous nous sommes réfugiés pour échapper au soleil de midi. J’ai des enfants à nourrir et à éduquer.’’

L’augmentation considérable des coûts de production grève les profits de ce riziculteur de Carrefour Peigne, près de Pont Sondé. Vendu à 175 gourdes il y a six ans, le sac d’engrais coûte aujourd’hui 1 500 gourdes. Pas étonnant qu’il ne récolte plus que seize sacs de riz à chacune de ses deux récoltes annuelles, soit moitié moins que ce qu’il récoltait auparavant.

‘’Heureusement, il n’existe plus de conflit terrien, dit-il, tout en regardant les champs onduler à perte de vue, verts comme une promesse de bonheur. Il y a toujours des problèmes de ce genre dans les zones de Desdunes et de Grande Saline, mais ici c’est différent. Chacun dispose au moins d’un lopin de terre.’’

Ce succès relatif, les paysans du coin le doivent à la réforme initiée sous le premier mandat du président René Préval. ‘’Il y avait trop d’effusions de sang dans l’Artibonite, raconte Raymond Mésadieu, technicien en agriculture à l’Organisation pour le développement de la vallée de l’Artibonite (ODVA). Des innocents étaient les principales victimes de ces échauffourées. La réforme agraire a mis fin à tous ces démêlés, c’est le seul avantage que nous en avons retiré jusqu’ ici.’’

Sur le plan de la production, elle n’a pas fait long feu non plus. Privés de moyens techniques, beaucoup de paysans ont abandonné leurs champs à la recherche d’une vie meilleure en République dominicaine, au profit des entreprises sucrières. D’autres ont même saboté les motoculteurs mis à leur disposition pour labourer les terres et les ont vendus en pièces détachées.

‘’ L’Etat avait donné une enveloppe de 5000 gourdes a chaque bénéficiaire de la réforme pour pouvoir démarrer, explique Raymond Mésadieu, aussi responsable de l’organisation paysanne Mouvement revendicatif des planteurs de l`Artibonite (MOREPLA). Certains ont perçu cette somme et se sont dirigés vers la République dominicaine... Néanmoins, la réforme de Préval était nécessaire, même si elle n’a pas pu aider à l’augmentation de la production nationale !’’.

Chose certaine, la réforme agraire est loin d’être complétée. Les terres fertiles de l’Artibonite sont encore loin d’appartenir toutes aux paysans qui les exploitent. Les grands propriétaires terriens - nommés grandons en créole - louent leurs terres aux paysans, à charge pour eux de les exploiter et de leur verser un tiers de la récolte finale. C’est le système des deux moitiés. ‘’L’Etat est le principal responsable de ce problème, juge Raymond Mésadieu. Il est absurde que des gens détenant trente à quarante carreaux de terres ne résident pas dans la vallée. La plupart vivent à Port-au-Prince ou à l’étranger’’, se plaint-il.

Clément Philémon est justement l’un de ces paysans, qui attend toujours de bénéficier de la réforme agraire. ‘’Je partage la récolte en trois parties égales : j’en prends deux et j’en donne une à celui qui m’avait concédé le terrain, explique-t-il. Mais les deux tiers que je perçoit ne me permettent même pas de couvrir mes dépenses.’’ Il attend du président élu la poursuite de la réforme agraire ainsi qu’une assistance technique conséquente.

Des équipements de l’ODVA abandonnés

Mais entre-temps, l’Institut national de la réforme agraire (INARA) n’existe que de nom. Aucun travail réel n’est effectué sur le terrain, sauf en ce qui a trait aux quelques policiers qui croupissent dans le commissariat décrépit établi sur le campus de l’Organisation pour le développement de la vallée de l’Artibonite (ODVA), à Pont Sondé. Des 33 policiers affectés à l’Unité de sécurité de la réforme agraire (USRA) de Pont-Sondé, seulement 17 sont en poste aujourd’hui. Tous ont reçu une formation en droit qui leur permet d’intervenir efficacement en cas de litige portant sur la propriété d’une parcelle.

Dès sa création, l’USRA était très bien équipée. Chaque policier avait son équipement au grand complet (fusil, gilet pare-balles, etc.). ‘’Actuellement, le commissariat est inactif, nous n’avons ni armes, ni minutions. Les armes qui étaient à notre disposition ont été déportées à Port-au-Prince pour défendre l’ancien régime [ndlr : régime Lavalas de Jean-Bertrand Aristide]’’, dit un policier qui a requis l’anonymat.

Des grandons ont pourtant tenté à maintes reprises de reprendre le contrôle des terres réformées après le départ de René Préval, qui a dirigé le pays de 1996 à 2001. Selon des résidents de Desdunes, des chefs de bande proches de Jean-Bertrand Aristide se servaient de leurs armes pour accaparer les terres des paysans. ‘’ Les grandons ont cessé de régner depuis la réforme agraire de Préval, les paysans utilisent leurs propres armes blanches pour assurer la défense de leurs terres ‘’, déclare Paul Samuel, responsable du presbytère de la paroisse catholique de Desdunes.

Dans la Vallée de l’Artibonite, les riziculteurs qui exploitent ces latifundia de manière parfois illégale, déclarent que la terre doit appartenir à ceux qui la cultivent. Certains s’organisent en associations afin de faire reconnaître leurs droits sur des terres que leurs ancêtres cultivaient déjà il y a 200 ans. L’élection de René Préval, à l’origine d’un début de réforme agraire lors de son premier mandat à la Présidence, insufflera-t-elle un souffle nouveau à cette répartition ?

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Contact Djems Olivier : do@medialternatif.org