Par Marvel Dandin [1]
Mars 2003
Les prescrits constitutionnels, les lois, les conventions en matiere de
droits humains ne suffisent pas a garantir la pleine jouissance des
libertes
de la presse et d’expression en Haiti. Il en est de ces prescrits et
lois,
comme c’est le cas, malheureusement, pour l’ensemble des lois dans
notre
pays. Nous en sommes encore au stade d’une societe ou l’informel et le
droit
coutumier predominent. A l’heure ou l’on parle de plus en plus de
nouveau
contrat social, peut-etre qu’il y a lieu d’esperer que, dans le cas ou
tous
les secteurs de la vie nationale soient pleinement impliques dans le
debat y
relatif, l’on parvienne a des accords librement consentis sur les
regles
d’evolution et les rapports.
1-Connaissance des prescrits constitutionnels/Formation y relative
Un probleme assez serieux se pose. C’est celui de la connaissance des
principes en matiere de droits humains en general, et de liberte
d’expression en particulier. De ce fait, nous souffrons d’un manque
patent
de formation dans ce domaine. Cette carence est renforcee par nos
traditions
autoritaires, tant au niveau institutionnel qu’au niveau de la cellule
familiale.
La detresse et le desespoir consecutifs a la degradation acceleree des
conditions de vie, achevent de reduire a neant tout ce que le people
haitien
cultivait en termes de valeurs en matiere de respect de la liberte
d’expression. Dans ce contexte, on voit difficilement comment, pour sa
part,
la liberte de la presse pouvait avoir la partie belle. Il convient a ce
niveau de faire remarquer que la notion de liberte de la presse n’est
pas
mieux lotie chez la population que chez les dirigeants. Il est vrai que
les
aspirations a un etat de droit chez la population sont profondes. Mais,
il
est tout aussi vrai qu’elle ne se fait pas une idée exacte du role que
doit
y remplir la presse. Certains groupes de la population percoivent la
presse
au meme titre que les dirigeants, a savoir un instrument servant une
cause,
ne disposant pas d’autonomie proper et devant se limiter a des champs
précis
selon les conjonctures.
A propos de la connaissance des prescrits de la constitution et des
lois
regissant les libertes de la presse et d’expression, qui, dans notre
profession, peut se targuer d’etre tout a fait a jour. Les autres
secteurs
de la societe, la police, les responsables des instances repressives et
judiciaires, sont-ils pour leur part mieux imbus des principes en
question.
Il en est de meme de l’ensemble de la societe, en particulier du monde
scolaire et estudiantin. Les principes de base en matiere de droits
humains
et, plus precisement de liberte d’expression, ne sont ni connus ni
enseignes. Aucun curriculum d’enseignement ne les renferme. Aucun
programme
de mise en valeur de ces notions n’est en vigueur. La societe haitienne
ne
les reconnait pas encore comme valeurs essentielles et indispensables a
l’etablissement d’une societe de droit. D’ailleurs, le concept meme
d’Etat
de droit reste encore a definir, en depit de l’effort gigantesque
deploye il
y a 16 ans en vue d’elaborer et de ratifier la charte
constitutitionnelle en
vigueur.
2-Absence de debat/Obligation d’innover
Un autre probleme majeur caracterisant notre milieu en general et le
secteur
de la presse en particulier, c’est le manque de debats serieux et de
discussions constructives autour des problemes de la profession. Par
discussions constructives, il faut entendre la production constante de
propositions destinees a elargir et a consolider l’espace d’evolution
de la
presse. Il s’agit, a ce niveau, d’aller au-dela des prescrits
constitutionnels et des lois, mais en les prenant pour base, de sorte a
les
developer, a les enrichir. Il y a donc obligation d’innover, les
prescrits
constitutionnels et les lois n’offrant que la base de l’edifice. Le but
est
de porter les autres secteurs, notamment les legislateurs, la police et
les
pouvoirs publics en general a constamment adapter ou renouveler leurs
pratiques, a concevoir des regles qui favorisent au mieux le
fonctionnement
de la presse.
La constitution et les lois ne disent pas tout. Il importe de creer un
cadre
juridico-legal et un ensemble de regles et de normes qui tout a la fois
les
consolident et developpent. Il est d’autant plus necessaire de le faire
que
la Constitution haitienne est somme toute assez sommaire sur les
questions
de liberte de presse et de droit a l’information.
3-Liberte de la presse, Liberte d’expression, Contexte socio-economique
Le fait que la presse en Haiti soit apparemment en avance sur le reste
de la
societe par rapport a l’ouverture aux idees de progres et de modernite
fait
d’elle la cible privilegiee des forces conservatrices. Il est clair
que,
face a la demande constante d’informations de la plupart du gros de la
population, les tenants de pouvoirs [politique, economique, religieux]
developpent toute sorte de strategies en vue de maintenir le statu quo
et de
controller la presse quand on n’arrive pas tout simplement a la
museler.
La liberte de la presse ne s’insere pas encore dans la trame d’un
schema
global de developpement economique, de modernisation et de
l’etablissement
d’un etat de droit. Ce n’est qu’avec l’accomplissement de tels
objectifs que
la presse finira par occuper la place qui est la sienne au sein de la
societe. Ceci ne conduit pas a se croiser les bras et a attendre
l’avenement
de la nouvelle societe. Au contraire. Le combat dans cette perspective
ne
doit que se renforcer. On connaitra encore pas mal de difficultes.
Mais, les
perspectives peuvent s’eclaircirent si la societe civile, les partisans
de
la democratie et des secteurs economiques en quete de progres et de
modenite
se jettent avec encore plus de determination dans l’arene. Il ne s’agit
donc
pas, pour la presse de faire cavalier seul, meme s’il importe que des
balises soient clairement etablies en vue de preserver l’independence.
Car,
il n’est point question d’etre a la remorque, meme s’il arrive que des
objectifs communs soient poursuivis par la presse et des secteurs
quelconques de la societe.
4-Claire identification des facteurs de blocage
Autant les forces conservatrices que des facteurs d’ordre structurels
nuisent a la liberte de la presse. Il importe de bien les identifier
dans la
definition des strategies.
D’abord, a tous egards, l’analphabetisme et le faible taux de
scolarisation
constituent des obstacles qui empechent l’extension des medias,
notamment de
la presse ecrite. Il va sans dire que la presse ne devrait pas menager
ses
efforts en vue de favoriser des initiatives serieuses en ce domaine,
qu’elles viennent du public ou du prive.
Le niveau de l’enseignement primaire, secondaire et universitaire
constitue
au meme titre un facteur determinant dans l’evolution de la presse.
Il convient de resoudre une fois pour toutes le probleme de la langue.
La
plupart du temps, les medias n’utilisent ni le Creole, ni le francais.
La propagande et la desinformation, connexes a la mise sous tutelle
gouvernementale des medias d’Etat, constituent un autre facteur de
blocage a
la liberte de la presse. Le droit a l’information est bafoue. L’argent
du
public (qui fait fonctionner ces medias) se retourne contre lui.
Obstruction et refus de faciliter l’acces aux sources. Pratique des
plus
courantes dans l’administration publique haitienne. Certaines fois, un
usage
prive est fait des informations publiques. Elles sont distribuees a des
medias tries sur le volet, retribues en quelque sorte pour leurs bons
services.
Persecutions ouvertes. Campagne de denigrement, menaces et
intimidations,
arrestations, aggressions physiques (contre journalists et/ou
installations).
Persecutions d’ordre administratif (Repression fiscale, exigencies ou
restrictions au niveau technique, etcÂ…)
5-Propositions
Il importe qu’un programme intensif de vulgarisation des prescrits
constitutionnels garantissant les libertes de la presse et d’expression
soit
entrepris. (Campagne mediatique, insertion dans les curricula
d’enseignement, promotion permanente via examens et concours, insertion
dans
les programmes d’education civique, etcÂ… ).
Le support aux prescrits constitutionnels relatifs a la liberte de la
presse devrait s’accompagner d’un programme tout aussi intensif de
vulgarisation de la declaration universelle des droits humains, de la
declaration de Chapultepec. Concernant cette derniere, obtenir que le
gouvernement haitien la ratifie.
Creation et installation d’un observatoire permanent du respect des
libertes de la presse et d’expression.
Renforcement des sanctions penales contre la violation des garanties
constitutionnelles relatives a la liberte de la presse.
Lutte systematique contre l’impunite en la matiere.
Programme de sensibilisation permanente en faveur de la reconnaissance
du
droit a l’information, dans le public comme dans le prive. Par la
generalisation du principe de l’ouverture systematique au public
(points de
presse obligatoires, mise a la disposition de documents, amelioration
de
l’acces aux sources sur toute question d’interet public.
Sensibilisation
en faveur de la creation de bureaux de relations publiques et/ou de
communication au niveau des institutions publiques et privees).
Sensibilisation a la creation, au sein de la societe civile, de
groupes de
defense et de promotion du droit a l’information, de la liberte de la
presse
et de la liberte d’expression.
Creation d’un espace de debat permanent entre la presse, la societe
civile,
les partis politiques et les pouvoirs publics autour de la liberte de
la
presse.
Insertion de la presse haitienne dans des cercles regionaux et
internationaux actifs de defense de la liberte de la presse.
[1] Marvel Dandin est Directeur de l’information et membre du Conseil d’Administration de Radio Kiskeya a Port-au-Prince