Par Roosevelt Jean-François
Soumis à AlterPresse le 26 mars 2006
La visite du président élu d’Haïti René Garcia Préval aux Etats-Unis cette semaine porte l’empreinte d’un double impact au niveau de la redéfinition des relations internationales d’Haïti. Double impact au niveau multilatéral et bilatéral.
Le premier impact vise l’aspect multilatéral avec des institutions comme les Nations Unies et l’Organisation des Etats Américains (OEA) à travers leurs différents organes de représentation, de consultation et d’exécution.
Le deuxième impact est d’ordre bilatéral en ce qui a trait aux relations diplomatiques d’Haïti avec les Etats-Unis à travers des rencontres avec le président Georges Bush et des membres du congrès.
Préval s’est adressé d’abord au Conseil de Sécurité qui est la plus haute instance décisionnelle de l’ONU, la seule organisation mondiale à compétence universelle.
Il a également pris la parole devant le Conseil Permanent de l’OEA, institution régionale à compétence universelle.
Il a rencontré Kofi Annan, secrétaire général des Nations Unies avant d’avoir une réunion de travail avec des membres du Conseil Economique et Social (ECOSOC) de l’ONU.
Le président élu devait effectuer une tournée des institutions internationales de financement pour des entretiens avec des responsables de la Banque interaméricaine de développement, du Fonds monétaire international et de la Banque mondiale.
Après Santo Domingo, Brasilia, Buenos Aires et Santiago : la caravane de Préval atteint son pic international à Washington.
En moins d’un mois, Préval a sillonné les plus importantes capitales de l’Amérique... du Sud ... et de l’Amérique ... du Nord. Avec un esprit d’ouverture et à la recherche des opportunités. Mais avec des attentes et des intérêts partagés. Le Sud a eu les devants. Mais le Nord est passé à la vitesse supérieure.
La semaine dernière, le chef de la mission diplomatique américaine en Haïti, l’ambassadeur Janet Sanderson a présenté ses lettres de créance au président en exercice Boniface Alexandre. En rencontrant les journalistes au Palais National en marge de la cérémonie, la diplomate qui a un master en Sécurité Nationale, a déclaré que son pays veut « renforcer les liens d’amitié avec Haïti ».
Au cours de cette même semaine, c’est la sous secrétaire d’état chargé des questions économiques, commerciales et agricoles, Josette Shiner, le numéro 4 du département d’Etat qui débarque pour une tournée de quelques heures à Port-au-Prince et en dehors de la capitale.
Elle précise que les « Etats Unis sont prêts non seulement à supporter la démocratie en Haïti, mais aussi à aider à son développement économique pour apporter l’espoir et offrir des opportunités aux haïtiens ».
Elle a visité des projets en cours dans le Nord-Ouest. Elle s’est entretenue avec les populations locales et a actionné une pompe à eau à bras.
Josette Shiner s’engage à écouter et aussi à apprendre des Haïtiens à propos de leur plan pour construire un meilleur avenir pour eux mêmes et pour leurs enfants.
C’est un nouveau discours pour une nouvelle réalité.
Shiner, une ancienne journaliste du Washington Times qui a remplacé l’année dernière Alan Larson comme sous secrétaire d’état chargé des questions économiques, commerciales et agricoles, est bien placée dans l’actuelle administration Bush qui cherche à obtenir un accord multilatéral pour le commerce mondial. Elle a participé activement aux négociations qui ont abouti à l’adhésion de la Chine et de Taïwan à l’Organisation Mondiale du Commerce.
Shiner est responsable du dossier de la Zone de Libre Echange des Amériques (ZLEA) qui vise à la création d’un vaste marché partant de la Terre de Feu jusqu’à l’Alaska. Le Brésil, l’Argentine sont très réfractaires à ce projet. Le Vénézuéla de Chavez, Cuba de Castro et la Bolivie de Morales y sont opposés.
Ne pouvant obtenir une adhésion continentale, les Etats-Unis tentent d’avoir des accords d’échanges bilatéraux et des traités régionaux.
C’est le cas avec l’Amérique Centrale et la République Dominicaine. Mais ce traité soulève la colère des Equatoriens qui ont gagné les rues la semaine dernière pour le dénoncer.
Les mouvements indigènes rejoints par d’autres mouvements sociaux paralysent les activités depuis plusieurs jours dans plusieurs régions de l’Equateur, afin de protester contre le Traité actuellement en négociation avec les Etats-Unis.
L’actuel président élu du Costa Rica, Oscar Arias, malgré sa popularité, a failli ne pas être élu au premier tour pour n’avoir pas eu de position arrêtée sur cet accord très critiqué par la population et les milieux d’affaires.
Ces pays à forte concentration et de production principalement agricole voient leur économie menacée par la production américaine le plus souvent subventionnée par l’exécutif.
A ceci, il faut aussi ajouter la communauté de la Caraïbe (CARICOM), dont les pays ont une forte composante agricole, et surtout de bananes. La CARICOM ne suit pas les Etats-Unis dans cette logique de Traité de Libre Echange.
C’est vers cette CARICOM que le chef de la diplomatie américaine Condoleezza Rice s’est rendue au cours de la semaine dernière pour parler d’Haïti et réclamer une aide internationale plus soutenue afin de stabiliser le pays.
Rice a invité les pays membres de la Caraïbe Anglophone à augmenter leur soutien à Haïti.
La CARICOM s’est toujours prononcée contre la position américaine dans le dossier haitien durant ces deux dernières années. Elle n’a pas reconnu le gouvernement de transition installée en Haïti après le départ forcé de l’ancien président Jean-Bertrand Aristide.
D’autre part, la délégation conduite par Préval est arrivé à New York et à Washington à un moment ou l’administration américaine, le congrès, les forces sociales sont à couteaux tirés sur un dossier sensible qu’est l’immigration. Un projet du gouverneur de la Floride Jeb Bush appelant à une Initiative Floride Haïti est resté dans les tiroirs et n’a pas reçu le support de la communauté haïtienne parce qu’il ne fait pas cas de la question de l’immigration qui est à la une des coalitions latino-américaines.
Au niveau multilatéral, Préval pourrait bien bénéficier des expériences du Brésil et de l’Argentine qui ont su tenir tête et négocier avec des institutions financières multilatérales comme le FMI et la Banque Mondiale et qui ont donné des résultats de croissance économique extraordinaires. L’argentine a prouvé au cours de ces deux dernières années que la satisfaction des besoins de ses citoyens passe avant le paiement de la facture de la dette.
Un article du Miami Herald publié le week-end écoulé note que Cuba et Vénézuela battent des records en terme de sympathie pour leur forme d’assistance en Bolivie et en Haiti. Des sondages effectués en Haïti prouvent que malgré les 800 millions d’aide offerts par les Etats-Unis à travers la USAID depuis 1994, plus de 40 % des Haïtiens affirment que dans le domaine de la santé, l’aide cubaine a été plus utile au pays qui a reçu plus de 500 médecins cubains pendant la période.
La situation est similaire en Bolivie ou le nouveau président Morales se montre ouvert à l’assistance américaine mais « sans contrainte ».
Au delà de l’impact formel de cette visite, le président élu doit surtout compter sur les coulisses pour faire avancer la cause haïtienne.
La politique américaine et aussi des grandes institutions multilatérales est celle des relations et du réseautage à travers le lobbying les groupes d’influence et l’opinion publique.
Dans cette perspective, Préval a marqué un point positif en se faisant accompagner par une équipe pour ce déplacement à New York et à Washington.
La diplomatie citoyenne et commerciale est celle inaugurée par l’ex secrétaire d’Etat américain au commerce Ron Brown qui a perdu la vie dans un accident d’avion au cours d’une mission commerciale.
La présence des présidents des différentes chambres de commerce et associations patronales, des hommes d’affaires américains et haïtiens dont le président de la compagnie Comcel (Voilà ) et l’haïtiano-américain Dumarsais Siméus ainsi que les économistes Gabriel Verret, Daniel Dorsainville et Elizabeth Delatour, prouvent que Préval a fait le choix du business et de l’économie comme axes prioritaires.
L’équipe de Préval regroupe également l’ancien ministre des Affaires étrangères Fritz Longchamps, l’ancien secrétaire d’Etat à la sécurité publique Robert Manuel, ainsi que le chef d’organisation populaire lavalas René Monplaisir, qui avait pris une part active dans sa campagne électorale.
Préval aura bien compris que la diplomatie et la politique internationale va au-delà des canaux formels de représentation et qu’il faut bien des négociations entre les représentants des Etats aussi bien que des négociations entre les vrais représentants de la société civile. Et aussi qu’il faut bien comprendre les règles du jeu pour les utiliser à son avantage.
D’où la recherche de l’expertise et de l’expérience des autres. Et surtout, un effort pour se montrer humble et prêt à apprendre.
Tamarac, FL, le 26 mars
rojefra@yahoo.com
Fulbright Scholar
Florida Atlantic University