Par Ronald Colbert, envoyé spécial
Papaye (Hinche, Haïti), 21 mars 2003 [AlterPresse] --- Couverts par une unité spécialisée de la Police nationale d’Haïti (PNH), plus d’une trentaine de brigands lavalas, munis d’armes à feu (fusils 12, revolvers 9 et 22 mms, uzis), de gourdins et de fouets, ont sévèrement passé à tabac, dans l’après-midi du jeudi 20 mars 2003, plusieurs paysans membres et sympathisants du Mouvement des Paysans de Papaye (MPP), au cours d’une opération de quadrillage de la route reliant Papaye à Hinche, à 128 kilomètres au nord-est de Port-au-Prince, ont rapporté à AlterPresse des victimes et témoins de l’agression.
« Les brigands lavalas ont passé environ 15 minutes à intimider, molester et contraindre les paysans à s’étendre à même le sol et à fouiller les bagages des passagers à bord d’un des véhicules ayant laissé le congrès. Ils ont accusé les occupants du véhicule de discréditer la consommation des ailes de dinde importées, de mettre des bâtons dans les roues du gouvernement et d’être revenus d’une réunion du MPP où ils auraient appris à utiliser les armes à feu », a confié à AlterPresse l’une des victimes.
En plus d’avoir été sauvagement malmenés, les paysans victimes ont été très traumatisés par la fureur des assaillants. Une paysanne, en provenance du Sud, qui a participé au congrès, a été rouée de coups, tandis qu’un autre paysan de la même région a eu une de ses jambes tellement contusionnée qu’il ne pouvait pas mettre le pied par terre.
Le chauffeur du véhicule « perquisitionné » par les agresseurs lavalas n’a pas pu s’arrêter dans le chef lieu du Plateau Central, tant la ville était quadrillée par la PNH qui a fermé les yeux sur les actes de violence perpétrés par les agresseurs.
D’autre part, d’autres brigands lavalas ont pénétré dans des maisons à Papaye, où ils ont battu des paysans. Ils se sont également postées sur différentes routes, telles celle des localités de Guanagaria et de Trois Roches, pour bloquer tout passage aux paysans membres du mouvement, qui s’apprêtaient à regagner leur patelin. Plusieurs d’entre eux ont été agressés à ces endroits.
Cependant, informée par les dirigeants du MPP de l’ampleur des actes d’agression sur les paysans, la police départementale a dépêché une patrouille qui a voulu ramener à Hinche les délégués repliés au centre de formation du mouvement. Cette offre a été rejetée par le MPP. Et les délégués ont alors passé la nuit du 20 au 21 mars 2003 au centre de formation de l’organisation paysanne.
Les paysans victimes sortaient du congrès du 30e anniversaire du mouvement, quand ils ont été battus par les brigands lavalas non loin de Radyo Vwa Peyizan (RVP) qui avait retransmis en direct une bonne partie des travaux déroulés au centre de formation du MPP du 17 au 20 mars 2003.
Des témoins ont raconté avoir vu un véhicule portant l’emblème du ministère de l’Agriculture qui transportait et distribuait les militants lavalas à des points jugés stratégiques dans les environs de Papaye, pour empêcher toute tentative de manifestation des paysans contre le régime. Les brigands armés n’ont pu investir ni le siège ni le centre de formation du MPP.
« La façon dont se sont produits les événements indique que l’opération de quadrillage fait partie d’un scénario bien monté, puisqu’une autre unité de la PNH faisait le va-et-vient sur la route de Hinche à Papaye, tandis que d’autres policiers avaient investi l’agence locale des Télécommunications d’Haïti pour empêcher toute communication par téléphone entre Hinche et d’autres régions du pays. D’autre part, un autre groupe de brigands lavalas, eux aussi lourdement armés, avait dressé une barricade sur le pont Iquitte (entrée sud de la ville) pour contrôler les allées des véhicules », a précisé à AlterPresse un voyageur qui a requis l’anonymat.
Cette attaque a été perpétrée contre les paysans, peu de temps après le départ, aux abords du siège du MPP, d’une patrouille de l’Unité Départementale de Maintien de l’Ordre (UDMO) venue s’informer des véritables intentions du mouvement sur la tenue ou non d’une marche en direction de Hinche.
La Direction Départementale de la PNH, représentée par le commissaire principal Orival Manuel Gaston, avait notifié, par lettre au MPP, sa décision d’interdire « toute marche pacifique jusqu’à nouvel ordre, en raison du climat d’insécurité et de déstabilisation actuelle, pour éviter toute infiltration ». Dans cette lettre, la police départementale avait suggéré au MPP de se concentrer dans « son domaine ».
Après une marche symbolique de milliers de paysans, pancartes en main, sur une distance d’un kilomètre et demi (1 km 50) du centre de formation au siège du mouvement, un indicateur qui accompagnait les policiers de l’UDMO a argué que les paysans étaient en train de « calomnier » la PNH.
Peu avant la marche, au moment où les délégués paysans délibéraient sur l’opportunité ou non de marcher en direction de Hinche, une patrouille de la PNH était visible à l’entrée du centre de formation. Mais, cette patrouille s’en est allée sans demander son reste, lorsqu’un membre du MPP lui a demandé d’accompagner la marche imminente des paysans vers Hinche.
La marche terminée à Papaye même, les paysans sont revenus au centre de formation, où a commencé à régner une tension très vive, déjà perceptible près de la station Radyo Vwa Peyizan, destination de la marche. Cette tension a persisté quasiment durant toute la nuit du 20 au 21 mars 2003 au centre de formation, où les paysans se sont réfugiés pour prévenir tout affrontement avec les militants lavalas.
Les informations recueillies par le MPP ont fait état d’un ordre qui aurait été transmis du Palais National, dans la capitale haïtienne, pour réaliser un bain de sang parmi les éventuels manifestants qui auraient osé pénétrer le centre de Hinche ou pour molester les membres du MPP à leur sortie du congrès du 30e anniversaire de l’organisation paysanne.
Des voyageurs ont signalé à AlterPresse avoir croisé le mercredi 19 mars 2003 plusieurs véhicules de la PNH en direction du Plateau Central. Le 17 mars, de nombreux véhicules ont été contraints par la PNH à passer plusieurs heures d’attente à la sortie de Mirebalais, sur la route conduisant à Hinche, à cause d’une situation incertaine qui existerait à Pernal, une localité de Lascahobas pas trop éloignée de la frontière avec la République Dominicaine. Le même jour, des délégations venues de Cuba et du Guatémala avaient essuyé un interrogatoire d’environ 4 heures d’horloge à l’immigration haïtienne de l’aéroport international de Port-au-Prince.
Jusqu’à la fermeture des travaux du 30e anniversaire du Mouvement des Paysans de Papaye, le congrès s’était déroulé dans le calme et dans une ambiance empreinte de slogans revendicatifs contre la mondialisation néolibérale, mais en faveur d’une transformation véritable de l’Etat, d’une décentralisation opérationnelle à tous les niveaux, de la mise en œuvre d’un plan de développement agricole et de l’articulation d’une lutte organisationnelle pour en finir avec "le plan de la mort" symbolisé, selon le MPP, par le régime lavalas.
En plus de la participation de délégués des neuf départements géographiques du pays, le congrès du 30e anniversaire du MPP a été honoré de la présence de délégations venues de la République Dominicaine, de Cuba, du Guatémala, des Etats-Unis d’Amérique et de l’Europe. [rc apr 21/03/03 23:30]