Débat
Par Evans Desmangles [1]
Soumis à AlterPresse le 20 février 2006
Sans être naïfs, nombreux sont les membres de la communauté haïtienne qui pensent, à juste titre d’ailleurs, que cette communauté pourrait s’inscrire durablement et significativement dans le jeu politique québécois et canadien. Non pas parce qu’une citoyenne de même ascendance qu’eux a été élue dans le comté de Papineau à la dernière élection mais bien plus, depuis l’heureuse nomination de madame Michael Jean au poste de gouverneure générale du Canada par le gouvernement libéral. Il en a résulté une prise de conscience réelle chez ce groupe de citoyens des possibilités d’avancement, tant individuel que collectif, quand il y a de leur part la compétence et des gouvernants de la volonté politique.
Ce geste de l’ex Premier ministre, monsieur Paul Martin, a une portée historique. Mais, ne nous leurrons pas, il y a aussi, sûrement, une dimension opportuniste, ce qui n’empêche pas à madame la gouverneure de servir de porte étendard pour donner espoir à certains jeunes. Faut-il le répéter, d’un gouvernement minoritaire à l’autre, avec un positionnement qui se voudra plus convaincant sinon une remontée sensible de l’option souverainiste avec la venue de Québec Solidaire, la bataille pour le vote de l’électorat de la diversité ethnoculturelle sera déterminante. Certains spécialistes en parlent comme d’une nécessité de première importance.
Bien loin des enjeux réels et spécifiques de la communauté haïtienne, les deux principaux partis politiques, le Parti Libéral du Canada (PLC) et le Bloc Québécois (BQ), courtisent de manière intensive ces électeurs aux fibres émotives particulières. Le PLC n’a rien réglé du déficit de citoyenneté dû, entre autres, au taux élevé de chômage, de sous emploi et au manque de support aux organismes communautaires. Le parti cultive, néanmoins, le sentiment d’avoir fait ce qu’il fallait pour cette communauté en mettant en exergue, madame la gouverneure. Pour le moment, le parti Libéral du Canada est à évaluer sa marge bénéficiaire après les dernières élections.
Le BQ n’est pas en reste, il ouvre toutes grandes les portes du parti et l’invitation nous semble sincère, sans espoir de moyens véritables pour influer directement sur les décisions touchant cette communauté, il ne peut offrir que sa caution morale et, en défenseur de la cause, le rêve du pays à créer. Le Parti Conservateur, encore absent dans ce milieu, est sans nul doute conscient des efforts à consentir pour compter dans cette bataille. Il ne faudra pas s’étonner de les voir frapper, eux aussi, à la porte.
Dans l’intervalle, l’intensification de leurs intérêts de clan est omniprésente, et c’est tant mieux si comme groupe spécifique, on s’aménage un espace de négociation. Ils poussent leurs pions dans nos milieux. Intéressés, nos églises, nos centres communautaires reçoivent des visites dites de courtoisie. Les groupes socioprofessionnels sont rencontrés. Mais attention ! Pas de débats sur les besoins de cette communauté car, on ne souhaite pas nécessairement, parler de solutions, de perspectives d’avenir et tant pis pour ceux et celles qui veulent aller au-delà du vacarme électoral.
Du bruit, il y en a eu, particulièrement dans les comtés de Papineau et de Bourassa. Certains citoyens d’origine haïtienne ont manifesté, à bons droits, à grands cris et ont contribué, sinon réussi, à défaire le ministre sortant, Pierre Pettigrew et non, comme ils le souhaitaient, le conseilleur spécial pour Haïti, monsieur Denis Coderre. Mais que voulez-vous ? En politique comme ailleurs, on apprend aussi à perdre et à gagner. Les médias, tout comme certains sympathisants, ne retiennent que l’épouvantail du « réel » sociopolitique d’Haïti comme source de motivation première, donc marginale dans le débat politique canadien et québécois. Moi, je crois qu’il s’y passe autre chose. Heureusement, ils sont beaucoup à ne pas se laisser distraire. Ces nouveaux militants se sont montrés organisés, structurés et avaient assez de substance pour mobiliser au-delà de leur cercle d’appartenance. Ils ont compris que le pays, Haïti, qu’ils portent dans leur cœur et dans leurs tripes peut aussi, jusqu’à un certain point, être un enjeu électoral, du moins dans certains comtés du Québec. Fort de ce constat, ils en exigent donc la prise en compte de leurs intérêts dans l’action de la politique étrangère du Canada, là -bas, tout comme pour l’amélioration de la qualité de leur de vie, ici.
Devant les avatars qui les frappent : délinquance, violence, décrochage scolaire, décrochage social, marginalisation accélérée, les hommes et les femmes de cette communauté ont retrouvé une icône à exhiber. Les milliers de diplômés confinés au chômage découvrent, eux aussi, que la politique (canadienne et québécoise) peut être une option valable. Tranquillement, ils prennent conscience du poids de leurs votes, certains espèrent même le négocier sinon influencer les résultats dans les comtés ciblés. Nous sommes, de toute évidence, à un tournant décisif, peut-être historique pour l’inclusion et la participation civique des membres de la communauté haïtienne.
Loin d’être marginale, cette incursion dans les affaires politiques québécoises et canadiennes se veut une réponse citoyenne pour la participation et la détermination du devenir collectif. C’est surtout une occasion à ne pas manquer pour les acteurs sociaux qui, espère-t-on, verront tout le potentiel à saisir. Il n’y aura pas de miracle, les bénéfices pour la communauté se feront sentir à moyen terme à la condition sine qua non de pouvoir tirer avantage des effets combinés de la participation individuelle et de la conscientisation du plus grand nombre de la force relative d’un vote massif de la communauté au prochain scrutin. Encore faut-il avoir la sagesse de semer dès aujourd’hui les germes pour renforcer le sentiment d’appartenance aux réalités d’ici, d’utiliser tous les leviers disponibles pour informer, former à la participation démocratique, éloigner les passions et ne plus jamais faire l’économie du respect des idées et du devoir de dialogue sans heurter les susceptibilités des uns et des autres.
[1] L’auteur est du Conseil national des citoyen (ne) s d’origine haïtienne (Conacoh)