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Haïti - Energie : L’échec

Débat

Par Marc Antoine Archer [1]

Soumis à AlterPresse le 12 mars 2006

Face à l’échec, nous avons le devoir de l’affronter, de l’analyser, d’apprendre à mieux le connaître et de trouver ses causes profondes. (Fragment d’un texte de la Littérature chinoise)

Je ne peux m’empêcher de reprendre une phrase de Edgar Morin pour commencer cet article. A force de sacrifier l’essentiel pour l’urgent, disait-il, on finit par oublier l’urgence de l’essentiel. Cette citation que j’ai déjà utilisée dans l’un de mes articles précédents, me semble définitoire de notre mode de vie, de notre projet de société.

Certains diront que le pays a trop « d’urgences », trop de « priorités » et que les fonds sont faibles ou absents. Alors, face à tant de priorités et en absence de moyens économiques, rien ne peut être fait. Et, effectivement, rien n’est fait et rien ne se fera car, pour obtenir les fonds, il faut avoir des projets, UN PROJET, de société.

Donc, si rien n’est fait, et cela est un choix, il faudra savoir assumer les conséquences : dégradation des conditions de vie, appauvrissement économique, mettant même en cause la survie du pays. Tout cet ensemble de causes et d’effets, formant une boucle qui dégrade encore plus la situation, est un cercle vicieux qu’il faudra transformer en cercle vertueux d’efficacité.

Vu les différents événements qui se sont succédés en Haïti ces derniers temps, j’ai voulu patienter, avant de présenter cet article, et profiter de la journée consacrée à l’Efficacité Energétique, le 6 mars, pour le faire.

Malheureusement, le problème d’Haïti n’est pas seulement un problème d’efficacité énergétique. La problématique énergétique est multidimensionnelle, des moyens de production à l’utilisation rationnelle et optimisée. Et, l’une des notions clés dans la problématique énergétique est celle de l’efficacité.

L’efficacité énergétique est l’ensemble des techniques et des stratégies permettant de mieux utiliser l’énergie et, par conséquent, met en cause, implique différents domaines. En ce sens :

1- L’efficacité énergétique vise à la réduction de la consommation d’énergie, sans toutefois diminuer l’utilisation des équipements et du matériel nécessitant de l’énergie.

2- L’efficacité énergétique vise à promouvoir des comportements, des méthodes de travail, des techniques de production moins coûteuses en énergie.

L’énergie étant la capacité de réaliser un travail, l’efficacité énergétique devrait donc permettre de réaliser beaucoup plus de travail en consommant beaucoup moins d’énergie. Il ne s’agirait pas cependant d’économiser de l’énergie en augmentant les contraintes sur la mobilité, en se limitant volontairement, mais en améliorant l’efficacité énergétique. Cela veut dire simplement d’agir, pour maintenir la même unité de production (d’un bien ou d’un service) sans réduire la qualité ou le rendement de la production, tout en réduisant la quantité d’énergie requise pour générer cette production.

« Il faut néanmoins veiller à ce que l’amélioration de l’efficacité énergétique ne contribue pas à la croissance du recours au service énergétique amélioré ou à de nouveaux services ou besoins énergétiques.

Ainsi, par exemple, pour une même dépense énergétique, des voitures très efficaces peuvent contribuer à se déplacer plus et à augmenter le parc d’automobiles, des économies d’énergies dégagées pour le chauffage de l’habitation peuvent être dépensées pour augmenter le nombre de transports (Publicité : « ce que je gagne en mazout, je le dépense en voyage lointain »). »

Si, jusqu’à récemment, le plus important pour une société était la disponibilité de l’énergie, en ce présent siècle, nous nous rendons compte qu’il y a d’autres facteurs à considérer, puisque plus du tiers des habitants de la Terre n’a pas accès à des services énergétiques décents, et les impacts négatifs causés par l’utilisation abusive de certaines énergies, aussi bien d’origine fossile que d’origine fissile, sont en train de modifier négativement notre environnement physique. En plus, s’agissant de ressources non renouvelables, leur extraction se trouve aussi compromise.

Nous nous retrouvons donc dans un scénario complexe, dans lequel il s’agit de moderniser les sources de production, de maîtriser la consommation, d’augmenter l’efficacité, de faciliter l’accès à l’énergie aux couches moins favorisées des pays pauvres ou à ressources limitées, de démocratiser l’accès à l’énergie et de minimiser les différents impacts causés par l’utilisation des différentes sources d’énergie.

Le secteur énergétique a toujours été un secteur stratégique. Et, il le sera encore plus dans les années à venir. Il est donc certain que ce siècle va être aussi celui des conflits énergétiques. La géopolitique de l’énergie nous permet de prévoir aussi bien des conflits armés que des batailles stratégiques et idéologiques autour de l’énergie.

Nous observons donc que, malgré un contexte global caractérisé, par l’épuisement des combustibles fossiles, quoique dans un certain délai, et, la pression sociale de plus en plus forte sur les énergies fissiles, les décideurs politiques continuent à miser sur une offre illimitée d’énergie électrique, en facilitant la concentration de grandes entreprises du secteur électrique. La raison officielle est pour faciliter :

-  La Soutenabilité

-  La Compétitivité

-  La Sécurité

Cependant, les concepts clés de la soutenabilité, tels : la consommation responsable, la maîtrise de la consommation, la diversification des sources de production, l’efficacité et l’utilisation rationnelle et optimisée de l’énergie, la promotion des services de proximité, restent des paramètres étrangers aux propositions officielles et, on n’y a recours qu’en période d’élections. Et, quoique souhaitant la concentration des entreprises affines, et même la surconcentration, on dénote un certain nationalisme énergétique qui commence à émerger.

La lutte entre les différents acteurs : technologiques, politiques, sociaux, idéologiques, économiques, peut être cruelle.

En ce sens, différents conflits actuels en témoignent. Un bref regard sur le panorama mondial de ces deux derniers mois nous montre les signaux avertisseurs :

-  Conflit gazier entre la Russie et l’Ukraine. Plus de la moitié de l’Europe eût à souffrir les conséquences dudit conflit, à cause de la rupture de l’approvisionnement par la Russie.

-  Conflit nucléaire entre l’Iran et les puissances occidentales (La Russie jouant le rôle de médiateur -intéressé).

-  Agressivité transnationale des grands acteurs énergétiques de l’Europe et des Etats-Unis, dont l’objectif est de reconfigurer de grands espaces énergétiques (monopolistiques). Actuellement, les Offres Publiques d’Achat d’Action, les tentatives de fusion, d’absorption font la une en Europe : Gaz de France, « Gas Natural » de la Catalogne (Espagne), ENDESA (Espagne), E.On (Allemagne) ...

Entre-temps, le temps semble reculer en Haïti.

à€ l’heure où le monde entier essaie de gérer, tant bien que mal, ses conflits énergétiques, tente de réduire sa dépendance énergétique, sa vulnérabilité énergétique, nous observons, en Haïti, l’échec énergétique le plus complet.

Je disais dans un article, que l’Haïtien était « fils du black-out » et que l’énergie ne formait pas partie de nos préoccupations intimes. Nos modalités relationnelles à l’énergie ne contemplent qu’une gamme restreinte basée sur l’utilisation des ressources ligneuses, et la gestion de la lumière du soleil, et, dans certains cas, du vent (Besoins de cuisson, lavage et séchage du linge, bateau à voile, etc.). Et, chose paradoxale, nous évitons tout artifice technologique nous permettant de maîtriser ces mêmes ressources énergétiques : le soleil et le vent (énergie solaire et énergie éolienne).

En rédigeant cet article, ce lundi 6 mars, journée consacrée à l’efficacité énergétique, vient de paraître sur AlterPresse une communication réellement touchante et, je dois l’avouer, m’ayant même révolté : « Haïti : Port-au-Prince dans le black-out » :

« Durant les trois jours gras, les résidents de diverses zones de la capitale haïtienne avaient droit à plusieurs heures d’électricité, notamment durant les heures du défilé carnavalesque...

« ... Ici nous passons plusieurs jours dans l’obscurité, se plaint un jeune universitaire interrogé par AlterPresse. Dans ces conditions, dit-il, la préparation des examens se révèle quasiment impossible. Comme d’habitude, en pareilles circonstances, étudiants et écoliers recourent à l’utilisation de bougies ou de lampes à kérosène. Les bureaux publics ne sont pas alimentés non plus en énergie électrique. Des Sous- commissariats de police, visités à la tombée de la nuit par un reporter de l’agence AlterPresse, fonctionnent à la lueur de bougies. Des institutions publiques et privées tiennent difficilement, confient des responsables. L’utilisation d’autres systèmes énergétiques (inverters et batteries) est aussi paralysée, faute d’alimentation suffisante en énergie électrique.

... En janvier dernier, AlterPresse apprenait que la principale cause du rationnement sévère d’électricité réside dans la difficulté de l’EDH à s’approvisionner en carburant.

L’approvisionnement se fait en effet à qui mieux mieux depuis la fin, en février 2005, d’une subvention d’urgence de vingt-sept millions de dollars de la part de l’organisme d’aide du gouvernement américain (USAID), avait confié une source proche de l’ED’H.

Il a été prévu que le niveau de la Centrale hydro-électrique de Péligre risquait d’atteindre ces jours-ci le seuil critique des 150 mètres. Quand il est à son maximum, il atteint 172 mètres. Cette situation oblige la compagnie à exploiter à fond ses moteurs, dont l’un 24 heures sur 24 et un autre entre 18 heures et 0 heure. »

Si, d’après ce que vient d’avancer AlterPresse, la puissance installée disponible actuellement pour la zone métropolitaine de Port-au-Prince, est de 40MW, j’imagine que les lecteurs se rendront bien compte que ce n’est qu’une goutte de lumière dans la mare de l’obscurité de Port-au-Prince car, laissant fonctionner les moteurs à plein temps, durant toute l’année et considérant un rendement égal à l’unité (chose impossible), l’énergie annuelle disponible serait à peine suffisante pour couvrir à 50% les besoins des clients résidentiels. Que faire alors des clients du secteur tertiaire, comment satisfaire les besoins énergétiques du secteur industriel, comment garantir l’éclairage des rues, des bâtiments publics, comment enfin articuler un processus de transformation du pays si la disponibilité énergétique est si déficitaire ?

En plein 21e siècle, à moins de 900 Km du plus grand pôle de développement du monde, nous voilà en tant que revers de la médaille. Haïti ne mérite pas ce sort. Nous ne pouvons pas nous retrouver dans cette situation d’indigence énergétique, dans laquelle nous nous sommes laissés embarquer, à cause de notre permissivité, avec notre complicité, grâce à notre individualisme.

Nous continuons à croire que la hauteur de nos murs et la taille de notre groupe électrogène nous offre une bonne qualité de vie.

Tout pays a besoin d’un Plan Energétique lui permettant de réaliser une analyse projective de ses besoins énergétiques sur 20 ou 30 années, en fonction des scénarios énergétiques mondiaux prévus. Et, tout Gouvernement, même transitoire, doit pouvoir établir une politique énergétique, en fonction des besoins énergétiques immédiats du pays, des attentes et des besoins à court et à moyen terme du pays et des contraintes idéologiques du parti au pouvoir.

En ce sens, Haïti, à travers les différents Gouvernements qui l’ont représenté, a échoué au niveau énergétique, malgré l’existence de solutions, fiables, durables, adéquates.

Quelles peuvent être les raisons conscientes ou inconscientes de cette cécité énergétique de la part de nos décideurs ?

Je vais essayer d’analyser, de façon sommaire, certains contours de la problématique, ce qui va me pousser à rechercher une vision anthropologique du modèle énergétique haïtien.

Depuis l’Indépendance d’Haïti, nous avons vécu en RUPTURE TECHNOLOGIQUE avec la « civilisation », dos-à -dos avec les pays détenteurs de la technologie et, nous n’avons manifesté aucune envie de maîtriser, de posséder les technologies associées. Nous avons vécu un isolement à tous les niveaux, et nos élites, toutes nuances confondues, n’ont pas su, n’ont pas pu ou simplement n’ont pas voulu remplir leur rôle de transmission :

-  De savoirs

-  De création de richesses

-  D’Innovation

o Technique

o Scientifique

Et, le rôle des élites est justement celui de faciliter l’introduction d’une culture technologique qui aurait permis d’utiliser les moyens disponibles pour transformer le cadre dans lequel nous évoluons, de modifier l’environnement physique, social, etc.

Pour confirmer ce que je viens d’avancer, je vais essayer de faire un parcours rapide à travers l’histoire énergétique de notre cher petit pays pour montrer, crûment, la situation d’échec dans lequel nous nous retrouvons actuellement au niveau énergétique, au niveau environnemental.

Puisque ce que je vais avancer peut m’exposer à pas mal de critiques, je vais expliquer à l’aide d’une anecdote.

Lors d’une intervention sur une chaîne de télévision haïtienne, Télé Ginen, je fus amené à maintenir un débat avec un sociologue haïtien. Les dessous de l’histoire n’ayant quasiment aucun intérêt, je dois expliquer simplement, pour mieux me faire comprendre, que le débat vira sur les relations ethnico-culturelles entre les différents groupes humains.

Généralement je fuis tout débat tendant à l’exaltation de la race et je m’éloigne de toute tentative de recherche de pureté culturelle ou ethnique, car l’Humanité, à mon humble avis, en a trop souffert, trop de crimes ont été commis au nom d’une quelconque supériorité, et au nom de soi-disant faits différentiels.

Je crois que le fondamentalisme, d’où qu’il vienne, ne peut engendrer que des monstres. En plus, je crois qu’il s’agit généralement d’un refuge pour complexés, n’en déplaise à personne. Je le dis sans la moindre envie d’insulter quiconque, mais plutôt dans l’espoir que cela me serve à introduire ma thèse, qui, aux yeux de certains, peut paraître risquée.

Ce jour-là , sans le vouloir, je me retrouvai en pleine polémique, en essayant de défendre mes points de vue sur la situation d’Haïti. En plein débat, mon interlocuteur me traita de « Blanc », et ce, malgré l’assurance que j’ai eue, depuis ma plus tendre enfance, d’appartenir à cette race que jadis maudit Abraham. D’après lui, mes points de vue s’éloignaient des racines profondes de l’Haïtien pur.

Je devais peut-être noircir mes points de vue, j’imagine. Puisque ce jour-là , on devait parler de technologie et de culture, et que mon interlocuteur s’embrasait le cœur et l’esprit avec des arguments basés sur l’ethnicité, je pris la décision de l’écouter parler et de ne pas me laisser emporter.

Cela me semble donc une véritable paranoïa et, à cause de ces phobies qui nous rongent l’esprit individuel et collectif, nous nous complaisons dans une déchéance suicidaire. Et, je ne parle que de l’aspect technologique.

Pour essayer de comprendre la pérennisation de ces modes de fonctionnement négatifs pour notre société, j’ai voulu aller effectivement aux racines, aux racines qui ont créé le paradigme technologique, dans lequel nous vivons en Haïti actuellement.

Notre développement économique passe par une reconsidération de notre modèle énergétique. Miser sur le pétrole et la consommation abusive de nos ressources ligneuses supposerait un étranglement des possibilités de transformation de notre société. Il nous faut donc un changement, et, depuis plus d’un an je ne cesse de le répéter, dans nos structures relationnelles avec l’énergie.

Je dois donc avouer que cette discussion, avec ce sociologue haïtien, me fut quand même profitable, car elle me porta à réfléchir, les jours suivants, sur la situation technologique du pays en utilisant une approche ECO-ANTHROPOLOGIQUE.

En effet, la révolution haïtienne, comme toute révolution profonde, et elle le fut, a marqué notre société. L’un des impacts, assez forts sur la société haïtienne, a été du point de vue technologique.

Rappelons, d’après le texte du Dr. Roger Dorsainvil, la naissance officielle de la Nation Haïtienne, de l’Haïtien. Boisrond-Tonnerre intervint brusquement : « Tout ce qui a été fait n’est pas en harmonie avec nos dispositions actuelles ; pour dresser l’acte de l’Indépendance, il nous faut la peau d’un Blanc pour parchemin, son crâne pour écritoire, son sang pour encre et une baïonnette pour plume ! »

Le Blanc représente quoi dans cette déclaration :

1- L’esclavage en tout premier lieu, l’arbitraire

2- Le capitalisme en second lieu

3- La technologie. Celui qui détient les moyens de productions,

Quoique, dans le Nord, les relations avec l’occident, avec l’Angleterre qui détenait déjà les moyens industriels de production, fussent réellement intenses. Cependant, il faut dire qu’au niveau technologique ces relations ne profitèrent pas au pays.

Même les pays européens eurent à attendre de longues années avant de pouvoir tirer profit de la Révolution Industrielle qui prit naissance en Angleterre. Elle ne profita aux autres pays de l’Europe que beaucoup plus tard, au moins 50 ans. Cela veut dire que l’Angleterre voulait maintenir l’hégémonie technologique.

Pour revenir à notre ligne de départ, jetons un coup d’œil sur le monde technologique d’Haïti à l’époque :

« A la fin du XVIII e siècle, à la veille de la Révolution française, Saint-Domingue est le joyau le plus précieux de l’Empire colonial français témoignant d’une heureuse prospérité. Si le tiers occidental de l’île d’Hispaniola, concédé par les Espagnols en 1697 par le traité de Ryswick, exporte de l’indigo, du café, du tabac et des bois précieux, il doit en grande partie sa prospérité à son industrie sucrière.

Celle-ci la met en tête des producteurs de sucre de canne. Cette industrie prend son véritable essor seulement après 1763, au lendemain de la guerre de Sept Ans. Elle va, à partir des riches plaines du Nord, couvrir la colonie d’un vaste réseau d’habitations, chaque jour plus fonctionnel et plus moderne.

Les colons qui, pour des raisons multiples, semblent avoir attaché peu de prix à leur propre maison, n’ont lésiné sur aucune dépense pour doter leur usine d’installations somptueuses, justifiant parfois l’importation de pierres de taille et d’ardoises de la métropole coloniale.

Développée très tardivement, la plaine du Cul de Sac, entre Port-au-Prince et l’étang Saumâtre, va pouvoir bénéficier des dernières acquisitions techniques et des derniers progrès architecturaux, là où ils existaient déjà , les complexes industriels seront pour la plupart reconstruits ou réaménagés.

A partir de 1770, les complexes industriels sont élevés, sauf certaines variantes, selon un plan type qui, tout en permettant une économie substantielle d’eau et d’énergie, et en facilitant l’organisation des opérations, fait gagner leur temps. Seulement deus formes d’énergie sont utilisées : la force hydraulique et la traction animale, actionnant respectivement le moulin à bêtes. Selon leurs disponibilités en eau et l’importance de la production, les habitations utilisent soit le moulin à eau soit le moulin à bêtes ou plus rarement les deux.

Les habitations de la plaine du Cul de Sac, près de Port-au-Prince, ont prospéré avant d’être désaffectées au XIX e siècle et surtout après 1920-1925 à la suite de la formation de la Haitian American Sugar Company. »

Entre-temps, la Révolution Industrielle fait son chemin, du charbon au pétrole, de la machine à vapeur à l’utilisation massive de l’électricité. Le développement des différentes énergies renouvelables, la promotion de nouvelles attitudes, de nouveaux comportements, etc.

Et, maintenant que le monde se lance à la conquête de l’Hydrogène, en pleine maturité technique, chez nous aucune notion de politique énergétique. Comment donc ne pas croire que notre société veut s’ancrer dans l’échec énergétique le plus complet. Certaines considérations renforcent ce point de vue :

1- Le fait de n’avoir pas pu, durant plus d’un siècle, faciliter la mise en place d’une structure énergétique fiable ni des stratégies capables de permettre à tout Haïtien de satisfaire ses besoins énergétiques :

a. Besoins thermiques (cuisson d’aliments, séchage de produits, production d’eau chaude, etc.)

b. Besoins de refroidissement et de conservation d’aliments et d’autres produits.

c. Besoins de confort thermique.

d. Besoins de déplacements sûrs et aisés.

e. Besoins d’éclairage.

f. Autres besoins faisant appel à la consommation électrique.

2- Plus d’un siècle après l’introduction de la première génératrice électrique en Haïti, plus de 70% de notre population n’a aucun accès à l’énergie électrique et, certains des enfants d’Haïti auront passé leur vie sans avoir jamais vu briller une ampoule électrique.

3- Le taux de déforestation du pays, fidèle indicateur de l’IMMATURITE TECHNOLOGIQUE et ENERGETIQUE du pays.

4- Enfin, le plus grand indicateur de l’échec énergétique du pays est que nous sommes incapables d’éclairer complètement ni les villes principales du pays, ni même la capitale du pays durant une nuit entière.

Nous avons donc été en contact avec tous les éléments technologiques, mais nous n’avons jamais pu les incorporer à notre culture. Quoique pionniers dans différents domaines, nous nous sommes montrés réfractaires à la technologie :

-  Nous avons été les premiers à disposer de voie ferrée reliant plusieurs points différents du pays.

-  Nous avons électrifié une ville avant beaucoup de pays de notre continent.

-  Nous avons joué un rôle d’innovateurs en matière de tourisme.

Cependant, nous restons dans l’antichambre du savoir technique, au seuil de la modernité, en dehors des voies du développement et de la transformation de notre société.

Enfin, nous voilà en Haïti, à un nouveau tournant.

De nouveaux dirigeants, démocratiquement élus, lesquels auront et devront assumer la responsabilité, combien lourde certes, de transformer le pays. Pouvons-nous espérer d’eux une nouvelle sensibilité face aux grands défis auxquels fait face le pays et surtout face à cet énorme défi qu’est l’accès pour tous à l’énergie, aux services énergétiques ?

C’est le seul levier capable de faciliter la transformation du pays. Cela ne sera possible qu’avec « l’engagement patriotique » de tous, en faisant appel à notre PATRIOTISME. N’ayons donc pas peur du terme. Les Européens aussi l’utilisent, et de plus en plus :

-  Patriotisme invoqué par G. Schrà¶der pour freiner l’ampleur des délocalisations en Allemagne, en pleine effervescence globalisante.

-  Patriotisme constitutionnel invoqué en Espagne pour contraindre à respecter l’ordre constitutionnel dans les relations entre le Gouvernement Central espagnol et les différentes Communautés Autonomes.

-  Patriotisme énergétique invoqué actuellement par l’Etat espagnol pour entraver l’offre publique d’achat d’actions (OPA) lancée par le géant allemand E.ON sur la grande perle du secteur électrique espagnol : ENDESA.

-  Frein au nationalisme, invoqué par la droite espagnole pour empêcher que le Groupe Catalan La Caixa, à travers l’entreprise « Gas Natural », ne s’empare du Groupe ENDESA. La situation a provoqué, en Espagne, un débat politique assez intéressant qui démontre l’importance de plus en plus forte qu’acquiert le contrôle idéologique de l’énergie. Même l’énergie nucléaire est utilisée comme arme nationaliste dans le conflit Iran/Communauté Internationale avec le Traité de Non Prolifération Nucléaire comme prétexte.

-  Patriotisme économique invoqué par les autorités françaises pour essayer de consolider leur secteur énergétique et éviter l’entrée d’entreprises étrangères dans le secteur énergétique et le déplacement des centres de décision vers d’autres pôles économiques.

Et ainsi de suite, en Italie, aux Etats-Unis, etc.

Pourquoi donc nous complexer, en Haïti, et renoncer à valoriser, à revaloriser nos points de vue, sans tomber dans le nationalisme castrant ou le réductionnisme aberrant des intellectuellement bornés ?

En ce sens, j’insisterais sur « l’engagement Citoyen » en tant que vraie dimension d’un patriotisme illustré, dont nous devrions faire preuve pour transformer Haïti.

Enfin, la nouvelle conjoncture politique en Haïti nous offre de nouvelles opportunités et surtout une obligation inéluctable : La participation sans condition pour TRANSFORMER HAà TI.

Et si Edgar Morin me servait d’introduction, j’emprunte à Machado, l’universel, ces vers d’une extrême beauté, pour terminer cet article, car un nouveau voyage vient de commencer pour le peuple haïtien :

Caminante, son tus huellas.
El camino, y nada más ;
Caminante, no hay camino,
Se hace camino al andar.
Al andar se hace camino,
Y al volver la vista atrásse,
Ve la senda
Que nuncase ha de volver a pisar.
Caminante, no hay camino,
Sino estelas en la mar.

Voyageur, ce sont les traces de tes pas
Le chemin, et rien d’autre.
Voyageur, il n’y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant.
En marchant, le chemin se fait,
Et quand on regarde en arrière,
On voit le sentier
Que jamais on ne devra à nouveau fouler.
Voyageur, Il n’y a pas de chemin
Rien que des sillages sur la mer.

Si, comme on disait au début que, face à l’échec, nous avons le devoir de l’affronter, de l’analyser, d’apprendre à mieux le connaître et de trouver ses causes profondes pour en sortir. J’imagine, et rien qu’à regarder les manifestations d’impuissance face à cette pénurie d’électricité que vit la capitale haïtienne, que nous nous sentons dépassés par l’ampleur du problème énergétique du pays, et, nous sentons l’emprise de l’échec énergétique. Dans ce cas, on risque d’oublier à nouveau ce qui est essentiel : l’attitude réflexive, la planification, l’élaboration de stratégies globales, la recherche de fonds, et, enfin, l’action, l’action collective, l’action citoyenne. Sinon, nous serons tous coupables.

Essayons d’être « Voyageurs », dans le sens de Machado, pour cesser d’être, comme dirait Emile Olivier, « Coureurs de fond ».

Barcelone, Mars 2006


[1Marc Antoine Archer, Physicien Industriel
Contact : iphcaten@yahoo.es.