P-au-P., 14 mars. 03 [AlterPresse] --- Une soixantaine de représentantes et représentants d’institutions et d’organisations a fait le vœu jeudi de travailler à la sensibilisation de la population sur l’importance de l’Etat civil, notamment de l’octroi sans encombre de papiers d’identité corrects à toutes celles et tous ceux qui naissent sur le territoire de la République d’Haïti, au terme d’un débat déroulé à Port-au-Prince en présence d’un journaliste d’AlterPresse.
Les écoles et universités, les églises, les organisations de base, les associations de femmes, les stations de radiodiffusion communautaires, les centres de santé, les lieux traditionnels de rassemblement de la population, comme les marchés publics, les péristyles, sont les canaux privilégiés susceptibles d’insister sur la valeur de l’acte de naissance dans la vie de chaque personne, ont indiqué les participantes et participants à cette rencontre convoquée par le Groupe d’Appui aux Rapatriés et Réfugiés (GARR) et la Fédération Luthérienne Mondiale (FLM).
En plus des dispositions institutionnelles pour éliminer le régime de mafias qui gangrène le système de l’Etat Civil en Haïti, les participants à la rencontre du 13 mars 2003 ont recommandé de mettre la pression (manifestations, pétitions) sur les structures étatiques pour l’implantation de bureaux d’Etat civil bien équipés dans chacune des 565 sections communales du pays, une réallocation des ressources (telles celles perçues pour les extraits d’archives) pour soutenir le fonctionnement harmonieux de ces bureaux, une structuration des unités de contrôle et de supervision de ces bureaux, le paiement de frais très bas (fiscalisés) pour l’acquisition des actes de naissances, la disponibilité d’un poste budgétaire approprié dans le plan financier du ministère de la Justice.
Mais, avant tout, des efforts doivent être déployés pour simplifier les formes fournies commes actes de naissance, combattre la discrimination à l’intérieur de ces formes et délivrer ainsi un acte de naissance national, dépourvu de « déclaration père, déclaration mère ou déclaration tierce ». Il faudrait aussi mettre en place une structure en réseau permettant de répercuter, sans délai, les informations sur les naissances à toutes les instances nécessaires, comme l’Immigration, la Direction Générale des Impôts, les Archives Nationales, le Ministère de l’Education Nationale, etc.
Une participante a relaté les résultats obtenus dans la zone de Croix des Bouquets (à environ 33 kilomètres au nord-est de Port-au-Prince), avec une expérience-pilote sur des modes d’enregistrement communautaire des informations pour la préparation des actes de naissance, l’orthographe des noms (admis par la population) dans différentes localités et la participation de CASEC dans un processus de déclaration de naissances, susceptible de faciliter la tâche des officiers d’Etat Civil. Mais, cette experience-pilote a été suspendue au terme du financement du projet.
En réalité, plus loin que les plans infructueux sans cesse rabattus depuis plus de dix ans en Haïti, entreprendre une réforme judiciaire véritable dans le pays impliquerait, en premier lieu, une refonte des opérations au sein de l’Etat civil, y compris l’adoption de lois adéquates, sans négliger le rôle de l’Office de la Protection des Citoyens qui devrait exiger l’octroi d’actes de naissance à toutes et à tous, ni celui des partis politiques qui devrait intégrer dans leur programme de gouvernement la problématique des papiers d’identité, aux yeux des participantes et participants à la rencontre.
Alors qu’on parle du bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti en 2004, l’Etat qui évolue dans cette république dite indépendante ne saurait même pas répondre au défi de délivrer des actes de naissance à toute la population à l’occasion de la célébration de l’année prochaine, ont déploré les participants à la rencontre du 13 mars 2003. Que dire, par conséquent, des responsabilités étatiques primordiales en matière d’éducation, d’alimentation, de santé ?
Les participantes et participants ont stigmatisé l’attitude des entités étatiques haïtiennes qui s’avisent, quand bon leur semble et sans aucune articulation institutionnelle, de reconnaître l’authenticité ou de déclarer l’irrégularité de documents d’identité exhibés par les citoyennes et citoyens.
Les témoignages ont été accablants pour la Direction de l’Immigration et de l’Emigration qui réclame, pour la préparation d’un livret de passeport, un ensemble de papiers contribuant à augmenter le calvaire des citoyennes et citoyens au bout du compte pénalisés par toute une chaîne d’institutions étatiques dysfonctionnelles.
Parmi ces papiers, des extraits d’archives ou une signature du responsable des Archives Nationales authentifiant la signature des officiers d’Etat Civil sont réquisitionnés, même pour les enfants d’une année d’existence, vraisemblablement pour répondre aux pressions et / ou exigences d’institutions internationales qui ne se fient pas à l’authenticité de certains papiers d’identité délivrés en Haïti, vu la suspicion de certains rackets entourant leur acquisition.
La même administration de l’Immigration demande, de nouveau en 2003, des papiers supplémentaires aux citoyennes et citoyens, que le Ministère de l’Intérieur avait contraints à refaire leurs passeports en 1998.
Pourquoi tant de papiers ? Pourquoi les mêmes données, qu’avait enregistrées la même administration de l’Immigration en 1998, ne peuvent-elles pas servir aujourd’hui pour le renouvellement des passeports ?, se sont interrogés les participantes et participants à la rencontre du 13 mars 2003.
Sur la question des passeports, il existerait, en mars 2003, plus de 10,000 demandes de passeports en souffrance, depuis 6 mois, auprès de la représentation diplomatique haïtienne en République Dominicaine qui n’a pas encore donné satisfaction à des milliers de ressortissants nationaux, résidant de l’autre côté de la frontière, à cause de problèmes administratifs avec l’unité de préparation de passeports établie à Washington (Etats-Unis d’Amérique) pendant la période du coup d’Etat militaire (30 septembre 1991 – 30 septembre 1994).
Au début du mois de mars 2003, un jeune étudiant haïtien résidant au Sud de la République Dominicaine a confirmé à AlterPresse que sa demande de renouvellement de passeport et celle de plusieurs autres ressortissants nationaux, non satisfaites à date, remontent à environ une année auprès de la représentation à Santo Domingo.
Pendant qu’il n’existe aucune provision légale (excepté le biais introduit par la loi du 4 avril 1996 sur les collectivités territoriales, attribuant une part de responsabilités aux Conseils d’Administration des Sections Communales – CASEC – en ce qui a trait à l’enregistrement des premières données de déclaration des naissances), le Ministère de l’Intérieur, dont relève l’Immigration, ne s’est embarrassé d’aucun scrupule pour annoncer la mise en circulation prochaine de nouvelles formes d’actes de naissance qui seraient imprimées à ses soins.
Cette annonce avait suscité, il y a quelques mois, la réprobation d’une parlementaire contestée lavalas (des élections controversées de l’année 2000) qui avait mis en doute la compétence du Ministère de l’Intérieur au chapitre de la préparation, voire de l’impression de nouvelles formes d’actes de naissance.
Dans ce même contexte, les participantes et participants ont aussi questionné la validité provisoire (environ 3 mois) des extraits d’archives nationales, que s’adjugent de donner le bureau d’Immigration haïtienne et certains consulats de pays étrangers accrédités dans le pays.
Aussi, le GARR et la FLM, qui ont souscrit à l’initiative de la rencontre du 13 mars, devraient-ils, par la suite, mesurer l’impact que va avoir cette mobilisation en faveur du droit à l’identité des Haïtiens, notamment sur les capacités réelles des organisations de base à aboutir à une transformation du système de l’Etat Civil dans le pays, ont souhaité les représentantes et représentants des institutions et organisations ayant pris part à la rencontre.
La rencontre du 13 mars a donné l’opportunité au comité d’initiative de faire état d’un diagnostic sur l’Etat Civil haïtien, produit par le GARR, la Coalition Haïtienne pour les Droits des Haïtiens (NCHR), la commission nationale Justice et Paix, Haïti Solidarité Internationale (HSI), la Plate-Forme des Organisations Haïtiennes de Défense des Droits Humains (POHDH) et la FLM.
Parallèlement, un groupe de travail en République Dominicaine a présenté un document de projet pour l’octroi des papiers d’identité aux Haïtiens résidant dans ce pays frontalier, d’un montant estimatif d’un million de dollars américains à étaler sur trois ans et à toucher 200,000 ressortissants haïtiens chaque année. Ce projet, en quête de financement, a été rédigé par la Pastorale haïtienne de l’Eglise catholique romaine en République Dominicaine(R.D.), la Pastorale haïtienne de l’Eglise Episcopale catholique non romaine en R.D., la Fédération des Eglises Réformées, el Movimiento Sociocultural de los trabajadores haitianos(MOSTHA), l’Association des Etudiants haïtiens en R.D. et Alas de Igualdad.
En guise de suivi à la rencontre du 13 mars 2003, en plus d’une synthèse des propositions d’accompagnement issues de 4 ateliers de travail, le comité d’initiative se propose de tenir une autre journée d’échanges sur les formes des actes de naissance, une autre sur la constitution d’un réseau d’institutions et d’organisations sur la question de l’Etat Civil, et une autre sur le projet formulé par le groupe de travail sur l’octroi de papiers d’identité aux Haïtiens en République Dominicaine.
A souligner que l’organisation de la rencontre du 13 mars 2003 a été rendue possible grâce à l’engagement de la NCHR, de HSI, de Justice et Paix, de la POHDH, du GARR, de la FLM, de l’Organisation Internationale pour les Migrations (OIM) et de Catholic Relief Service (CRS). [rc apr 14/03/03 16:00]