P-au-P., 11 mars. 03 [AlterPresse] --- La célébration du 8 mars par les mouvements de femmes a été interdite en Haïti. La police est intervenue en milieu de journée au centre de Port-au-Prince ce 10 mars pour discontinuer une caravane de femmes qui avait à peine commence à sillonner les rues, dans le cadre d’une initiative de commémoration de la journée internationale des femmes.
Des policiers ont pris le contrôle du principal camion du cortège, sur lequel étaient montées les dirigeantes de la Coordination Nationale de Plaidoyer pour les Droits des Femmes (CONAP). Les militantes féministes, au nombre d’une quinzaine, ont été emmenées de force à bord du camion et déposées dans la périphérie Est de la capitale.
"Nécessaires plaidoyers en faveur des droits des femmes"
Tout a commencé dans le calme vers 11 heures du matin sur la place Catherine Flon (dénommée ainsi par les mouvements de femmes pour rendre hommage a une héroïne de l’indépendance du pays) au Champ de Mars. Danièle Magloire de l’organisation Enfofanm (Info Femmes) a lu à la presse la déclaration de la CONAP à l’occasion du 8 mars.
Dans un "contexte socio-politique extrêmement difficile" les femmes veulent pousser "un cri" pour "dire non a tout ce qui nous meurtrit", a déclaré Danièle Magloire. Une situation "de chaos, de misère, de violence, d’insécurité et d’impunité", qui, selon la dirigeante féministe, est "l’émanation de pratiques politiques qui font du pouvoir une fin en soi (…) sans devoir de responsabilité et obligation de rendre compte.
Danièle Magloire a appelé à la mobilisation pour conduire "les nécessaires plaidoyers en faveur des droits des femmes" et "réaffirmer la nécessité de promouvoir d’autres pratiques politiques ancrées dans le rapport a la vérité et soucieuses de l’intérêt collectif".
Interdiction sans justification
Les militantes ont par la suite pris place dans le camion équipé de haut-parleurs diffusant des chansons de protestation, mêlées à des slogans contre la cherté de la vie, la corruption et la démagogie. Le camion décoré d’affiches et de banderoles était suivi par d’autres véhicules, dont ceux de la presse, et des badauds, dont de nombreux élèves. Suivaient également, une dizaine de partisans du pouvoir, qui prenaient plaisir à injurier et menacer les protestataires.
Une vingtaine de minutes plus tard, la caravane a été interceptée par un véhicule de la police, qui a signifié aux dirigeantes féministes que la manifestation n’était pas autorisée. Ces dernières ont alors produit l’accusé de réception d’une lettre envoyée à la police pour lui avertir de leur mouvement, unique formalité à remplir, suivant la constitution.
Malgré l’insistance des journalistes, la police n’a pas su fournir les raisons de l’interdiction de la manifestation. Entre-temps des protestations pleuvaient des haut-parleurs : "on se met en croix sur la route de la liberté des femmes", "la politique ne se fait pas avec l’intimidation", "le pays nous appartient tous"… Parallèlement les partisans du pouvoir pâmaient en montrant de minuscules photos du Président Jean Bertrand Aristide. Ils ont également lance des propos hostiles aux journalistes présents.
Telle est la situation qui a obligé les femmes a abandonné leur projet de sillonner les rues et de s’arrêter en trois lieux symboliques pour les femmes : l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti, "lieu pouvant alléger le fardeau des femmes en tant que seules responsables de la santé de la famille", le marché public Salomon, "lieu de passage obligé pour les femmes en tant que personne à qui la société laisse la responsabilité entière de la reproduction des familles" et le parc industriel, "ghetto d’emploi des femmes".
24 heures après l’arrestation d’une militante féministe
L’interdiction de la caravane des femmes est intervenue 24 heures après l’arrestation de Carline Simon, responsable de l’organisation féministe "Fanm Solèy Leve" (Femme Soleil Levé), ainsi que son mari, Serge Simon, suite à une tentative d’organiser une réunion à Cité Soleil, périphérie nord de la Capitale.
Les mouvements de femmes se disent "choqués" et "inquiets" face à de tels actes. La CONAP a dénoncé l’arrestation des époux Simon, assimilée à de l’"intimidation" et demandé leur libération sans délai.
Jusque fort tard dans la soirée, aucun chef d’accusation n’avait été retenu contre les époux Simon, note dans un communiqué la Coalition pour la Défense des Droits des Haïtiens (NCHR). La police a cependant fait savoir ce 10 mars que des armes illégales auraient été trouvées dans la voiture des deux personnes incarcérées.
La NCHR met en garde les autorités policières et politiques du pays contre "les chefs d’accusation montés de toutes pièces" et demande la libération immédiate des époux Simon. La Coalition fait remarquer que ces arrestations interviennent moins de 48 heures après une manifestation organisée par "Fanm Solèy Leve" pour exiger la baisse des prix des produits pétroliers.
La NCHR condamne, en outre, la perturbation par des policiers en uniforme des activités de la CONAP et estime que les événements des 9 et 10 mars sont "un témoignage supplémentaire de la volonté du Gouvernement d’étouffer toutes voix contestataires et de réduire à néant la vie associative".
Ailleurs à travers le pays, des organisations de femmes ont pu toutefois réaliser des activités commémoratives du 8 mars, en particulier dans le sud-ouest et le nord-ouest où les femmes ont protesté contre l’augmentation des prix du carburant et la cherté de la vie.
Le pouvoir a voulu marquer à sa manière la journée du 8 mars et, la veille, le Chef de l’Etat avait reçu au palais national des femmes policières pour leur adresser ses félicitations et leur accorder des bourses d’études. [gp apr 11/03/03 01:20]