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Haiti - Elections : Les investissements technologiques pour le scrutin de 2006 sont-ils viables ?

Par Guyverson Vernous [1]

Soumis à AlterPresse le 9 février 2006

L’utilisation des technologies dans la fonction publique a toujours été souhaitée pour deux raisons capitales : atteindre le couple efficacité/efficience, afin de maximiser les ressources de l’état tout en réduisant ses dépenses, mais surtout faciliter la vie des citoyens. Mais quels sont les facteurs à considérer avant l’adoption d’une technologie pour garantir la viabilité des dépenses dans le cadre d’une élection ? Comment garantir le retour sur investissement d’une acquisition technologique ? Les principes qui s’ensuivront nous permettront d’analyser sous un angle financier et technologique les élections de 2006 et la viabilité des 80 millions $US qu’auront coûté les deux tours de ces élections.

D’entrer de jeu il faut dire que toute acquisition de technologie parait coûteuse au moment de son adoption et à son installation, car le changement de modernité a un coût. En revanche ce qui devrait guider les responsables ce n’est pas la modernité elle-même ou la technologie, mais plutôt la durabilité à long terme du système adopté. Il faut se demander par exemple : Combien d’élections un nouveau système peut réussir dans un temps n sans encourir de grandes dépenses pour l’organisation des prochaines joutes électorale ? Les installations technologiques acquises peuvent-elles servir à un autre secteur d’activité pour maximiser l’utilisation de ces ressources ? Dans le cas d’Haïti où les opérations ont été menées pour la plupart par des experts étrangers, y a-t-il un transfert de connaissance et d’expertise effectif ?

Voyons de plus près la situation. Prenons d’abord l’identification des électeurs qui représente un élément non négligeable dans le cadre d’une élection. La fabrication des cartes d’identification nationales coûtant plusieurs millions de dollars a été confiée à une firme mexicaine. Donc sur le plan du développement économique national cet argent n’a pas profité au pays. Ainsi on aurait pu bénéficier des installations pour la fabrication de ces cartes à des points stratégiques du territoire national, ce qui aurait pu éviter à l’Etat des dépenses futures doubles car inévitablement on va devoir continuer avec la fabrication de ces cartes (maintenant locale) pour compléter l’enregistrement de l’électorat actuel haïtien ou tout simplement pour renouveler chaque année ce dernier avec les nouveaux 18 ans. Si la carte d’identification elle-même est viable (elle a une durée de vie de dix ans), la méthode d’acquisition de ces cartes ne respecte pas le principe de la viabilité de ces dépenses électorales.

La publication des bulletins électoraux a été réalisée par une entreprise de presse nationale, ce qui est bien ! Mais sans considérer les raisons commerciales (qui sont fondées) qui ont poussé cette firme à sous-traiter la publication à une firme dominicaine, nous repérons encore une fuite d’argent qui aurait pu créer des emplois dans un pays ou le chômage bat son plein.

Le comptage des bulletins et la saisie des données

Dans un premier temps il était question dans la presse d’utiliser le réseau national de la Banque Centrale à partir d’un accord signé entre le Ministère des collectivités territoriales, le Conseil Electoral Provisoire (CEP) et la Banque Centrale. Ainsi on aurait pu disposer d’un réseau télématique nationale qui aurait pu (après les élections) servir à étendre l’enseignement dans le pays (enseignement à distance) en faveur de nos jeunes qui n’arrivent pas à trouver de place à l’Université d’Etat d’Haiti (UEH), de nos cadres qui fonctionnent dans un marché de l’emploi des plus compétitifs et de nos techniciens qui ne bénéficient pas d’une formation de qualité. En dehors de tout cela, la publication des résultats aurait été instantanée car au lieu d’attendre les hélicoptères de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH) pour transporter les bulletins avant leur saisie au niveau du système, cette tâche aurait été accomplie par les centres de votes. Le Centre de Tabulation n’aurait été qu’un centre de contrôle et de qualité pour effectuer un travail de contrôle et non un marathon de typing à la Sonapi.

Une autre analyse très simpliste est l’utilisation effective des équipements technologiques. Voici la liste des équipements informatiques, de matériels et équipements de bureaux communiquée par le Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD) : plus de 7 millions de dollars de matériels techniques et équipements dont 30,0000 urnes et plus de 13 millions bulletins de vote, 45 pick-up 4x4 et 220 motos, 200 générateurs et 850 panneaux solaires, 900 radios de communication, 20 GPS, 17 téléphones satellites, 108 téléphones cellulaires, 24 laptops, 10 imprimantes, 11 scanners, ainsi que des tables, des chaises, des cameras vidéo et des mégaphones. On peut bien se demander, si on a tout ça pourquoi il n’y avait pas une communication effective entre le CEP et les différents centres de vote lors des élections ? Pourquoi l’ouverture des centres de vote et le comptage des bulletins se faisaient à la lueur des bougies ? Pourquoi des bulletins et procès verbaux passaient une journée entière dans un centre de vote jusqu’à ce qu’un média lance un SOS au CEP en faveur de ce centre de vote ? Autant de questions qui démontrent clairement qu’il n’y a pas eu une évaluation effective avant les dépenses de tous ces millions. Egalement des doutes peuvent être émises sur l’existence d’un plan réel d’exécution liant les différents partenaires.

Une dernière analyse accablante sur le plan régional des dépenses électorales. Le Projet EPIC (projet du PNUD http://www.epicproject.org/fr/), qui collecte des données sur les processus électoraux de divers pays, révèle la moyenne des sommes dépensées par électeur dans certains pays de la région Amérique Latine et Caraïbe (LAC) : Brésil 3$US, Chili 0,46 $US, Costa Rica 3,3 $US, Dominique 10,1 $US, Equateur 3$US, Ste Lucie 2,66$US, Rép Dominicaine 0,24 $US et Haïti 22,86$US (80 millions/3.5milions électeurs). Au regard de ces chiffres, si effectivement ces élections seront les plus réussies de notre histoire relativement à la participation, mais sans nul doute ce seront les élections les plus chères de notre histoire et peut-être la plus chère de la région.

Enfin sur le plan financier on peut bien se demander : après dépréciation du système électoral adopté, Haïti va-elle pouvoir payer d’elle-même tous ces millions ou va-t-on devoir retourner à l’ancien système qui ne coûtait que 5 millions à l’Etat haïtien ? Cependant la jeune génération technologique haïtienne aura été marquée par la cohabitation de deux ages lors de ces élections : des mulets et des hélicoptères transportant des bulletins de vote, des bulletins étant comptés à la lueur des bougies et les résultats publiés sur Internet !


[1Guyverson Vernous, CIO
E-Gov consultant
Coordonnateur du RDDH
E-mail:guyverson@caiti.org