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HaitiWebdo - Numéro 6

1] Haïti : sortie de crise "impossible" sans une "transformation structurelle"

2] La conjoncture politique à l’approche de la venue d’une mission technique de l’OEA en Haïti

3] Processus d’établissement d’une commission d’appui a la lutte des paysans de l’Artibonite et du Nord-Est

1] HAà TI : SORTIE DE CRISE "IMPOSSIBLE" SANS UNE "TRANSFORMATION STRUCTURELLE"

Des intellectuels et militants haïtiens ont approché la semaine dernière la crise haïtienne comme une crise profonde de l’état. Les débats, auxquels a assisté un journaliste d’AlterPresse, ont eu lieu le 21 mars dernier dans le cadre du "Forum Libre du Jeudi", autour du thème "La Problématique de l’Etat dans l’Haïti d’Aujourd’hui".

Un des conférenciers, l’économiste Camille Chalmers, a fait savoir que la situation actuelle reflète une crise plus profonde. Il a parlé de "crise de régime politique" et "crise du système de domination". La société haïtienne est fondamentalement secouée aujourd’hui par "un affrontement entre 2 visions de la démocratie : démocratie participative et démocratie formelle", a affirmé Camille Chalmers.

L’économiste a observé une "forte présence de présidentialisme", une hyper-centralisation, une hyper-concentration, "un vide institutionnel et juridique". Il a qualifié la classe politique en émergence de "mort-né", qui "n’a pas réussi à produire un projet". L’Etat est fragilisé par l’application des politiques d’ajustement structurel, a ajouté Camille Chalmers.

La "polarisation brutale" qui s’est installée dans le cadre d’une "institutionnalisation de la crise" empêche un "simple replâtrage", a fait valoir l’économiste haïtien. Il a estimé qu’une sortie de crise est "impossible", sans une "transformation structurelle".

Pour sa part, l’historien Pierre Buteau, intervenant également en tant que conférencier, a relevé que la crise actuelle trouve ses racines dans le mode d’Etat républicain, tel qu’il a été établi dans le pays au début du 19ème siècle. Depuis 1820, a-t-il dit, l’Etat fait face à "une crise ininterrompue", du fait que notamment les choix économiques ont été "rachitiques" et que "l’Etat n’a jamais assumé le procès de travail". Au lendemain de la chute de la dictature des Duvalier en 1986, la crise a été mal abordée, a souligné Pierre Buteau, indiquant qu’il y a eu "une crise de la gestion de la crise".

Le régime actuel a été qualifié de "pouvoir bizarroïde" par Pierre Buteau, qui a noté, entre autres, la "difficulté de renouvellement du personnel politique et l’absence d’éthique" dans les pratiques politiques.

Un autre conférencier, le juriste Raoul Baptiste, membre du Conseil National pour la Reforme Administrative, a fait le constat d’un "Etat centralisateur, autoritaire, faible et désorganisé, dépendant et incapable de maîtriser les mutations internes". Il a avancé des propositions relatives à un "Etat stratège, modeste et responsable".

2] LA CONJONCTURE POLITIQUE à€ L’APPROCHE DE LA VENUE D’UNE MISSION TECHNIQUE DE L’OEA EN HAà TI

La limite du 31 mars pour l’arrivée en Haïti de la mission de l’Organisation des Etats Américains, prévue par une résolution votée en janvier dernier, ne sera pas respectée, selon ce qu’a annoncé le représentant du Secrétaire Général de l’OEA, l’ambassadeur Sergio Romero. Certains détails techniques restent encore a régler, a-t-il précisé en assurant que la mission devrait arriver dans le pays incessamment, sans toutefois pouvoir fournir de date.

La mission technique attendue aura pour objectif d’appuyer la démocratie en touchant aux questions de justice, de sécurité, de droits humains et de gouvernance, selon l’accord passé avec le gouvernement. Cet accord non ratifié par le parlement haïtien a été qualifié d’inconstitutionnel par Benjamin Dupuy du Parti Populaire National (PPN). Selon lui, cette mission entre dans le cadre d’une "mise sous tutelle d’Haïti".

Alors qu’il est question de l’arrivée prochaine de cette mission, certains changements ont été observés dans la conjoncture. Un rassemblement de la coalition d’opposition Convergence Démocratique, s’est déroulé sans incident, sans pression, au milieu d’un impressionnant dispositif de sécurité. Ce qui ne s’était pas vu dans le passé.

Plusieurs centaines de partisans et sympathisants de la Convergence ont assisté à ce meeting politique au cours duquel les responsables de la Convergence ont déclaré lancer un processus de recherche d’alternative au pouvoir lavalas. Un comité national a été créé en vue de recueillir les apports de différents secteurs.

Tout en minimisant ce rassemblement, le Président Jean-Bertrand Aristide a signalé qu’il représentait un signe de la stabilité politique dans le pays. Le Premier Ministre Yvon Neptune s’en est réjouis et a indiqué cependant que toute alternative doit s’exprimer a travers des élections.

Au début de la semaine dernière, Aristide avait fait savoir que des élections législatives pourraient se tenir en Haïti, soit à la fin de cette année, soit au premier semestre de l’année prochaine. La Convergence a déclaré ne pas prendre au sérieux la proposition du chef de l’Etat.

Le Premier ministre Yvon Neptune qui a rencontré ce 21 mars des membres de la Communauté Internationale à la villa d’accueil, a réitéré son engagement d’oeuvrer à l’établissement d’un climat propice pour la reprise des négociations pour faciliter une issue à la crise.

D’autre part, la police a procédé le 24 mars a l’arrestation de Ronald Camille, surnommé Ronald Cadavre, un membre d’organisation de base du parti Fanmi Lavalas, que la police déclarait rechercher depuis plusieurs mois pour meurtre. Cette nouvelle a surpris la population qui a toujours considéré Ronald Cadavre comme un "intouchable", qui n’a pas cessé de se moquer de la justice.

Les organismes de défense des droits humains ont applaudi a cette arrestation et appelé toutes les victimes de Ronald Cadavre à en profiter pour porter plainte. Certains groupes proches du pouvoir ont semé le trouble au centre ville ce 25 mars pour réclamer la libération sans condition de Ronald Cadavre. La population du quartier de la saline, où vivent les parents de Ronald Cadavre, s’est désolidarisé de ce mouvement.

3] PROCESSUS D’ETABLISSEMENT D’UNE COMMISSION D’APPUI A LA LUTTE DES PAYSANS DE L’ARTIBONITE ET DU NORD-EST

Une dizaine d’organisations du mouvement social haïtien ont décidé de mettre sur pied une commission d’appui a la lutte des paysans de l’Artibonite et du Nord-Est, confrontés a des difficultés suite a des dispositions étatiques, a appris AlterPresse auprès des membres de la commission.

Parmi les organisations impliquées dans ce processus, on compte, entre autres, le Syndicat de l’Electricité d’Haïti, le Comité de Résistance des Nippes, la Plate-Forme Haitienne de Plaidoyer pour un Développement Alternatif et le Groupe de Réflexion et d’Action Patriotique.

Dans l’Artibonite, au centre du pays, la production agricole est sérieusement menacée à cause des travaux de réparations entreprises sur le barrage électrique de Péligre, sans concertation avec les paysans. Cette situation provoque l’assèchement des canaux d’irrigation.

Dans la plaine très fertile de Marie Bahoux, à la limite de la frontière au Nord-Est du pays, on parle d’établissement d’une zone franche d’assemblage textile. A cet effet, L’opération d’arpentage d’une centaine d’hectares de terres affecte déjà les plantations.

Dans les deux cas, les paysans ont élevé de vives protestations. Les membres de la commission d’appui ont déclaré à AlterPresse que les dispositions prises par les autorités dans l’Artibonite et le Nord-Est constituent des "agressions contre l’agriculture paysanne". Il est de ce fait nécessaire de soutenir les paysans dans cette lutte, ont-ils ajouté. La commission envisage d’enquêter sur le terrain et d’intervenir publiquement sur les deux dossiers.

4] EN BREF :

- Deux adolescents sont morts le 25 mars à Marchand Dessalines, dans l’Artibonite, après avoir absorbé du café empoisonné. Soixante-douze autres ont été également affectées et sont sous surveillance médicale. Parmi elles, figure la marchande elle-même. Les circonstances de cet empoisonnement collectif n’ont pas encore été clairement établies.

- Le President Aristide a pris part au sommet de Monterrey sur le financement du développement ou il est intervenu le 21 mars. L’esprit de Monterrey nous dynamise puisqu’il s’agit du financement du développement durable à l’échelle nationale et planétaire, a déclaré Aristide. Le document final du sommet, critiqué par les ONGs et mouvements sociaux, a été salué par Aristide a son retour a Port-au-Prince le 23 mars. Il y a vu des similitudes avec le programme de son parti. A ce sommet, le Président dominicain Hipólito Mejia a renouvelé son appel a l’aide de la communauté internationale en faveur d’Haïti.

- L’Eglise catholique haïtienne vient de créer sa propre école de formation politique. Les activités de l’Ecole supérieure " Toussaint Louverture " ont été inaugurées le 21 mars dernier par l’Archevêché de Port-au-Prince. La cérémonie s’est déroulée en présence de plusieurs personnalités dont le Nonce Apostolique Luigi Bonazzi, des représentants de la classe politique, du secteur privé et le représentant du secrétaire général de l’OEA en Haïti Sergio Roméo.

- Le Président Aristide a promis d’établir avant le 31 mars de nouvelles normes de fonctionnement des coopératives, prenant en compte les intérêts de divers secteurs. Cette décision a été rapportée par des coopérateurs qui ont pris part a une réunion ce 25 mars avec le Chef de l’état. Des comptes bancaires de plusieurs coopératives sont bloqués par des banques commerciales. Dans cette situation des regroupements de coopératives ont décidé la semaine dernière de surseoir au paiement des intérêts durant 90 jours, et d’autres ont ramené le taux d’intérêt d’environ 12% a moins de 2% mensuellement. Ce qui a jeté un vent de panique dans le milieu.