Communiqué de Human Rights Watch
Soumis à AlterPresse le 6 février 2006
Le gouvernement haïtien et la Mission
des Nations Unies en Haïti doivent s’assurer que ces élections tant
attendues ouvrent la voie à une stabilité politique, a déclaré aujourd’hui
Human Rights Watch.
Pour permettre à ces dernières de faire progresser la démocratie en Haïti,
les autorités doivent s’assurer que la violence ne déstabilisera pas le
scrutin et n’empêchera pas les électeurs de voter, et que les bulletins
seront comptés de façon transparente et équitable.
Les élections parlementaires et présidentielles, reportées quatre fois pour
des raisons de sécurité et des problèmes logistiques, sont prévues pour
demain. Ce seront les premières élections en Haïti depuis le départ de
Jean-Bertrand Aristide en 2004. Ces deux dernières années, le pays a été
dirigé par un gouvernement de transition appuyé par une force des
Nations Unies qui compte actuellement 9000 soldats et policiers.
« Il est essentiel que ces élections soient crédibles aux yeux du peuple
haïtien » a déclaré Joanne Mariner, conseillère à Human Rights Watch
sur le dossier Haïti. « Sinon, au lieu d’aboutir à une stabilité nécessaire,
elles pourraient déclencher une autre crise ».
Dans le passé, les élections en Haïti ont souvent été marquées par des
violences, ainsi que par une désorganisation généralisée et de
nombreuses fraudes. Les élections de 2000, très contestées, avaient
aggravé les tensions politiques et sociales et attisé les polarisations
politiques.
Human Rights Watch a indiqué que dans la course aux élections de
février, ni le gouvernement, ni la Mission de stabilisation de l’ONU ne
sont parvenus à résoudre les graves problèmes du pays en matière de
droits de l’homme et de sécurité.
A Port-au-Prince, la capitale, les gangs criminels terrorisent toujours les
habitants des bidonvilles, tandis qu’en province, des groupes armés
composés d’anciens soldats exercent une autorité de facto en l’absence
d’institutions gouvernementales en état de marche. En dépit des
tactiques plus agressives adoptées par les forces de l’ONU qui ont
conduit à une diminution des violences depuis l’été dernier, quelques
quartiers demeurent trop dangereux, même pour des élections. Aucun
bureau de vote n’a, par exemple, été mis en place dans Cité Soleil, un
des bidonvilles les plus violents de la capitale.
Les milliers d’armes illégales qui circulent en Haïti représentent un autre
facteur d’inquiétude. Jusqu’à présent, les programmes de désarmement et
de démobilisation n’ont pas réussi à atteindre la majorité des groupes
armés, urbains et ruraux. Cela constitue un échec pour le maintien de la
sécurité.
Rien n’a été fait pour résoudre un des plus graves problèmes d’Haïti,
l’absence totale de poursuite judiciaire envers les auteurs de crimes
anciens et récents. Lors d’une mission en Haïti en 2005, Human Rights
Watch a constaté que la police haïtienne, en sous-effectif et mal fromée,
n’enquêtait que sur une minorité de crimes et que le système juridique
fonctionnait à peine. Les efforts menés par la Mission de stabilisation de
l’ONU (MINUSTAH) pour résoudre ces problèmes, y compris les
crimes perpétrés par la police, n’ont donné jusqu’ici aucuns résultats
probants.
Ce manque d’engagement à plus de responsabilité est très bien illustré
par le fait que plusieurs candidats à la présidentielle ont été impliqués
dans des atteintes aux droits de l’homme dans le passé. Parmi eux, on
dénote Guy Philippe, ancien chef de la police à Delmas et un des chefs
de la rébellion de 2004 contre le gouvernement Aristide et Franck
Romain, officier militaire de haut rang sous la dictature Duvalier. Selon
la Mission Civile Internationale dirigée par l’ONU, des douzaines de
personnes soupçonnées d’appartenir à des gangs ont été sommairement
exécutées quand Philippe était en fonction comme chef de la police.
L’Organisation des Etats Américains (OEA) a découvert que Romain,
avait été mêlé à un massacre survenu lors de son mandat de maire de
Port-au-Prince en 1998.
Malgré les inquiétudes de nombreux observateurs concernant la situation
instable et les problèmes techniques qui pourraient compromettre le
processus électoral, les récents sondages montrent que la majorité des
Haïtiens soutient les élections à venir. Tous admettent pourtant que les
élections ne seront que la première étape d’un long processus vers la
stabilité politique et l’Etat de droit. Le nouveau gouvernement ne
préservera sa crédibilité que s’il s’engage à régler sur-le-champ les
problèmes politiques, économiques et sociaux dont souffre Haïti depuis
longtemps.
« Une élection, même si couronnée de succès, ne mettra pas fin
instantanément à la violence et à l’impunité », a ajouté Mariner. « Des
mesures immédiates doivent être prises pour assurer la sécurité et des
réformes institutionnelles essentielles doivent être entreprises ».
La communauté internationale a été largement impliquée dans la
planification et l’organisation des élections en Haïti. L’Union
Européenne a débloqué 72 millions d’euros en octobre pour soutenir le
processus électoral, l’OEA a géré la procédure d’inscription des électeurs
et la mission de l’ONU s’est engagée à assurer la sécurité des bureaux de
vote.
Human Rights Watch a déclaré que le gouvernement haïtien aura encore
besoin du soutien de la communauté internationale pour s’attaquer à la
tâche complexe de la reconstruction. L’organisation a sommé le Conseil
de sécurité de l’ONU de renouveler le mandat de la Mission de
stabilisation, qui expire le 15 février 2006. Ce nouveau mandat doit tirer
les leçons de ce qui s’est passé jusqu’à présent en Haïti et adopter une
approche plus proactive pour le maintien de l’ordre, le désarmement et
la justice.
« La communauté internationale ne devrait pas croire que sa tâche sera
terminée une fois les bureaux de vote fermés », a déclaré Mariner. « Le
maintien de l’engagement international sera essentiel pour aider Haïti à
se remettre de la crise actuelle ».