Port-au-Prince, 07 mars. 03 [AlterPresse] --- Des militaires dominicains ont procédé le mercredi 5 mars 2003, à une véritable razzia contre des centaines de personnes à la peau noire au marché de Neyba, dans le sud de la République Dominicaine.
« Après avoir investi des maisons et des plantations, les militaires de Neyba ont appréhendé environ 300 personnes à la peau noire, parmi lesquelles un groupe de 40 a été refoulé en direction de la frontière Jimani / Malpasse, sous prétexte que ces personnes seraient de nationalité haïtienne », a indiqué à AlterPresse le révérend père Pierre Ruquoy, de la pastorale des bateyes (champs de canne-à -sucre) de la région Sud du territoire dominicain. Le prêtre rapportait les déclarations de nombreuses victimes de l’opération militaire.
Plusieurs, parmi les 40 personnes conduites à Malpasse, ont pu rejoindre leurs résidences, en territoire dominicain, fort tard (au-delà de 9 :00 pm) dans la soirée du mercredi 5 mars, non sans avoir payé de fortes sommes d’argent à des chauffeurs. 8 d’entre elles sont nées au Batey Santana ; 3 au Batey Trois ; 2 au Batey Deux ; 1 au Batey Cinq et 1 au Batey Un, selon les premières informations recueillies par la pastorale des bateyes.
« C’est la première fois que j’ai foulé la ville frontalière de Jimani. Il en a été de même pour de nombreuses autres personnes. Nous nous étions rendues au marché de Neyba pour vendre des marchandises », a expliqué Alibia Anderson, née le 3 avril 1953 en République Dominicaine et détentrice de la carte d’identité (cedula) 076-0010653-3.
Au cours de l’opération du 5 mars, beaucoup de personnes arrêtées et conduites à la forteresse de Neyba par les militaires dominicains ont perdu leurs marchandises constituées, entre autres, de bonbons et de denrées alimentaires, comme des sacs de patate douce, d’oignons, d’aubergine et d’avocats. Les victimes évaluent les pertes subies à lors de cette opération à des milliers de pesos (NDLR : au début du mois de mars 2003, il fallait 2.45 pesos dominicains pour 5 gourdes à la frontière Malpaso / Malpasse).
Les militaires dominicains n’ont libéré certaines des personnes appréhendées qu’après présentation, par des parents des victimes, de la carte d’identité de ces dernières, suivant les mêmes sources.
« Nous ne sommes pas au courant de cette opération conduite par l’Armée de Neyba. Si jamais, des ressortissants dominicains ont été expulsés vers le territoire haïtien, nous prendrons les dispositions de réparation nécessaires », a fait savoir Salvador Mendez, un des responsables de l’Office de Migration basé à Santo Domingo, contacté par la pastorale des bateyes du Sud.
La plupart des personnes arrêtées dans le cadre de cette « chasse aux noirs », perpétrée par l’Armée dominicaine à Neyba le 5 mars 2003, sont des descendants de 2ème et 3ème génération de ressortissants de la République d’Haïti, n’ayant jamais vécu ni visité le territoire haïtien. En outre, la loi dominicaine n’exige pas, aux ressortissants de ce pays, la possession d’une carte d’identification pour pouvoir circuler en tous points du territoire dominicain, a précisé à AlterPresse la pastorale des bateyes du Sud.
Cette « chasse de noirs » sur le territoire dominicain est survenue dans un contexte où la Police Nationale d’Haïti (PNH) vient de dénoncer la fuite d’un groupe d’hommes armés (dits « anciens militaires ») à des points frontaliers du Centre d’Haïti avec la République Dominicaine.
A signaler qu’à l’approche de chaque période de zafra (récolte de canne-à -sucre utilisant la force de travail de ressortissants haïtiens et de descendants d’Haïtiens), les autorités dominicaines procèdent à des opérations de razzias similaires de personnes « à la peau noire ». La prochaine zafra ne devait pas avoir lieu avant le mois de mai 2003, a appris AlterPresse.
De telles opérations de refoulement participent d’une politique des autorités voisines visant à renouveler régulièrement la main-d’œuvre ancienne (qualifiée de « viejos ») dans la coupe de la canne-à -sucre et susciter moins de revendications "laborales" chez les nouveaux venus (appelés « congos ») à chaque saison sucrière, selon les conclusions de différentes enquêtes menées par des organismes de défense de droits humains. [rc apr 07/03/03 21:30]