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Haiti - Elections : Une étape essentielle à bien franchir

Débat

Par Michel Julien [1]

Soumis à AlterPresse le 3 février 2005

à€ trois jours du premier tour des élections présidentielles et législatives haïtiennes, une certaine tension se fait sentir. Des compatriotes de tous les milieux s’inquiètent à propos du déroulement des opérations électorales et anticipent des résultats qui, de leur avis, pourraient facilement entraîner Haïti dans une crise encore plus profonde. à€ l’intérieur du pays comme dans la diaspora, on soulève de nombreuses hypothèses et divers scénarios, pour la plupart invraisemblables. Certains prédisent le retour à l’ère lavalassienne avec, en toile de fonds, une catastrophe pour le pays. Déjà , on commence à chercher des boucs émissaires. Des torts sont tantôt attribués à la communauté internationale ( OEA, ONU, MINUSTHA et leurs représentants) tantôt à des intervenants de l’intérieur ( CEP, Police Nationale, Partis politiques). Pourtant, il est plus que jamais important pour nous, Haïtiens, de conserver notre calme et de faire preuve de civisme au moment de ce vote crucial pour le pays. Nous sommes, sans aucun doute, à la croisée des chemins et nous devons, cette fois-ci, nous assurer de remettre Haïti sur la voie du développement qui passe, malgré toutes nos réserves, par la réalisation d’honnêtes et crédibles élections générales et l’instauration d’un Etat de droit.

Il est donc primordial de rester calmes, réalistes et de ne pas nous attendre à des opérations électorales parfaites. Si le CEP a été obligé de retarder, déjà à cinq reprises, la tenue des élections présidentielles et législatives, c’est dire que dans l’actuel contexte haïtien, des difficultés de toutes sortes existent, et selon toute vraisemblance, n’auraient pas totalement disparu le jour des élections. Cela ne doit pas pour autant empêcher le premier tour des élections qui, malgré des imperfections prévisibles, pourront être considérées acceptables dans la mesure où les résultats sont exempts de fraudes et conformes au choix de la majorité des électeurs.

à€ ce sujet, les responsables du CEP ( Conseil Eletoral Provisoire) doivent s’élever à la hauteur des défis, agir de façon neutre, responsable, transparente, conforme aux lois électorales pour réduire, le plus possible, toute vélléité de contestation au lendemain des élections. Tous celles et ceux qui, au nom du CEP, ont un rôle à jouer dans ce processus, ont l’obligation d’agir en bons citoyens et dans le respect du code électoral. Le gouvernement haïtien, de son côté, selon les prescriptions constitutionnelles, doit, tout en appuyant le CEP, éviter toute intervention indue dans la conduite des opérations et en laisser la pleine gestion au Conseil Electoral Provisoire, seul habilité à régir des élections. Il doit en être de même pour les nombreux représentants de la Communauté internationale. Bien qu’ils fournissent, en grande partie, autant les ressources financières, matérielles, et l’assistance technique indispensable à la tenue de ces élections, ils doivent s’abstenir, à tous les prix, d’intervenir directement dans leur déroulement et encore moins, d’influencer les résultats, s’ils veulent réellement aider Haïti.

De plus, il faut, d’ores et déjà , insister sur le rôle des électeurs et des Partis politiques dans la réalisation de bonnes et crédibles élections. Concernant l’électorat, l’idéal serait qu’il fasse un choix éclairé en tenant compte des programmes des partis politiques impliqués dans cette campagne. à€ cet effet, les médias nationaux et régionaux se rendraient utiles à la veille de ces élections en présentant, le plus objectivement possible, des synthèses des programmes de tous les candidats afin d’aider la population à faire le meilleur choix. Avec le concours du CEP, il serait pertinent que les stations radiophoniques aient des émissions spéciales pour expliquer la façon de voter et surtout l’importance de voter. à€ cause du taux d’analphabétisme en Haïti, face à la diversité des partis et le grand nombre de candidats, c’est presqu’une obligation d’aider les électeurs à bien s’acquitter de leur devoir civique. Il n’est donc nullement question de chercher à les influencer ni à leur dire, directement ou indirectement, pour qui voter, mais plutôt concourir à faciliter leur vote et ainsi légitimer davantage les résultats des élections.

La situation est urgente, nous en sommes bien conscients. Elle exige par conséquent la bienveillante contribution de tous les Haïtiens au bon déroulement des prochaines élections qui constituent un passage important vers la stabilisation du pays.

Dans cette optique, le rôle des partis politiques s’avère essentiel. Leurs dirigeants doivent faire preuve de patriotisme, agir de façon réfléchie et responsable au cours de cette période qui pourrait être tumultueuse. Certains principes doivent les guider, surtout au lendemain du premier tour des élections, car il y va de l’avenir du pays. Ils ne doivent, à aucun moment et sous aucun prétexte, permettre que leurs intérêts individuels passent avant l’intérêt national. Aussi, doivent-ils renoncer à toute contestation des résultats qui ne serait pas tout à fait légitime. à€ ce sujet, autant le gouvernement, le CEP, les candidats et leur parti respectif ainsi que la communauté internationale doivent être conscients de la gravité du moment et prendre les précautions nécessaires par rapport aux réactions que pourraient provoquer les résultats des prochaines élections s’ils ne correspondaient pas aux suffrages exprimés. Le CEP doit être en mesure de justifier les résultats officiels proclamés grâce à des recomptages comme cela se fait dans tous les pays démocratiques de façon, non seulement à éviter toute forme de violence éventuelle mais surtout à assurer la légitimité des élections.

Cette mise en garde est nécessaire, car il ne faudrait offrir à aucun candidat déçu des prétextes pour replonger le pays dans un autre cycle de contestation. Déjà , divers articles de presse ou des interventions de leaders politiques laissent prévoir certaines difficultés qui pourraient surgir avec l’élection de certains candidats. En fait, ces leaders n’auraient qu’à s’en prendre à eux-mêmes, dans de telles éventualités, pour leur incapacité à mobiliser les masses haïtiennes, à leur offrir une vraie alternative et à les intéresser à un projet de société novateur. Il est important d’affirmer tout de suite que si les élections se déroulent selon des règles démocratiques acceptables et que les résultats sont tout à fait conformes au vote réellement exprimé, il n’y aura pas d’autre possibilité pour la classe politique et la société haïtiennes que de les reconnaître et de se soumettre. Il faut, dès à présent, convenir de respecter scrupuleusement la volonté de la majorité, qu’importe cette majorité. C’est un principe démocratique fondamental qu’il faut désormais intégrer dans la culture politique haïtienne.

De toutes les manières, quelque soit l’appartenance sociale, idéologique ou politique du prochain président, s’il veut vraiment redresser le pays et le sortir de cet état de crise, il n’aura pas le choix de rassembler indistinctement tous les Haïtiens et les amis de la communauté internationale autour d’un projet national ambitieux pour faire face à la désorganisation générale. Il lui faudra faire place non seulement aux autres élus pour dégager une majorité gouvernementale et soutenir son premier ministre, mais aussi obtenir l’appui des autres leaders et des partis politiques qui formeront l’opposition, rechercher l’apport d’experts haïtiens et étrangers, le concours d’investisseurs nationaux et internationaux, l’implication des fonctionnaires, la contribution de tous les travailleurs et des syndicats, bref il lui faudra l’aide du peuple haïtien. En effet, pour mettre un terme à la trop longue agonie d’Haïti, le prochain gouvernement haïtien devra interpeller tous les Haïtiens, ceux de l’intérieur comme de l’extérieur, qui devront consentir à faire les compromis nécessaires en vue de dégager un consensus, adhérer à de nouvelles valeurs pour asseoir un Etat de droit et s’engager dans la recherche du bien commun. Les élections du 7 février 2006 nous placent à ce carrefour. Nous avons l’obligation, malgré tous les doutes et toutes les difficultés, de chercher à bien traverser cette première étape. L’avenir du pays dépend, en ce moment, d’abord de nous, qui devons faire preuve de maturité. Seulement des apatrides, des opportunistes, des trafiquants de tout acabit peuvent vouloir l’entraver.
Que vive Haïti !


[1Socio-économiste
Consultant en développement économique
et en commerce international