P-au-P., 4 mars. 03 [AlterPresse] --- Par centaines de milliers les Haïtiens sont descendus dans les rues durant le carnaval 2003 (2 au 4 mars), placé sous le thème de "la renaissance". La plus grande fête culturelle haïtienne conserve cette année encore son terrain, mais elle n’échappe pas à la crise socio-économique et politique qui frappe le pays.
L’engouement est là
Des le milieu de l’après-midi, on voit des groupes de gens en déplacement vers le site du carnaval. Ils viennent aussi bien des bidonvilles que d’autres quartiers résidentiels. La plupart d’entre eux sont déguisés, portant des vêtements multicolores et chaussures appropriées. Au passage, chapeaux, drapeaux, foulards, et gadgets de toute sorte, produits par des artisans haïtiens, sont offerts dans des étalages informels qui côtoient des barques de fritures, des chariots de boissons rafraîchissantes et alcoolisées, etc.
La plus grande place publique de la capitale, le Champ de Mars, qui est devenu durant les deux dernières décennies le principal centre du carnaval, se transforme en vaste gymnase. Des dizaines de stands construits et décorés pour la circonstance reçoivent les festivaliers. Là , ils attendent dans la plus grande cacophonie l’arrivée des premiers chars musicaux et allégoriques qui arrivent en milieu de soirée avec des retards énormes.
La grande majorité des participants qui n’a pas accès aux stands, va se masser sur le parcours du cortège. L’essentiel c’est d’être là . Pour dominer la situation et se soustraire à la pression de la foule, certains sont juchés sur des véhicules ou des arbres.
Au rendez-vous de l’histoire
A la veille du bicentenaire d’Haïti, la chorégraphie du carnaval 2003 est essentiellement basée sur les grandes périodes de l’histoire d’Haïti. Des chars sont, entre autres, consacrés au drapeau haïtien, dont la création remonte en mai 1803, à la bataille de Vertières, dernière grande bataille de la guerre de l’indépendance et au héros Toussaint Louverture, décédé en capture en France en avril 1803. D’autres chars allégoriques rendent hommage aux indiens, premiers habitants de l’île, et à l’Afrique "alma mater".
Mis à part les problèmes récurrents de logistique et d’organisation, le cortège n’a pas su mettre pleinement en valeur ces créations artistiques, les chars allégoriques souffrant de l’absence d’éclairage techniquement à point et le défilé étant très irrégulier. La soixantaine de reines, rois et accompagnateurs, n’a pas bénéficié de la meilleure visibilité.
Des absences remarquées
Mais la grande déception est surtout de ne pas retrouver dans le défilé les groupes favoris du carnaval, qui a suscité la production de plus de 300 meringues. Pour une raison ou une autre, par exemple, les groupes "Kriz" (Crise) et Boukman Experience, dont les meringues sont très critiques vis-à -vis de la situation actuelle du pays, n’ont pas eu de chars. Le groupe "Kriz" fustige de manière à peine voilée l’indifférence et l’opulence des dirigeants qui contraste avec la gravité de la crise économique et sociale, tandis que Boukman Experience met à l’index les tenants du pouvoir, considérés comme des mafieux.
De nombreux participants déplorent l’absence de ces orchestres dans le cortège et remarquent que de multiples ensembles presqu’inconnus et faisant l’éloge du régime lavalas au pouvoir, ont facilement pu se procurer un char. En outre, à part quelques exceptions, la performance de nombreux groupes a été en dessous de la moyenne à cause de sérieux problèmes de réglage et de mixage.
Il faut en moyenne 100 mille dollars US pour un char musical. Les sponsors sont rares. Etant donné la situation économique actuelle, le secteur privé n’a que très faiblement répondu, du moins en ce qui concerne sa couche la plus formelle. Les labels les plus présents dans le carnaval, a part ceux des entreprises et organismes d’état, sont ceux d’entreprises plus ou moins marginales, mais qui ont pu, curieusement, consentir des débours importants pour financer de nombreux chars, stands et même des médias.
En comparaison avec l’année dernière, moins de médias ont assuré la retransmission en direct du carnaval. En ces temps de crise, pas question de se lancer dans une opération déficitaire, selon ce qu’ont fait savoir à AlterPresse plusieurs responsables de stations de radios et télévision. Ils ont également évoqué des problèmes de sécurité pour des journalistes, ciblés par des secteurs hostiles aux professionnels de la presse faisant preuve d’esprit critique et d’autonomie de pensée. Surtout que les rumeurs faisaient craindre des opérations ténébreuses, au moment où la police affronte une situation interne difficile, qui fait mettre en doute sa capacité à assurer correctement la sécurité.
La présence policière a cependant été très remarquée. Une trentaine de blessés a l’arme blanche a été enregistrée, le premier jour du carnaval, suivant des informations communiquées par des sources hospitalières à l’agence en ligne Haïti Press Network.
Après le bal…
Tout compte fait, le plus dur ce sera au lendemain du mardi-gras, a dit un jeune homme de condition défavorisée, qui circulait parmi les étalages de fritures et de boissons. Il faisait allusion à la situation socio-économique qui devrait, selon toute analyse, se dégrader davantage. Comme dit un proverbe haïtien, "après le bal les tambours sont lourds". Des rumeurs d’une nouvelle augmentation des prix du carburant circulent déjà et les pompes à essence enregistrent une certaine affluence.
L’Etat a officiellement déboursé 15 millions de Gourdes pour le carnaval à Port-au-Prince, représentant le 1/4 de ce qu’il aurait dépensé à travers le pays. Il n’est pas possible aujourd’hui de savoir la part de cette somme qui a contribué à créer des emplois temporaires effectifs et celle qui a alimenté la corruption, un mal endémique de l’administration publique haïtienne.
Par ailleurs, il n’a pas été précisé la source de ces débours, à un moment où la croissance du déficit budgétaire a causé des déséquilibres macro-économiques qui se répercutent au niveau de la chute de la monnaie nationale (la gourde) et la hausse générale des prix, aggravée par l’augmentation répétée en un court laps de temps des prix du carburant. [gp apr 04/03/03 16:30]