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“Ma victoire est collective” déclare Vivian Barbot, la première femme d’origine haïtienne élue au Parlement canadien

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 1er février 2006

Pierre Pettigrew, ex-ministre des Affaires Etrangères de Paul Martin, a été détrôné lors des élections législatives du 23 janvier dernier dans le comté de Papineau par Vivian Barbot du Bloc Québécois et ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec. Deux groupes d’Haïtiens s’attribuent en partie la défaite du libéral Pierre Pettigrew dans Papineau, Haïti Action Montréal (pro Aristide) et le Comité haïtien pour les élections fédérales 2006. Ces groupes avaient demandé aux électeurs de tenir le candidat Pettigrew, ministre sortant des Affaires étrangères, responsable du rôle joué par le Canada en Haïti. Pour bien marteler leur message, les deux groupes ont distribué des tracts, posé des affiches et ont tenu des manifestations à divers endroits où se présentait le candidat libéral en cours de campagne. « La défaite de Pettigrew est un avertissement à tout politicien qui voudrait jouer avec la vie de millions de personnes afin de faire plaisir aux Etats-Unis », a déclaré Yves Engler d’Haïti Action Montréal suite à la défaite de Pettigrew.

Vivian Barbot, fille de Clément Barbot ex-redoutable chef de la police secrète de François Duvalier, est devenue députée de la circonscription de Papineau, deuxième comté au Canada en terme de pauvreté. Un comté qu’elle a qualifié de « comté à ministre mais sans député » lors de sa campagne contre Pettigrew. Vivian Barbot, la seule femme noire à la tête d’un mouvement politique à majorité blanche- elle était parvenue récemment à la vice-présidence du Bloc Québécois- est donc devenue, depuis mardi dernier, la première femme d’origine haïtienne élue au Parlement canadien. Enseignante de carrière, militante syndicale, féministe de longue date, Vivian Barbot couronne ainsi un long parcours sinueux. Originaire de la ville de Saint-Marc, Vivian quitte son île à l’âge de 16 ans pour aller étudier en Suisse. Elle tente par la suite de poursuivre ses études en France mais elle ne peut obtenir les autorisations nécessaires en raison des troubles politiques qui secouent Haïti. Après une brève visite aux Etats-Unis, la jeune femme retourne dans son pays. « C’est là que les choses se sont vraiment gâtées », raconte-t-elle. La famille Barbot est alors recherchée par la milice haïtienne. Son père, Clément, a été à la tête du groupe dénommé « les cagoulards de Barbot » sous Papa Doc et redouté comme chef de sa police secrète. Accusé par la suite de fomenter un complot contre Duvalier, Clément Barbot a été assassiné par les macoutes dans un champ de canne en 1963 avec ses deux frères et d’autres complices du côté de Damien. Le reste de la famille Barbot se réfugie alors en Argentine où Vivian se fiance avec un touriste québécois, qui est devenu, depuis, son mari. Ils reviennent tous deux au Québec, au moment où Montréal accueille le monde entier à l’Exposition universelle de 1967. Entourée de son mari et de nouveaux amis, Vivian s’implique et s’épanouit au Canada.

Après avoir pris sa retraite de l’enseignement, Vivian Barbot pose, en 2001, sa candidature à la présidence de la Fédération des Femmes du Québec (FFQ). Auparavant vice-présidente de l’organisation, elle est élue par acclamation, le 3 juin 2001. Vivian Barbot continue ensuite le travail entamé par sa prédécesseur, la très respectée Françoise David, en s’impliquant dans les dossiers concernant la pauvreté et la violence faite aux femmes. Elle s’est également distinguée dans sa lutte contre le racisme et pour l’intégration d’immigrants dans la société québécoise. Lorsqu’on lui parle de son père, Vivian Barbot ne renie rien de son passé mais en veut encore à Haïti, « ce pays qui l’a foutue dehors ». Quand on lui demande si- comme après la nomination de Michaà« lle Jean comme Gouverneur Général du Canada- elle se considère comme un modèle pour les jeunes et les femmes haïtiennes, Mme Barbot se montre réaliste : « je pense que oui », déclare-t-elle sans hésitation. « Un modèle est toujours ésotérique dans le sens que les gens ne sont pas toujours en contact direct avec nous donc c’est une image qu’on projette. Mais nous ouvrons une possibilité, une fenêtre et c’est important pour les jeunes d’ici qui se posent des questions sur la vie et qui ne doivent pas s’arrêter sur le fait qu’ils sont Noirs et qu’il n’y a pas de place pour eux. Donc je suis un modèle mais ce n’est pas facile. Toutefois, à travers nous, les jeunes pourront se dire que cette société là pourra leur donner l’opportunité d’arriver quelque part ».

Pour Vivian Barbot, c’est la politique qui l’a choisie et non l’inverse : « j’ai toujours fait de la politique dans le sens large du terme, c’est-à -dire que j’ai toujours eu à cœur de me forger une opinion sur ce qui se passe et de pouvoir la partager avec les gens. Que ce soit dans le milieu syndical, dans ma carrière d’enseignante ou dans le débat entre les femmes et les hommes, j’ai toujours pensé que c’était le devoir de la citoyenne que je suis de prendre part et d’émettre mes opinions sur la situation que je vivais afin de faire avancer les choses. Aussi, pour moi, la politique est un aboutissement naturel de ma carrière. Quand on m’a approchée pour être députée du Bloc Québécois, étant donné que j’ai toujours été du côté des souverainistes et que la question politique au Québec m’a toujours préoccupée, c’était pour moi impossible de dire non. De plus, je pense qu’à ce stade de notre histoire, il y a des idées véhiculées par la société québécoise en terme d’accueil, d’intégration qui sont très importantes. On accuse souvent les Québécois dits de souche, d’être racistes et fermés mais je pense qu’il faut aussi dire qu’il y a une ouverture et que, à travers un parcours parfois difficile, on peut arriver à prendre sa place dans cette société là  ». Ainsi, Vivian Barbot perçoit sa victoire comme collective : « j’ai travaillé avec une équipe absolument extraordinaire, composée de beaucoup de jeunes qui se sont donnés à fond pour nous assurer cette victoire. C’est donc une victoire collective qui nous fait énormément de bien », nous a-t-elle déclaré lors d’une interview qu’elle nous a accordée mercredi dernier (25 janvier) et dont nous reproduisons ici, l’intégralité.

Nancy Roc : Mme Barbot, vous venez d’Haïti où la politique a échoué à tous les points de vue, ceci comme dans la plupart des pays d’Amérique latine qui ont été dominés par des dictatures et où les citoyens considèrent désormais la politique comme méprisable. Pensez-vous que c’est différent au Québec et que les citoyens se doivent de faire de la politique afin d’exiger aux élus de faire leur devoir envers leurs électeurs ?

Vivian Barbot : On oublie souvent dans ce verdict là que la démocratie est extrêmement exigeante et cela demande que les citoyennes et citoyens agissent comme tel, c’est-à -dire qu’ils y prennent part et s’expriment. Dans la mesure où l’on élit des gens et qu’on les laisse agir pendant un bout de temps sans interférer sur ce qu’ils disent ou ce qu’ils font, c’est un déni de démocratie. C’est là le problème : il faut que les gens participent mais il faut aussi que les gens soient éduqués et aient le souci de comprendre ce qui se passe. Evidemment dans ces pays là , ils sont à la merci de dictateurs et de potentats qui leur disent quoi penser et là ça ne marche pas.

NR : Pourriez-vous saisir cette opportunité pour définir aux Haïtiens ce qu’est le Bloc Québécois aujourd’hui ?

VB : Le Bloc Québécois est un parti politique qui est voué à la défense des intérêts des Québécoises et Québécois à Ottawa. Nous avons observé, en particulier au cours des deux derniers référendums, que l’attitude du reste du Canada envers le Québec n’était pas telle qu’elle devait l’être dans une démocratie et que nos intérêts n’étaient pas convenablement pris en compte. C’est vraiment cela notre but et nous le faisons dans un contexte éminemment démocratique et dans le respect des lois et des règlements.

NR : Le nouveau Premier ministre, Steven Harper, a déclaré qu’il voulait faire du Québec une province forte. S’il ne réussit pas, puisque son gouvernement est minoritaire, pensez-vous qu’il pourrait passer dans l’histoire comme celui qui aura donné un coup fatal à l’unité canadienne ?

VB : Ce n’est pas la première fois qu’on nous fait de telles promesses. Il faut lui donner le bénéfice du doute et attendre pour voir ce qui arrive. La seule chose que je puisse dire c’est que nous allons être extrêmement vigilants et nous assurer que ce ne soit pas un leurre ; auquel cas, on prendra les mesures qui s’imposent en tant que partie prenante de la démocratie.

NR : Certains pensent que ce nouveau gouvernement n’aura pas beaucoup de marge de manœuvre vu qu’il est minoritaire. Comment le percevez-vous ?

VB : Cela dépend d’eux. On ne sait pas comment ils vont gouverner. Comme je le disais, il faut vraiment attendre pour voir ce qu’ils auront à proposer et dans la mesure où cela va dans le respect de nos intérêts, nous travaillerons avec eux.

NR : Le comté de Papineau est un des plus délaissés du Québec, le deuxième en matière de pauvreté au Canada. Quelles seront vos priorités pour Papineau ?

VB : Nous allons voir avec les organismes impliqués dans le changement mais il est évident que le logement par exemple constitue un problème majeur tout comme le travail ou encore les immigrants qui ont des problèmes avec les certificats de sécurité. Il faudra mener cette bataille de front.

NR : Les chiffres de ce comté montrent l’importance du défi qui vous attend : le chômage est à 13% comparativement à 9% pour Montréal et 8% pour le Québec. Comment allez-vous redresser la barre ?

VB : C’est à l’intérieur des paramètres qui sont établis que l’on voit que dans les milieux qui sont défavorisés, il n’y a pas de moyen de se mettre en action. Il faudra donc mobiliser les gens pour arriver à trouver des pistes de solution. Cela ne se fera pas du jour au lendemain.

NR : Comment allez-vous pouvoir mieux répartir la richesse dans Papineau ?

VB : La répartition de la richesse dit aussi avoir les moyens de le faire. Pour les éléments qui concernent les immigrants et la population en général, cela relève du domaine provincial mais nous faisons face à un déséquilibre fiscal. Ce dernier démontre que le Canada perçoit beaucoup d’argent mais ce dernier n’est pas distribué équitablement aux provinces. Cet élément devrait donner les moyens aux gouvernements locaux et provinciaux de mieux venir en aide aux populations. Le problème du déséquilibre fiscal est donc un problème majeur pour faire face aux problèmes de santé, d’éducation et de travail.

NR : Vous avez toujours privilégié les jeunes et les femmes. Comptez-vous sur eux pour améliorer le sort de la population de Papineau ?

VB : Oui, absolument et lorsqu’on parle de jeunes on parle aussi des femmes car ce sont elles qui sont chargées de l’éducation de ces premiers. Il faut les mobiliser et leur dire la vérité et j’entends être très présente auprès des jeunes pour leur dire d’arrêter de croire que l’avenir leur est bouché. Il faut qu’ils se mettent en cation et créent eux-mêmes les conditions de leur réussite.

NR : Vous avez eu à dire que souvent les jeunes immigrés ne font pas assez d’effort pour s’intégrer. Pouvez-vous élaborez votre pensée ?

VB : Ils sont comme dans un microcosme à l’intérieur du microcosme québécois. C’est-à -dire qu’ils se perçoivent d’abord et avant tout comme des gens venus d’ailleurs. Il faut qu’ils travaillent sur l’image qu’ils ont d’eux-mêmes : quelqu’un d’autre peut avoir une image raciste mais pas nous. Moi je suis Noire et c’est très bien comme ça. Nos jeunes doivent le percevoir et non pas comme un obstacle à leur réussite. Ils sont en vie et ont droit à la même chose que les autres. Il faut donc qu’ils s’imprègnent de cette idée là  ; pas pour être arrogants mais pour exercer leur rôle de citoyen. Avoir une image positive de soi quelque soit la couleur de notre peau, c’est extrêmement important pour pouvoir prendre sa vie en main sinon on se met nous-mêmes une barrière et cela, je veux le leur dire car je le crois profondément.

NR : Le Canada est aujourd’hui le pays qui reçoit le plus d’immigrants au monde. Pourtant, les cadres bien formés - notamment dans le cas d’Haïti- ne trouvent pas de travail à la hauteur de leur éducation ou de leurs expériences, en particulier au Québec réputé être très fermé. Comment expliquez-vous cette dichotomie entre les promesses d’un avenir meilleur et la dure réalité qui attend des familles qui ont tout laissé derrière elles ?

VB : C’est inadmissible et je pense que ceux d’entre nous qui ont réussi nous devons nous faire un devoir d’en parler et de dire aux autres comment faire. Il faut aussi que (dans les milieux politiques) nous puissions en parler à nos collègues afin qu’ils puissent devenir conscients du problème. D’autre part, ils doivent aussi comprendre qu’il y a là une richesse dont ils ne peuvent pas se passer. Quand on parle du Canada comme un pays d’immigration, cela veut dire que l’immigration est plus colorée mais qu’elle est aussi formée- sinon davantage- que les autres et il faut en tenir compte. Il faut qu’on ouvre les barrières afin que ces immigrés puissent s’épanouir dans cette société. C’est une question de justice.

NR : Est-ce que les Haïtiens vous ont aidée à remporter votre victoire aux élections ?

VB : Oui ils m’ont aidée. Evidemment, comme notre histoire démontre que nous sommes une société éclatée, je n’ai pas eu d’appui formel mais je sais que ceux que j’ai rencontrés dans la rue sont très fiers et qu’ils m’ont appuyée. De toutes façons, ils doivent comprendre que le travail que je fais est aussi pour eux et quoi que je fasse, cela retombera sur eux.

NR : Votre poste peut-il contribuer à la politique canadienne envers Haïti ?

VB : Je n’ai pas d’opinion sur Haïti car je ne vis pas cette réalité au quotidien mais j’ai des sentiments pour Haïti. Quand on arrive à un tel niveau de décrépitude cela prend des gens avec du cœur et des sentiments pour pouvoir changer les choses. Donc, dans ce sens, je pourrai montrer aux gens qu’Haïti ce n’est pas seulement des bidonvilles et des gens désespérés au point de s’entretuer tous les jours ; il y a tout un bassin de gens compétents et nous avons ce qu’il faut pour sortir de cette situation là . Toutefois, pour cela, il faut avoir « le bon coup de pouce au bon endroit » et avoir des gens parmi nous qui puissent saisir cette occasion pour que l’on sorte de cette situation là .

NR : Pensez-vous que le Canada soit sur la bonne voie en matière de coopération avec Haïti ?

VB : Ce que je sais c’est que le Canada essaye d’aider. Cela ne veut pas dire qu’on a toujours les bons outils et la bonne compréhension mais la volonté est là . Il s’agit donc d’avoir des Haïtiens bien intentionnés qui puissent mieux appréhender la réalité sur le terrain et l’expliquer correctement aux Canadiens. Il faut le faire de façon globale et pas en tant que factions diverses qui viennent quémander.

NR : Vous avez dit que vous gardiez de l’espoir pour Haïti mais que, je vous cite, vous en « vouliez encore à ce pays qui vous a foutue dehors » . Vous pouvez nous en dire plus et est-ce que votre élection est quelque part une revanche sur votre passé ?

VB : Je ne dirais pas une revanche car je ne pense pas comme ça mais en même temps je trouve cela tellement dommage pour Haïti que des gens comme moi,et comme d’autres- tout en étant très fière de ce qui se passe ici car je suis profondément Québécoise et fière de mon implication ici- nous ayons comme un regret incommensurable qu’Haïti ne puisse pas bénéficier de ces compétences là . Et quand je dis qu’ils m’ont foutue dehors, c’est mon moi féministe qui parle : j’ai été foutue dehors alors que j’étais dans la vingtaine et si mon père était dans la politique moi je n’en avais rien à faire. Je n’avais pas pris de position personnelle mais malheureusement lorsque quelqu’un a des problèmes dans ce domaine en Haïti c’est toute la famille qui écope et je trouve cela profondément injuste.

NR : Vous n’étiez pas responsable des actions de votre père mais vous en avez payé le prix...

VB : Absolument. Tout en étant solidaire car je ne renie rien de ce que mon père a fait, je sais qu’il a essayé de restaurer une situation qu’il avait lui-même contribué à détériorer en élisant Duvalier, mais cela lui appartient. Quand on lui a dit qu’on allait faire partir sa famille et que nous étions dans le maquis, il a répondu que si on faisait partir les familles de tous ses collègues, il laisserait partir la sienne. Je trouve cela très louable mais en même temps j’étais une adulte et j’avais le droit de dire ce que je voulais et jamais personne ne m’a demandé mon avis là -dessus.

NR : Mme Barbot, je vous remercie.

Nancy roc, le 27 janvier 2006