1] Yvon Neptune, vite ratifié, vite investi 2] Un projet de zone franche dans une plaine cultivable proche de la frontière avec la République Dominicaine ?
1] YVON NEPTUNE, VITE RATIFIE, VITE INVESTI
Un nouveau Premier Ministre, Yvon Neptune, a pris les reines de l’administration ce 18 mars suite à son investiture, il y a 72 heures. La cérémonie a été conduite par le président Jean-Bertrand Aristide en présence du Premier Ministre sortant, Jean-Marie Cherestal, d’anciens et nouveaux membres du gouvernement, du corps diplomatique et de nombreux partisans du pouvoir.
Le processus de ratification est allé extrêmement vite. Alors qu’au début de la semaine écoulée des questions se posaient sur la nationalité du nouveau Premier Ministre haïtien, en moins de 3 jours, il a obtenu sa ratification, présenté sa déclaration de politique générale devant les deux chambres séparées et son gouvernement a été investi.
Sur 16 ministres, 10 ont été reconduits. Muté en tant que Ministre sans porte-feuille, Marc Bazin du Mouvement pour l’Instauration de la Démocratie en Haïti (MIDH) est chargé de faciliter les négociations entre le pouvoir et l’opposition. Une Secrétairerie d’état a la Communication a aussi été mise en place et confiée a Mario Dupuy, un ancien conseiller du président et Directeur du quotidien d’état l’Union.
Un ancien ministre du gouvernement civilo-militaire du lendemain de la dictature duvalieriste, Leslie Gouthier, fait aussi partie de l’équipe. Le ministère du Commerce et de l’Industrie lui a été confié.
Deux ministres, Eudes St-Preux Craan des Affaires Sociales et Martine Deverson
du tourisme, n’ont pas la faveur des secteurs de base de Fanmi Lavalas. Eudes St-Preux Craan a même eu de la difficulté a pénétrer dans son ministère, devant lequel des membres des Communautés de base de St-Jean Bosco (TKL) manifestaient ce lundi, accusant la ministre de corruption. Elle a cependant reçu l’appui des groupes du bidonville de Cité Soleil qui ont écrit sur les murs des slogans en sa faveur.
Dans la foulée de l’entrée en fonction du nouveau Premier Ministre, la Convergence Démocratique (opposition) a annoncé une mobilisation pour le 22 mars, afin de trouver, a-t-elle fait savoir, "une alternative" a lavalas. C’est la première initiative lancée par l’opposition depuis les événements du 17 décembre lorsque le gouvernement avait annonce une "tentative de coup d’état" et des représailles exercées par des partisans du pouvoir contre des membres et des locaux de partis de l’opposition. La Convergence avait déjà , par le passé, mis en branle un processus de recherche d’alternative au pouvoir en place.
2] UN PROJET DE ZONE FRANCHE DANS UNE PLAINE CULTIVABLE PROCHE DE LA FRONTIàˆRE AVEC LA REPUBLIQUE DOMINICAINE ?
Les paysans et les secteurs associatifs de Ouanaminthe, au Nord-Est d’Haïti, tirent la sonnette d’alarme à propos de l’éventuel établissement d’une zone franche dans la région, qui représente un grenier pour le département.
Selon des responsables d’organisation paysannes rencontrés sur le terrain, une opération d’arpentage est en cours depuis début février dernier dans la plaine de Maribaou, qui représente 80% des terres irrigables du Nord-Est. Il s’agit, selon eux, de délimiter un espace de 50 a 80 hectares de terres qui seraient réservés a une zone franche d’assemblage textile.
Des travaux d’infrastructure, notamment de bétonnage devraient être entrepris afin d’accueillir des usines. Des hélicoptères venant de Port-au-Prince sillonnent régulièrement la zone et les lopins occupés par les paysans ont déjà subi d’importants dommages durant l’arpentage, se plaint Dorsainville Alpha du Mouvement Paysan pour le Développement de la Commune de Ouanaminthe.
Entre-temps, des responsables communautaires indiquent avoir appris par des circuits dominicains que le projet concernerait, outre Ouanaminthe, la ville de Santiago de los Caballeros au Nord de la République Dominicaine. Il serait donc question d’établir deux zones jumelées.
Dorsainville Alpha indique que les manœuvres ont débuté à la suite de la récente visite du président Aristide en République Dominicaine. Alors que, se plaint-il, aucune explication n’a été fournie par les autorités. " Maire, député et sénateur restent bouche bée", dit-il, et personne ne veut fournir des détails à propos de ce projet de zone franche.
200 paysans s’etaient réunis le 16 février sur le dossier, a-t-on appris. Invités à cette rencontre, des responsables locaux de la Direction Générale des Impots n’avaient pu fournir des explications satisfaisantes sur les raisons de l’arpentage. "Il n’est pas normal que l’ouverture démocratique de 1990, date de la première élection d’Aristide, puisse conduire à ce genre de comportement", commente un paysan.
Le grand motif d’inquiétude des cultivateurs est que les terres très fertiles de la grande plaine de Maribaou soient rendues indisponibles et inutilisables et qu’ils soient chassés de leurs habitations. Ils déclarent que le périmètre visé est celui des meilleures terres de la région et représente aussi une réserve forestière.
La zone, qui produit des céréales, vivres et légumes, est également propice a l’élevage, explique l’Agronome Gaston Etienne, proche de l’association Solidarité Frontalière. La plaine de Maribaou est tellement fertile, souligne-t-il, qu’elle a été surnommée dans le temps "petite artibonite", allusion a la grande plaine productrice de riz, au centre du pays, traversée par le fleuve artibonite.
"Je ne crois pas qu’une zone franche dans cette région sera plus rentable que des activités agricoles entreprises dans de bonnes conditions", declare l’agronome Etienne. Selon des calculs effectués, un hectare de terres planté en riz et cultivé dans des conditions optimales à Ouanaminthe pourrait rapporter mensuellement environ 10.000 Gourdes, alors que dans le meilleur des cas, un paysan devenu ouvrier en zone franche obtiendra moins de 400 Gourdes comme salaire mensuel.
L’établissement d’une zone franche à Ouanaminthe risque d’accélérer davantage le processus de "bidonvilisation" déjà très avancé dans cette ville, estime Gaston Etienne. Il affirme que du début des années 1990 à aujourd’hui, la population de la ville est passée de 15.000 a 80.000 personnes. Plus que le marché frontalier de Dajabon, ville dominicaine située en face de Ouanaminthe, la présence d’une zone franche devrait occasionner une plus grande explosion de la population et un accroissement de la misère, de la délinquance et de la prostitution, prévoit l’agronome Etienne.
L’expérience de la plantation dauphin, dans les années 40, une grande plaine du Nord-Est louée a une compagnie américaine pour la production du sisal, demeure vivante. Lorsque le nylon a détrôné le sisal sur le marché international, les entrepreneurs américains sont partis emportant toute la machinerie et laissant derrière eux la misère, rappelle Gaston Etienne. Cette zone est aujourd’hui rendue inutilisable, constate-t-il.
Lorsque viendra le moment pour les usines d’assemblage de migrer vers des cieux plus cléments, que pourrons-nous faire du béton, s’interrogent les paysans. Ils revendiquent la création d’un comité mixte Etat/sécteur associatif, pour étudier la faisabilité de la zone franche et assurer les conditions dignes de travail en faveur de la population. Ils ne s’opposent cependant pas, disent-ils, a ce que d’autres espaces non cultivables et proches de la frontière soient utilisés dans le cadre de la création éventuelle d’une zone franche.
Toutefois, se referant a des expériences étrangères, les paysans retiennent que les zones franches n’apportent jamais une véritable solution au problème de la pauvreté, même si elles permettent la création d’un certain nombre d’emplois pour mettre une sourdine a la grogne sociale, motivée par le chômage. Les travailleurs en zone franche de la République Dominicaine se plaignent continuellement de conditions de travail exécrables, comparables a l’esclavage.
A la fin de l’année dernière, le parlement haïtien a voté un projet de loi visant la création de 14 zones franches à travers le pays. De tels projets ont été sévèrement combattus par le mouvement populaire au lendemain de 1986.
Les projets de zones franches au niveau de la région frontalière font partie des perspectives sérieusement mises en avant par les autorités dominicaines, afin de diminuer le flot des Haïtiens qui vont chercher du travail de l’autre coté de la frontière.