Par Marie Laurence Jocelyn Lassègue,
Secrétaire Générale de l’organisation féministe Fanm Yo La
Document soumis à AlterPresse le 24 janvier 2006
Monsieur Kofi ANNAN
Secrétaire Général des
Nations Unies
New York, Etats Unis
Monsieur le Secrétaire Général,
Le Collectif Féminin Haïtien pour la Participation Politique des Femmes, FANM YO LA, vous présente ses compliments et voudrait, avant tout, vous faire part de ses condoléances à l’occasion de la mort tragique du Général Urano Teixiera Da Matta BACELLAR, commandant de la force des Nations Unies en Haïti.
Si nous décidons de vous écrire aujourd’hui, c’est parce que les journalistes que nous sommes, et les femmes politiques que nous sommes également devenues, sont bien placées pour mesurer les dégâts, les dommages graves que peuvent causer un manque, voire un déni d’information à l’endroit d’un pays.
Depuis deux (2) ans, notre contribution à la reconstruction nationale consiste non seulement à encourager et à former les femmes pour leur pleine participation dans les espaces décisionnels de l’Etat, elle consiste également à alimenter les débats au sein de la Société Civile dans le cadre de la préparation des prochaines joutes électorales devant permettre un libre et honnête exercice du jeu démocratique tant par les trois (3) pouvoirs que par la Société Civile.
Nous avons entendu avec beaucoup d’intérêt, mais également beaucoup de peine et d’inquiétude votre dernier communiqué relatif aux relations entre notre peuple et la MINUSTAH.
Monsieur le Secrétaire Général, la MINUSTAH est déployée depuis plus de deux (2) ans en Haïti et ceci dans les dix (10) départements qui composent le territoire.
Les contingents de la MINUSTAH notamment les Brésiliens, et ceux des autres pays de l’Amérique Latine ainsi que de l’Afrique, ont été reçu comme s’ils étaient chez eux par la population haïtienne.
Les secteurs de la vie nationale qui sont contre votre présence ici, l’ont toujours dit dans le respect des règles et lois régissant la libre expression dans notre Pays.
Aujourd’hui encore, nous sommes persuadées que vous n’avez jamais entendu aucune plainte de la population en ce qui concerne neuf (9) départements sur dix (10). Ces régions, malgré des problèmes économiques extrêmement aigus, ont une relative stabilité compte tenu des efforts conjugués de la Police Nationale (malgré leurs très maigres moyens) et des contingents de la MINUSTAH sur place.
Monsieur Juan Gabriel VALDES votre Représentant en Haïti, a, depuis deux (2) ans rencontré toute la Société Civile, religieuse et politique. De mémoire de journalistes, aucun Représentant Spécial dans un pays en crise n’a eu autant d’écoute, de sympathie que monsieur VALDES. De nombreux secteurs de la vie nationale ont eu à le rencontrer et à lui faire part de leurs lectures et recommandations. Nous ne saurions pourtant oublier l’excellent travail réalisé par l’ancien représentant du PNUD monsieur Reinhart HELMECKE ou bien encore par le Représentant Spécial des Nations Unies en Haïti monsieur Lakdar BRAHIMI. Tous deux avaient eu comme boussole, l’écoute attentive et objective de la population, ainsi qu’une communication jamais rompue en dépit des difficultés de toutes sortes rencontrées durant leur mission en Haïti.
Monsieur VALDES a eu et a encore notre confiance.
La présence de la MINUSTAH en Haïti a entraîné toutes sortes de difficultés dont des problèmes d’harcèlement sexuel. A chaque étape, les plaintes ont été acheminées vers les structures concernées de la MINUSTAH tel que le Bureau de la Parité ou bien encore, au Bureau de monsieur VALDES lui-même. Si aujourd’hui, à quelques semaines des élections, le peuple haïtien a des choses à vous dire, vous vous devez de l’écouter et, il revient à monsieur VALDES d’assurer le relais entre notre pays et vous-même ! Les deux (2) ans de la transition haïtienne, monsieur le Secrétaire Général ont été ponctuées d’une insécurité dont les expressions pertinentes sont les viols et les enlèvements.
A deux (2) mois des élections haïtiennes et compte tenu de la recrudescence des rapts, il était du devoir de ce peuple de s’adresser à vous par le biais de votre représentant en Haïti monsieur Juan Gabriel VALDES. Haïti est membre des Nations Unies au même titre que les peuples en détresse que vous prenez la peine d’écouter, d’observer. Le monde entier vous en sait gré monsieur Le Secrétaire Général. Il revient donc à votre Représentant chez nous d’être à l’écoute de tous les secteurs de la vie nationale, dont la presse haïtienne n’est que la porte parole.
Comment concevez-vous une campagne de presse contre la MINUSTAH qui n’impliquerait qu’un seul département, monsieur le Secrétaire Général. Quel intérêt aurions-nous à faire cela, à quelques jours des élections ? Par ailleurs, vous êtes bien placé pour savoir le sens du mot « haine » et les conséquences de ceux et celles qui, à travers le monde sont animés par ce sentiment à l’endroit d’Institutions de la Communauté Internationale. Rappelez-vous du Rwanda, ou le mot « haine » pourrait prendre toute sa signification ! Voyez l’Irak, actuellement ! Il n’y a aucune haine contre la MINUSTAH et il suffit de se promener dans les rues des grandes villes du pays pour le constater.
La presse haïtienne n’a fait que son devoir en relayant le quotidien des hommes et des femmes qui vivent à Port-au-Prince, la peur nouée a la gorge, dans la crainte de recevoir une balle perdue ou de faire face les mains nues, à l’assaut de gangs armes. Tous les jours, on apprend que des enfants, des hommes et des femmes ont été et sont encore kidnappés. Ce phénomène jusqu’à récemment inconnu dans notre pays est devenu notre lot quotidien. En presence et parfois sous les yeux incrédules des soldats de la paix de l’ONU !
Toute une frange de la population, des jeunes surtout (lorsqu’ils le pouvaient financièrement) ont fui Haïti, monsieur Kofi ANNAN, terrorisés par ce qu’ils avaient subi, traumatisés par ce que des amis-es, des parents, des voisins-es venaient de vivre lors de leur captivité. De nombreuses marchandes du centre ville de Port-au-Prince, ont du abandonner leurs étales, rançonnées par ces mêmes gangs. Un déplacement massif vers les communes intérieures du pays a été enregistré depuis deux (2) ans, alors que ces zones rurales n’ont rien à offrir à ces nouvelles populations. Des enfants sont armés et utilisés comme des boucliers durant les opérations par des gangs. Des quartiers à haute intensité de population sont aujourd’hui qualifiés de « zone de non droit » et ce phénomène s’étend. A coté de Cité Soleil, du Bel Air il faut maintenant ajouter le quartier de Drouillard dont la population a du quitter biens et maisons, des femmes et des petites filles y ont été sauvagement violées. Et, au moment où nous écrivons cette lettre deux soldats du contingent jordanien viennent d’y être tués par des bandits armés. Voilà le théâtre qui se joue sur les yeux de vos troupes, superbement armées et très bien équipées, et correctement renumerées, monsieur le Secrétaire Général.
Voilà la réalité qu’a décrit la Presse Haïtienne, monsieur le Secrétaire Général. Voilà pourquoi la Société Civile, la Classe Politique ont demandé, exhorté Monsieur Juan Gabriel VALDES de tout mettre en œuvre pour que cessent ces tueries, pour que cessent ces « kidnappings ». Le cri lancé par la Société Civile et la Classe Politique et relayé par la Presse Haïtienne était et est un appel pour que la MINUSTAH remplisse sa mission dont les objectifs ont clairement été définis : Assurer la Stabilité et la Paix en Haïti. Tous ces actes ne peuvent continuer à se faire en présence de vos troupes. Etre rançonné, violé, kidnappé, assassiné en présence de vos chars est insoutenable. La Police Haïtienne, malgré sa bonne volonté, sous embargo des armes, n’a pas aujourd’hui la capacité et les moyens de juguler cette insécurité. C’est ce qui explique, d’ailleurs en grande partie, votre présence. Il est regrettable que l’on puisse penser que nous, peuple haïtien, soyons sourds, aveugles, insensibles, incapables d’analyser et de comprendre la gravité d’une situation socio-politique qui empire chaque jour sans conteste, et qui touche chaque haïtienne et chaque haïtien du plus profond de son être.
Nous trouvons légitime et tout à votre honneur que vous apportiez votre soutien et votre solidarité à votre Représentant chez-nous, Monsieur Juan Gabriel VALDES. Néanmoins, cet appui devrait consister à tout mettre en œuvre pour qu’il réussisse sa mission en Haïti. Le peuple haïtien souhaite que des directives claires et précises soient passées à l’endroit de tous les contingents de la MINUSTAH en Haïti, notamment ceux de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, en vue de la reprise en main de cette situation inacceptable à quelques trois semaines des élections présidentielles et législatives et ce en collaboration étroite avec la Police Nationale D’Haïti.
Monsieur le Secrétaire Général, vous avez demandé des excuses au Gouvernement Provisoire haïtien. Des excuses dites-vous ? Assurément ! Mais aux familles du Bel-Air, de Drouillard, de Cite Soleil, de Grand Ravine.....qui sont pris en otage ! A la mère de cette petite fille de 6 ans kidnappée et dont on a crevé les yeux car le montant de la rançon exigée n’a pu être rassemblée ! Aux proches de cette jeune femme qui s’est suicidée après avoir été violée, violentée et mutilée ! Aux familles du journaliste Jacques Roche, à celles des dizaine de policiers haïtiens brûlés vifs, décapités, tués. Oui des excuses, il en faut.... aux centaines de familles des kidnappés, torturés, violées, tués.
Port-au-Prince le 17 janvier 2006
Marie Laurence JOCELYN LASSEGUE
_ Secrétaire Générale