Interview avec Serge Gilles
Par Nancy Roc [1]
P-au-P., 16 janv. 06 [AlterPresse] --- Le candidat à la présidence, Serge Gilles, met en avant les problèmes environnementaux et de sécurité en tant que les principales priorités de son programme.
Le candidat de la Fusion des Sociaux Démocrates se donnent également d’autres défis, tels que : « en finir avec cet Etat dictatorial (...), relancer l’économie nationale et la production (...), organiser la grande cohésion (de la société ...), récupérer notre souveraineté nationale et lutter aussi contre l’impunité et la corruption ».
Il a fait ces déclarations dans une interview avec la journaliste Nancy Roc, 4ème d’une série entreprise depuis la fin de l’année dernière.
Nancy Roc : Mr Gilles, le week-end écoulé, les élections ont été annoncées pour le 7 février par le Représentant du Secrétaire Général des Nations Unies, M. Juan Gabriel Valdès. Comment percevez-vous cette injonction de la communauté internationale et pensez-vous que le CEP sera techniquement prêt à organiser les prochaines joutes alors que la semaine dernière les membres de ce dernier avouaient que le scrutin ne pourrait pas se tenir avant 2 à 3 mois ?
Serge Gilles : Nous pensons que tout cela est un peu suspect et un peu curieux. Effectivement la semaine dernière le CEP disait ne pas être prêt et aujourd’hui il affirme le contraire. Nous les prenons donc au mot car ce qui nous intéresse c’est l’organisation d’élections crédibles. S’ils se sentent capables de les organiser, nous faisons cap vers le 7 février, nous retenons cette date et nous verrons.
NR : : Mr Leslie Manigat a déclaré au quotidien français Le Monde de ce 9 janvier « si les autorités nous assurent que les élections sont techniquement possibles le 7 février, et même si elles demeurent politiquement difficiles en raison de l’insécurité, il faut prendre le risque de les tenir » , en ajoutant que « l’alternative ne pourrait être qu’un chaos sanglant ou le contrôle total d’Haïti par l’étranger. » Partagez-vous ce point de vue ?
SG : J’y apporterais quelques nuances. Je pense que nous devons nous mettre d’accord pour qu’il y ait des élections crédibles dans ce pays. L’accompagnement de la communauté internationale est très proche de la tutelle mais pour sortir de ce schéma, il nous faut non seulement de bonnes élections mais aussi des autorités légitimes. Si nous gagnons ce scrutin, nous allons négocier pour sortir le pays de cette crise car il est clair que nous ne pouvons pas traiter les problèmes haïtiens comme on le fait en France ou ailleurs où les institutions sont fortes.
NR : Mr Gilles, que pensez-vous de l’action de la MINUSTAH aujourd’hui, notamment par rapport à la grève générale appelée par le patronat ce 9 janvier pour protester contre la passivité de la MINUSTAH ?
Serge Gilles : Nous sommes partie prenante de cette grève car nous sommes contre les kidnappings dans ce pays et c’est pour cela que nous avons demandé à tous nos partisans d’appuyer cette grève. D’autre part, la mort du général Urano Teixeira da Matta Bacellar a été un coup dur pour la MINUSTAH et nous espérons qu’elle en tiendra compte dans la conjoncture actuelle. Nous ignorons les causes de ce décès amis nous espérons que la MINUSTAH tirera les conclusions et les conséquences qui s’imposent.
NR : Vous sentez-vous rassuré comme candidat devant l’insécurité qui a flambé des dernières semaines ?
SG : J’ai visité sept départements géographiques pendant ma campagne et je n’ai pas eu de problème. L’insécurité est complexe en Haïti mais elle se circonscrit principalement dans la zone métropolitaine. Dans les provinces, il n’y a pas d’insécurité, croyez-moi. En ce qui concerne Cité Soleil, ce quartier doit faire partie de la nation et la seule façon d’y aboutir c’est de commencer à avoir des élections. Il faut également que les bureaux de vote de Cité Soleil soient accessibles à tous les citoyens et il faut arrêter les kidnappings à Port-au-Prince. La MINUSTAH doit reconsidérer son rôle et faire son travail. Il en va de même pour la Police et le Gouvernement qui doit prendre ses responsabilités.
NR : Lors de sa dernière conférence de presse, M. Valdès a déclaré que la MINUSTAH allait prendre de nouvelles actions contre l’insécurité et que le prochain président d’Haïti demandera un prolongement du mandat de la MINUSTAH. Si vous êtes élu, le ferez-vous ?
SG : Si je suis élu demain, je serai obligé de négocier avec la communauté internationale mais je refuse de me prononcer de façon démagogique autour du renouvellement ou pas du mandat de la MINUSTAH. Il nous faut une police professionnelle, cela nous prendra du temps et préconise aussi la formation d’une armée professionnelle. La Fusion a de nombreux amis de l’Internationale Socialiste à travers le monde et nous allons faire vite pour arriver à mettre sur pied ces dernières car elles constituent un passage obligé pour mettre de l’ordre dans le pays et négocier avec la communauté internationale, que ce soit à travers la MINUSTAH ou autre.
NR : Si vous êtes élu, que feriez-vous en priorité pour lutter contre l’insécurité ? D’autre part, vous venez d’évoquer vos amis de l’Internationale Socialiste, quels sont les pays sur lesquels vous pourrez compter si vous accédez à la présidence ?
SG : Notre candidature est une chance pour le peuple haïtien car il y a une poussée de la gauche en Amérique Latine. J’ai rencontré le président du Chili et celui de l’Argentine. Nous pourrons également compter de sur l’Uruguay même si je n’ai pas encore rencontré son président. Il y a aussi une autre gauche en Amérique Latine mais ça c’est autre chose. A travers le monde, vu notre statut de membre de l’Internationale Socialiste, nous avons des amis partout au sein de cette organisation. D’ailleurs, ce n’est pas pour rien que la dernière réunion du Comité Latino Américain de l’Internationale Socialiste a eu lieu en Haïti. Nous pouvons donc utiliser nos relations pour les mettre au service `du peuple et du pays et ma première priorité- mis à part les problèmes environnementaux- sera la sécurité.
NR : Que pensez-vous des dernières déclarations officielles faisant état du financement de partis par l’argent des kidnappings et êtes-vous, comme le public, choqué de constater que les autorités concernées refusent de nommer ces partis politiques ?
SG : Je trouve que cela met les autres candidats à la présidence mal à l’aise bien que je n’ai rien à voir de près ou de loin avec l’argent sale. Lorsque M. Valdès fait de telles déclarations sans citer les noms des partis, je pense qu’il doit faire un second pas : dire les noms afin de mettre à l’aise les autres candidats qui n’ont rien à voir avec l’argent sale. Je l’ai clairement dit à M. Valdès aussi bien qu’à l’Ambassadeur Américain.
NR : Quelles sont les grandes lignes prioritaires de votre programme ?
SG : Je donne priorité aux problèmes environnementaux et à la sécurité. Nous avons aussi quatre défis à relever :
1. en finir avec cet Etat dictatorial. Il faut un gouvernement régulateur et stratège en 2006. Il nous faut décentraliser le pays, et cette décentralisation constituera l’axe de notre gouvernement à travers quatre régions : le Nord (Artibonite-Plateau Central), le Grand Nord et Nord Est, le Sud et la Grande Anse et la région Ouest et Sud Ouest. Ceci permettra aussi d’arriver à établir l’autonomie des communes.
2. relancer l’économie nationale et la production en accordant une attention particulière à l’agriculture. Nous avons fait le choix de l’agriculture biologique car nous y serons plus compétitifs. Dans ce pays, nous avons 300.000 hectares de terres irrigables et à peine 40.000 le sont. Il faut donc mettre le paquet et nous envisageons la construction de 1.000 lacs artificiels par région pour l’irrigation.
3. la cohésion de ce pays trop divisé. Il nous faut organiser la grande cohésion. Dans le pacte social, un pas a été entamé, ensuite avec le dialogue national enclenché par le gouvernement actuel , la proposition d’une conférence nationale aussi constitue un autre pas et nous, nous devrons assurer la grande cohésion.
4. la récupération de notre souveraineté nationale et lutter aussi contre l’impunité et la corruption.
NR : Vous parlez d’agriculture biologique mais elle coûte chère et demande beaucoup de formation des paysans. Comment allez-vous procéder ?
SG : Par l’instauration d’une politique de crédit. Le taux de crédit à 34% est prohibitif, il faut le réduire à 10%. De plus, vu notre statut, nous pouvons obtenir auprès de la Banque Mondiale des prêts à 0% et les gens oublient cela. Il faudra aussi régler le problème de la propriété et de l’ouverture. C’est ce qui a été fait en République Dominicaine. Si nous obtenons le brevet pour une agriculture biologique, nous serons plus compétitifs que d’autres. Avec une agriculture à coups d’engrais nous ne le serons pas. La République Dominicaine achète tous nos pois congo et notre cacao pour les vendre à l’étranger dans le cadre de leur vente de produits biologiques. Nous devons récupérer ce marché et nous imposer avec nos propres produits.
NR : Vous venez d’évoquer la République Dominicaine où s’est développée l’année dernière une véritable xénophobie envers les Haïtiens. Comment allez-vous résoudre ce problème et celui des illégaux ?
SG : La politique dominicaine, nous devons la voir à court, moyen et long terme pour éviter toute démagogie. Si vous allez au Ministère des Affaires Etrangères, il y a trois personnes ici qui s’occupent de la politique envers nos voisins alors que chez eux ils disposent d’au moins 120 personnes. Il y a donc un travail de formation qui doit être fait. D’autre part, il faudra négocier avec voisins mais pour ce faire, il faut avoir les mêmes données. C’est pour cela que nous disons qu’il nous faut une armée professionnelle à notre frontière et étoffer notre politique étrangère. Le problème fondamental est en Haïti et non chez nos voisins. Si l’on décentralise Haïti et que l’on donne du travail aux gens, ils ne traverseront pas la frontière pour aller chercher la vie ailleurs.
NR : Vous avez de grands projets mais vous ne disposerez que de 800 millions de dollars américains par an soit 100 dollars par habitant par an. Comment allez-vous procéder avec un budget si restreint ?
SG : Nous allons agrandir au fur et à mesure notre assiette fiscale et pouvoir donner à manger à notre peuple. Nous avons fait des recherches et ce n’est pas un hasard si nous sommes le parti politique à avoir el plus grand nombre de candidats au Sénat à travers le pays et le plus de candidats à la députation qui sont tous de potentiels gagnants. En créant de la richesse et en garantissant les exportations nous arriverons à sortir de cette économie en état de contraction. Il faudra prendre toutes les dispositions pour créer de la richesse localement et faciliter la tâche de nos compatriotes qui travaillent à l’extérieur. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Nous sommes un pays d’opportunités et il faut nous mettre au travail.
NR : Monsieur Serge Gilles, je vous remercie.
[nr gp apr 16/01/2006 00:30]
[1] Interview réaliséee le 10 janvier 2006