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Séquestration d’une jeune fille et de son bébé par les autorités du Gouvernement Lavalas ?

"Si Natacha Jean-Jacques n’est pas libérée selon les prescrits de la loi, de quel droit et pourquoi le Ministère à la Condition Féminine l’a déplacée avec son bébé et gardée ? Huit (8) jours après son déplacement de la prison, sans aucune explication officielle, nous sommes en droit de poser la question de la séquestration d’une jeune fille et de son bébé par les autorités du Gouvernement Lavalasse ce, sans que l’action publique soit mise en mouvement par les autorités judiciaires".

Suivi du plaidoyer de Kay Fanm et Enfofanm en faveur de Natacha Jean-Jacques

Note d’information du 21 février 2003

1. Réponse obtenue des Organismes de Droits Humains : 7 et 11 février 2003

Lors de la conférence de presse du 5 février 2003, Enfofanm & Kay Fanm avaient, entre autre, sollicité l’appui des Organismes de Droits Humains présents pour la conduite du plaidoyer. Deux (2) organisations se sont engagées à fournir l’appui juridique nécessaire : le 7 février 2003, le Comité des Avocats-es pour le Respect des Libertés individuelles (CARLI) et, le 11 février 2003, l’Association Haïtienne des Journalistes pour la Protection des Droits des Personnes Gardées en Détention (AHJprodropegad).

2. Visite d’une délégation du Ministère à la Condition Féminine et aux Droits des Femmes (MCFDF) à Kay Fanm : 10 février 2003

Une délégation de trois (3) représentants-es du MCFDF (deux femmes - dont une avocate - et un avocat) s’est présentée à Kay Fanm en vue d’obtenir des informations sur le dossier de Natacha Jean-Jacques. Le document de plaidoyer leur a été officiellement communiqué. A date, c’est le seul contact officiel avec les autorités gouvernementales.

3. Entente du 11 février 2003

Une réunion s’est tenue le 11 février 2003, à Kay Fanm, autour des actions à mener. Outre Enfofanm (Danièle MAGLOIRE) et Kay Fanm (Yolette Andrée JEANTY), participaient à cette réunion : la famille de Natacha (sa mère Yolène BENJAMIN, un parent, Isler ILUS), et des membres de trois (3) organisations impliquées dans la défense des droits de la personne, à savoir, la NCHR (Margareth LADOUCEUR), le CARLI (Renan HEDOUVILLE, Marie Nadia CHARLES), et l’AHJprodropegad (Carlo ARIS). Suite aux discussions, il a été convenu ce qui suit :

ï‚· Les démarches juridiques seront conduites par le CARLI auquel s’associera d’autres avocats-es, notamment de l’Association Haïtienne des Journalistes susmentionnée.

ï‚· La mère de la victime, Yolène Benjamin, ainsi que Enfofanm et Kay Fanm seront associées à toutes les démarches. Mad Benjamin et les organisations de femmes se constitueront en partie civile pour porter conjointement plainte ce, dans la mesure où la législation en vigueur ne fait pas obstacle pour lesdites organisations.

ï‚· Une requête serait adressée au/à la Commissaire du Gouvernement auprès du Tribunal de Première Instance à Port-au-Prince.

ï‚· Enfofanm & Kay Fanm travailleront à obtenir les appuis nécessaires en vue de constituer la Commission d’Enquête Indépendante sur les abus sexuels dans les centres pénitentiaires.

4. Natacha Jean-Jacques a eu dix huit (18) ans le 11 février 2003

Natacha est née le 11 février 1985. Elle était âgée de quinze (15) ans lorsqu’elle a été arrêtée, le 6mars 2000, et incarcérée parce qu’elle s’était défendue pour échapper à une tentative de viol collectif. Elle a été violée, le 19 février 2002, dans la prison. Elle a dû porter à terme, le 30 octobre 2002, la grossesse forcée qui a résulté du viol. Natacha a eu ses dix huit (18) ans en prison. Trente cinq (35) mois de cauchemar dans la vie d’une jeune fille. Un cauchemar qui se poursuit.

5. Témoignage public de Yolène Benjamin : 12 février 2003

Suite à l’invitation du CARLI, Yolène Benjamin, la mère de Natacha, a porté son témoignage à l’occasion d’une Journée de Réflexion sur l’Impunité en Haïti ; activité organisée par le CARLI.

6. Requête déposée auprès du Tribunal par un groupe d’avocats : 13 février 2003

La démarche est une initiative d’un groupe d’avocats du Barreau de Port-au-Prince, notamment touché de l’affaire par le témoignage du 12 février de Yolène Benjamin. Parmi les signataires de la requête figure le Secrétaire Général du CARLI, Renan Hédouville. Copie de cette requête a été transmise à Enfofanm et Kay Fanm le 13 février.

7. Appui international

Dès que l’affaire a été rendue publique en Haïti, le 5 février 2003, Enfofanm & Kay Fanm ont alerté les Organisations impliquées dans la Défense des Droits de la Personne et la Presse à l’étranger. De nombreux messages de soutien ont été reçus et l’affaire a été relayée dans la presse internationale. Suite à la communication, par les organisations de femmes, des noms et adresses des autorités concernées dans le dossier de Natacha Jean-Jacques, des correspondances de protestation ont été adressées aux différentes autorités concernées. Cette campagne se poursuit.

8. Déplacement de Natacha Jean-Jacques de la prison : 14 février 2003

Enfofanm & Kay Fanm ont été informées le jour même, que le vendredi 14 février, en fin de matinée une délégation du Ministère à la Condition Féminine était venue cherchée Natacha et son bébé à la prison du Fort National pour les conduire au dit ministère. Après avoir confirmé l’information et après avoir vérifié que cette action avait été menée à l’insu de la mère de Natacha, Yolène Benjamin, les organisations de femmes ont rapidement alerté la presse. Ainsi, Radio Métropole a pu obtenir, à l’insu des autorités, une déclaration de Natacha attestant des faits ci-dessus relatés. Natacha a précisé que sa sortie de prison résultait d’une intervention conjointe du Ministre de la Justice, M. Calixte Delatour, et de la Ministre à la Condition Féminine, Mad Ginette Rivière-Lubin. Elle a également indiqué n’avoir eu aucun contact avec sa mère qui, comme elle, ignorait tout de ce déplacement.

8.1. Position de Yolène Benjamin, la mère de Natacha

Dans la fin de l’après-midi du 14 février, le Ministère à la Condition Féminine a dépêché une délégation auprès de Yolène Benjamin, dans le marché où celle-ci travaille habituellement. Il a été demandé à Mad Benjamin de se rendre au Ministère pour signer des papiers afin de pouvoir emmener sa fille et son petit-fils. Après avoir manifesté son étonnement, Mad Benjamin a déclaré que sa fille se trouvait, à sa connaissance, à la Prison du Fort National sous la garde des autorités judiciaires et pénitentiaires et qu’elle ne saurait entreprendre de démarches en l’absence de ses avocats-es. Pour qu’on arrête de la harceler, Mad Benjamin a promis de se rendre au Ministère le lundi 17 février.
Signalons que Natacha ignore où habite actuellement sa mère. En effet, depuis les événements de mars 2000, Yolène Benjamin a dû abandonner sa maison avec ses quatre (4) autres enfants âgés de deux à onze ans. Ceci, en raison des menaces de mort dont elle a fait l’objet de la part du gang qui l’avait d’abord attaquée et s’en était ensuite pris à Natacha. Jusqu’à date, Mad Benjamin n’a jamais pu réintégrer son domicile et le gang sévit encore, dans la plus totale impunité, dans le quartier de Martissant.

8.2. Position de Enfofanm & Kay Fanm

ï‚· Questionnement du procédé utilisé : Comment un ministère, donc une autorité de l’Exécutif, peut-il s’arroger le droit d’intervenir dans une prison pour en retirer une détenue ? Au regard du principe de la séparation des pouvoirs, il revient aux tribunaux de procéder, selon des règles déterminées, au déplacement et à l’élargissement d’une personne détenue. Vu le procédé utilisé et en absence de document judiciaire attestant d’un élargissement en bonne et due forme de Natacha Jean-Jacques, son absence de la prison ne saurait en aucun cas être considérée comme une libération. L’absence d’un tel document implique par ailleurs que la question du casier judiciaire de Natacha reste et demeure entièrement posé. En tant qu’organisations impliquées dans les luttes pour l’établissement d’un Etat de Droit soucieux de l’équité, Enfofanm & Kay Fanm ne sauraient cautionner un tel procédé. Accepter que les autorités gouvernementales puissent, selon leur bon vouloir, retirer une détenue de prison, c’est du même coup accepter le fait qu’elles puissent, quand bon leur semble, faire emprisonner des personnes sans passer par le Système Judiciaire. Tout en menant le combat pour la libération de Natacha, nous nous refusons à accepter tout marchandage pour l’obtenir. Ce, d’autant plus que les intérêts de Natacha et de son enfant ne seront pas ainsi protégé. En effet, Natacha pourra être accusée d’être une fugitive et, à tout moment, elle pourra être interpellée et incarcérée.

ï‚· Inquiétudes pour Natacha et son bébé : Le fait que Natacha Jean-Jacques et son bébé aient été déplacés et conduits au Ministère à la Condition Féminine dans le plus grand secret est inquiétant à plus d’un titre. Depuis quand les ministères avaient-ils un tel mandat ? Au regard des pratiques de duplicité du régime en place et de l’incontestable situation de fragilité de Natacha, nous craignons qu’elle ne fasse l’objet de pressions diverses en vue de la faire taire et surtout pour obtenir qu’elle ne porte pas plainte contre son violeur, l’agent de l’Etat Ilus DENASTY, et les responsables de l’Administration Pénitentiaire (Direction de la prison du Fort National et Direction Générale de l’Administration Pénitentiaire).

ï‚· Responsabilité directe de la Ministre à la Condition Féminine : Mad Ginette Rivière-Lubin est directement responsable de tout ce qui peut arriver à Natacha Jean-Jacques et à son bébé. Le fait qu’elle s’est octroyée le droit de les déplacer est public, même si la ministre s’est abstenue de faire des déclarations à ce sujet.

ï‚· Réitération des revendications : Enfofanm & Kay Fanm se sont mobilisées pour que justice soit équitablement rendue à Natacha Jean-Jacques et que réparation lui soit apportée pour les torts graves qui lui ont été causés. Justice et réparation selon la loi et dans le respect des principes inaliénables et indivisibles des droits de la personne, en particulier ceux des femmes. En conséquence, nous continuons à réclamer la libération en bonne et due forme de Natacha, à exiger l’interpellation et le jugement de son agresseur Ilus Dénasty, ainsi que la mise en cause des responsabilités des autorités pénitentiaires. Même quand la libération de Natacha sera officiellement effective, le dossier ne sera pas clos. Nous nous en tenons également à notre exigence relative à une Commission d’Enquête Indépendante sur les abus sexuels dans les prisons car, le cas de Natacha est un cas emblématique et le sort des autres prisonnières nous importe.

9. Autres déplacements de Natacha Jean-Jacques & de son bébé : entre le 14 et 17 février & 18 février 2003

ï‚· Nous avons appris et confirmé que Natacha et son enfant ont fait l’objet d’un second déplacement. La mère et l’enfant ont été placés, entre le 14 et le 17 février, par le Ministère à la Condition Féminine, au service de maternité de l’OFATMA (Office d’Assurance du Travail, Maladie et Maternité) ; une institution que dirigeait Mad Ginette Rivière-Lubin avant d’être promue à son poste actuel de Ministre.

ï‚· Nous avons appris et confirmé que, pour la troisième fois, Natacha et son enfant avaient encore été déplacé, le 18 février, par le même ministère pour être conduits dans un lieu inconnu. Nous avons sollicité la presse pour qu’elle recueille des déclarations des autorités gouvernementales et judiciaires à ce sujet. A date aucune information n’a été publiquement délivrée par les autorités concernées.

10. Une délégation du Ministère à la Condition Féminine a conduit Natacha Jean-Jacques et son bébé au marché où travaille habituellement Yolène Benjamin : 17 février 2003

Une délégation du Ministère s’est à nouveau rendue, le 17 février, au marché où travaille habituellement la mère de Natacha. Cette dernière était avec son bébé dans le véhicule du ministère. En l’absence de Yolène Benjamin les représentants-es du ministère se sont adressés à une tante de Natacha, Rose-Marie, et ont voulu lui remettre Natacha et le bébé. Compte tenu de la situation sur laquelle la tante était édifiée, celle-ci a refusé et a déclaré aux autorités que l’arbitraire n’était pas acceptable. Natacha a appuyé la position de sa tante et est remontée dans le véhicule avec son bébé. Cette scène s’est déroulée en présence de nombreux témoins, notamment des marchandes, qui ont vivement manifesté leur désapprobation. C’est la dernière fois où Natacha et son enfant ont été publiquement vus.

11. Campagne médiatique : 14 au 21 février 2003

ï‚· 14 au 21 février : Enfofanm & Kay Fanm ont multiplié leurs interventions dans les médias de Port-au-Prince et dans le réseau des radios communautaires desservant les provinces. Des émissions spécifiques ont aussi eu lieu autour du dossier.

ï‚· 17 février : Yolène Benjamin a enregistré une déclaration qui a été communiqué aux média. Mad Benjamin a relaté les derniers événements et indiqué sa position. En particulier, elle a déclaré que la Ministre à la Condition Féminine faisait « sa propre loi » ; a réclamé la preuve légale de l’élargissement de sa fille ; justice et réparation ; et exigé le jugement du violeur et celui des autorités pénitentiaires qui s’en étaient rendues complices.

12. Que sont devenus Natacha Jean-Jacques et son bébé de trois (3) mois ?

Depuis que Natacha et son bébé ont été déplacés de la prison du Fort National, Enfofanm & Kay Fanm ainsi que Yolène Benjamin n’ont cessé de rechercher des informations à leur sujet.

ï‚· Depuis le 10 février Enfofanm & Kay Fanm n’ont eu aucun contact avec le Ministère à la Condition Féminine. Depuis la visite sur ses lieux de travail, le 14 février, Yolène Benjamin n’a plus eu de contact avec ce ministère. Depuis l’entrevue accordée à Radio Métropole, dans l’après-midi du 14 février, Natacha n’a pu faire savoir le sort qui était réservé à elle-même et à son bébé.

ï‚· Si Natacha Jean-Jacques n’est pas libérée selon les prescrits de la loi, de quel droit et pourquoi le Ministère à la Condition Féminine l’a déplacée avec son bébé et gardée ? Huit (8) jours après son déplacement de la prison, sans aucune explication officielle, nous sommes en droit de poser la question de la séquestration d’une jeune fille et de son bébé par les autorités du Gouvernement Lavalasse ce, sans que l’action publique soit mise en mouvement par les autorités judiciaires.

ï‚· Si Natacha Jean-Jacques est réellement libérée, c’est-à -dire si une ordonnance d’élargissement a dûment été émise par le Tribunal concerné, pourquoi n’a-t-il pas été, dès le 14 février, et pourquoi n’est-il toujours pas fait publiquement état de cette ordonnance ?

ï‚· Si Natacha Jean-Jacques est légalement libérée, pourquoi ne jouit-elle pas de la liberté de circulation et d’expression garantie par la Constitution en vigueur à tout-e citoyen-ne ?

ï‚· Où sont passés Natacha Jean-Jacques et son bébé ? Depuis le dernier déplacement, Enfofanm & Kay Fanm ainsi que Yolène Benjamin ignorent où se trouvent la mère et l’enfant. Il revient d’une part, aux autorités judiciaires et pénitentiaires qui avaient la garde de Natacha et, d’autre part, au Gouvernement Lavalasse, dont des responsables se sont arrogés le droit de faire « leur propre loi » en déplaçant et en gardant Natacha Jean-Jacques et son bébé, de rendre publiquement de comptes sur ces actes et d’attester qu’aucun nouveau tort n’a été causé à Natacha et à son bébé.

Pour Enfofanm & Kay Fanm

Danièle Magloire, Enfofanm