Español English French Kwéyol

Editorial de Michèle Montas sur Radio Haiti le 21 février 2003

"Aujourd’hui la direction de Radio Haïti se trouve forcée de prendre une décision pénible bien que provisoire éteindre nos antennes. (...) Seul un changement objectif dans les conditions qui entourent Radio Haïti peut rendre l’exercice de notre métier de nouveau possible. Ces conditions ne sont pas réunies et l’issue incertaine du dossier judiciaire sur l’assassinat de Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint continue d’être l’épée de Damoclès sur notre capacité à faire notre travail, tant que les assassins sont dans la ville."

Par Michele Montas, Directrice de l’Information de Radio Haiti Inter, veuve du Directeur de la station, Jean Dominique, assassiné le 3 avril 2000

Je reprends le micro ce matin après 50 jours de silence forcé que je m’étais imposée pour protéger ceux qui sont l’âme de Radio Haïti, nos journalistes, nos animateurs , nos techniciens. Force est pour moi de constater que depuis l’attentat du 25 décembre et malgré mon retrait temporaire du micro les mêmes dangers ou des dangers plus graves pèsent aujourd’hui sur ceux qui font de cette station ce qu’elle est, un media indépendant et crédible. Nous avons payé très cher pour cette crédibilité. Nous avons déjà perdu trois vies. Nous refusons d’en perdre davantage.

Le gouvernement et la police ont certes depuis l’attentat dirigé contre moi et le meurtre aberrant de Maxime Séïde le 25 décembre pris des mesures importantes pour assurer ma propre sécurité ; et celle de l’édifice principal . Mais aujourd’hui il ne s’agit pas de ma personne mais d’une équipe paralysée par des menaces constantes et des dangers évidents. Sans cette équipe Radio Haïti n’existe pas.
Pouvons nous travailler quand chaque reporter craint pour sa vie ? Pouvons émettre lorsque chaque opérateur refuse que son nom soit cité de peur d’être identifié. Dans une lettre datée du 1er février et adressée à la direction de cette station, nos journalistes expriment leur inquiétude profonde et le désarroi qui règne dans notre salle de nouvelles. Des informations fiables font état maintenant d’attaques prévues pendant le carnaval contre les membres de notre équipe. D’autres travailleurs de la presse sont aussi aujourd’hui gravement menacés dans un climat général d’intolérance et d’impunité. Dans le cas précis du personnel de Radio Haïti, chaque jour est un 25 Décembre potentiel.

Dans leur lettre nos journalistes font état de nombreux incidents enregistrés depuis les funérailles de note agent de sécurité Maxime Séide le 9 Janvier 2003. Coups de téléphone anonymes nous menaçant du sort de Maxime, agressions verbales contre nos reporters dans leurs activités quotidiennes ou surveillance manifeste, présence signalée de deux voitures suspectes sans plaque d’immatriculation aux abords de la station le soir. Un climat lourd et constant visant manifestement à nous faire taire.

Qu’on soit venu de nouveau tirer sur mon domicile après le 9 janvier en mon absence témoigne certes de l’opiniâtreté de ceux qui m’ont pris pour leur cible privilégiée. Mais ceci est aujourd’hui dérisoire. Face à la situation que confronte nos reporters dans la rue. Ils ne peuvent exercer leur métier de témoin sans pouvoir circuler librement et sans peur. Ils ne peuvent être protégés par des agents de sécurité, sans être l’otage de ceux qui les protègent. Seul un changement objectif dans les conditions qui entourent Radio Haïti peut rendre l’exercice de notre métier de nouveau possible. Ces conditions ne sont pas réunies et l’issue incertaine du dossier judiciaire sur l’assassinat de Jean Dominique et de Jean-Claude Louissaint continue d’être l’épée de Damoclès sur notre capacité à faire notre travail, tant que les assassins sont dans la ville.
" Aujourd’hui dit la lettre signée de tous nos journalistes de Port-au-Prince, la salle de nouvelle se sent menacée à un point tel qu’on se demande si l’attentat perpétré le 3 avril contre Jean Dominique et Jean Claude Louissaint n’était pas la partie visible d’un vaste complot pour faire échec à la lutte que même Radio Haïti depuis 68 ans " .

Aujourd’hui nous parlons de survie. Le silence sur l’enquête autour de la tentative d’assassinat du 25 décembre et le meurtre de Maxime Séïde est inquiétant au moment où des menaces s’intensifient sur nous. Nous croyons collectivement qu’il nous faut agir rapidement, avant qu’il ne soit de nouveau trop tard. , avant que les dangers actuels ne se transforment en perte d’autre vie irremplaçable.

Aujourd’hui la direction de Radio Haïti se trouve forcée de prendre une décision pénible bien que provisoire éteindre nos antennes. A partir du samedi 22 février, Radio Haïti s’arrêtera temporairement d’émettre car nous croyons primordial de protéger d’abord des vies.

Cela aurait été la décision de Jean Dominique.

Ne pouvant aujourd’hui savoir combien de temps durera cette pause nécessaire de silence, de réflexion et d’évaluation, nous la souhaitons de courte durée. Nous savons que nos auditeurs et nos commanditaires en comprendront la nécessité. Radio Haïti ne sera pas fermée . La station continuera de fonctionner en silence, travaillant à la production d’émissions de fond qui seront diffusés ailleurs ou sur nos ondes lorsque les circonstances nous permettront de reprendre notre droit à la parole.

Ce silence sera lourd pour beaucoup. Certains tenteront de l’utiliser à des fins politiciennes, comme on avait tenté de le faire du cadavre d’un combattant de la démocratie. Nous nous y refusons. Radio Haïti restera ce qu’en avait fait Jean Dominique un media libre à l’image d’un homme libre.

Cette pause temporaire à la durée indéterminée pour le moment ne fera que renforcer la détermination de notre équipe profondément soudée. Nous n’abandonnerons jamais non plus notre combat de justice pour Jean Dominique, un combat mené pouce par pouce depuis trois ans. Radio Haiti, même silencieuse ne sera pas fermée. Nous ne prendrons pas non plus l’exil pour la troisième fois. Non. Cette terre et ce rêve de démocratie ont été abreuvées de notre sang. Ils sont à jamais nôtre. Nous n’abandonnerons jamais non plus le plus large combat mené par Jean contre l’impunité contre l’exclusion, pour la liberté d’expression et l’état de droit. Nous savons que nous n’avons d’autre arme que notre métier de journalistes, mais note silence continuera de pose la question des libertés, la liberté d’informer, d’énoncer une pensée critique et celle de la plus vaste liberté d’expression, aujourd’hui menacée par des individus qui se croient au dessus des lois. Ce n’est qu’un au revoir.

Que vive Radio Haïti !