Débat
Par
Guy-Robert Saint-Cyr
Soumis à AlterPresse le 5 janvier 2006
« L’idée qu’une société puisse agir démocratiquement
sur elle-même n’a connu, jusqu’ici, de mise en œuvre
crédible que dans un cadre national. »
Jà¼rgen Habermas
Décidément, l’une des principales actions du prochain gouvernement légal et constitutionnel consistera à établir un calendrier de départ des forces armées étrangères qui se trouvent sur le sol national. Après deux ans de tergiversations de toutes sortes et de manœuvres les unes plus inefficaces que les autres, force est donc de constater que les forces onusiennes qui avaient pour mandat de stabiliser la démocratie n’ont, en fait, rien réglé de concret dans le pays. Elles n’ont pour ainsi dire rien stabilisé, sinon la violence. Car, depuis leur arrivée, la situation de l’insécurité généralisée ne fait qu’aggraver.
Le kidnapping, qui était jusqu’ici un phénomène marginalisé, est devenu en un temps record la principale terreur des habitants de Port-au-Prince. Ces cas d’enlèvement sont de plus en crapuleux et incontrôlables puisque, dans beaucoup de situations, même après versement des rançons, des victimes sont mutilées et exécutées. Il est donc on ne peut plus clair que sur le plan sécuritaire, la communauté internationale a failli dans sa mission.
Du point de vue électoral, social et économique l’échec est aussi cuisant. Sinon, comment comprendre que, malgré cette implication frisant l’ingérence, on ne soit pas en mesure d’organiser des élections crédibles et honnêtes ? Quand on sait que les sommes considérables ont été octroyées dans ce but, on est en mesure de mettre en cause sinon la bonne foi, du moins la compétence de la communauté internationale. Forts de ce constat désastreux, des secteurs organisés de la société réclament le départ des forces étrangères en Haïti et la fin de l’ingérence dans les affaires internes du pays par la communauté internationale.
Le régime intérimaire
Au lendemain de la chute d’Aristide [1], grâce aux mécanismes mis en place par la communauté internationale et la plateforme de la société civile et des partis politiques de l’opposition de l’époque, un nouveau gouvernement a pris forme. Il lui incombait, compte tenu de l’urgence du moment et des nouvelles donnes, de s’attacher à trois missions fondamentales : organiser des élections, instaurer un climat de paix et de sécurité ainsi que poser les jalons d’une véritable réconciliation nationale. On n’a pas besoin d’être un fin analyste ni d’être féru des réalités haïtiennes pour constater l’échec quasi-total de ce régime dit de technocrates, dirigé par Monsieur Gérard Latortue, un ancien haut responsable de l’ONUDI. Ce gouvernement faisait miroiter toutes sortes de promesses. On pensait que le pays allait enfin prendre un nouveau départ. Les personnalités faisant partie de ce gouvernement intérimaire étaient des figures remarquables tant par leur expérience que par leurs compétences. L’espoir de la population et des groupes organisés était donc fondé.
C’est avec beaucoup de tristesse et de désarroi que l’on constate l’échec et l’inertie de ce gouvernement dans lequel Haïti avait mis tant d’espoir. La situation est telle que les partis politiques signataires de l’Accord du consensus de transition exigent son départ. Tout bien considéré, on peut mettre à l’actif de ce régime deux réalisations : la fin du terrorisme d’Etat et l’assainissement des deniers publics comprenant, entre autres, la stabilisation du cadre macroéconomique et la stabilisation de la monnaie nationale, la gourde. D’ailleurs cette dernière réalisation découle d’une option idéologique bien déterminée puisqu’elle est le résultat des politiques prônées par les institutions financières internationales. Cela mis à part, l’énumération des nombreux revers et échecs est sans fin !
Quelques difficultés de taille
Rappelons simplement pour mémoire que ce gouvernement s’est trouvé à plusieurs reprises dans l’incapacité de faire face aux cas imprévus que sont les catastrophes naturelles. à€ ce sujet, la gestion catastrophique de l’inondation des Gonaïves découlant de la tempête Jeanne a été très significative.
Quant à la situation sécuritaire, n’en parlons pas ! Les citoyens ont la peur aux tripes. Une psychose de peur les envahit. Le kidnapping, cette entreprise florissante, est en passe de devenir le cauchemar des Haïtiens. Selon les chiffres disponibles, il y aurait au moins une centaine de cas d’enlèvement par mois. Comme l’a fait remarquer récemment la sociologue et militante féministe Danielle Magloire, on ne trouve aucune trace des rançons versées dans l’économie. Il est donc nécessaire de lancer rapidement des enquêtes pour cerner l’origine de ces enlèvements et la destination des fonds versés. Tout laisse croire que cette question n’est aucunement prioritaire pour ce gouvernement intérimaire puisque, s’il voulait réellement agir en ce sens, il pourrait forcer les banques commerciales et les maisons de transfert à ouvrir leurs registres aux enquêteurs spécialisés de la Police nationale d’Haïti et ainsi amener la fin de ce cauchemar.
D’autre part, la situation sociale et économique est consternante. Le prix des loyers ne cesse de grimper. On ne fait rien pour stabiliser les frais de scolarité ; le panier de la ménagère, pour reprendre cette terminologie des sciences économiques, atteint des coûts inimaginables.
Enfin, dans un milieu de haute insécurité et face à un environnement socio-économique précaire, le choix des cadres et des professionnels semble clair : l’expatriation. En effet, durant les deux dernières années, le pays a vu partir ses filles et ses fils les plus qualifiés pour l’Amérique du Nord et l’Europe occidentale. Doit-on céder au pessimisme devant une réalité aussi pénible et laisser le pays aller à la dérive ? La réponse est évidemment non. D’où l’importance de méditer sur le type de gouvernement que l’on souhaite et sur la personnalité la plus apte à assurer la présidence et à mener la nation à bon port.
Sur le prochain gouvernement
Pour qu’Haïti renaisse, c’est-à -dire pour que le pays sorte de sa léthargie et de sa descente aux enfers, il faudra un chef d’Etat ayant un sens aigu de l’Histoire. Il devra être capable de comprendre les réalités complexes des relations internationales. Ce devra aussi être une personne dont l’expérience et la compétence sont reconnues de tous. Enfin, il nous faudra une personne capable d’avoir un discours orienté sur le long et d’entrevoir un avenir meilleur pour la nation.
Il faut absolument que les dirigeants rompent avec cette tendance qui consiste à voir et à planifier l’avenir dans une perspective limitée à la durée d’un mandat présidentiel ou d’une législature. Les problèmes du pays sont trop importants pour que des approches à moyen terme - voire à court terme - suffisent.
Disons les choses clairement : on ne peut tout simplement pas se permettre le luxe d’élire à la présidence du pays un populiste, un anarchiste, une personne sans programme ou encore une personne soupçonnée d’entretenir des relations avec le narcotrafic et les gangs armés. Si l’on veut qu’Haïti renaisse, on doit voter avec notre raison pour avoir à la tête de ce pays un homme d’expérience, capable de leadership et de sacrifices pour la nation.
Courriel : saintcyr24@yahoo.fr
[1] NDLR : En février 2004