Par Pascal Pecos Lundy*
Soumis à AlterPresse le 5 janvier 2006
« Un pays qui fut fier de sa quasi autosuffisance en riz est devenu dépendant des importations alimentaires. Malheureusement, Haïti ne sera pas en mesure de soutenir cette situation à long terme car il ne sera pas en mesure de réunir les quantités de devises nécessaires pour en couvrir les coûts » (Ray et al., 2003 ). [1]
Evolution de la situation agro-alimentaire
Le pays souffre d’une insécurité alimentaire chronique. Celle-ci s’est considérablement aggravée au cours de ces vingt dernières années. La production agricole nationale n’arrive plus à suivre le rythme d’accroissement de la population : par tête d’habitant cette production a significativement reculé depuis les années 70. L’indice de production agricole net per capita calculé par la FAO montre après une période de relative stabilité, une détérioration de la situation à partir de 2001. Il en est de même pour celui des céréales : 124,7 en 1997 ; 84, 2 et 87,9 respectivement en 2001 et 2004. Encouragé par la libéralisation sauvage des marchés agricoles et pris au piège d’une urbanisation anarchique, le pays s’est donc tourné de plus en plus vers l’extérieur pour assurer la couverture de ses besoins alimentaires incompressibles, avec toutes les conséquences que l’on connaît. Ce virage l’a entraîné vers des systèmes de dépendance croissante à l’égard des grands pays exportateurs. Aujourd’hui Haïti fait partie des importateurs nets de produits alimentaires et se retrouve parmi les cinq premiers pays-clients pour le riz américain.
Dépendance prononcée
Dépendance ! Dépendance ! Dépendance ! Ainsi se caractérise la situation agro-alimentaire du pays. Depuis 2001, le pays s’autosuffit qu’à moins de 50% de ses besoins selon les données disponibles sur le site de la Coordination Nationale de la Sécurité Alimentaire (www.cnsahaiti.org). Cette autosuffisance a même atteint les 42% en 2002. La production céréalière couvre de moins en moins les besoins nécessitant un recours aux achats et à l’aide. Le cas de la riziculture est assez éloquent, quelques années après les réformes conduites par le gouvernement de René Preval dans la Vallée de l’Artibonite. La production tourne autour de 80 000 TM (pour un rendement à l’usinage situé entre 0.75 et 0.80), production dépassant à peine celle de 1995 (voir graphique). Parallèlement, les importations totales de riz (y compris les brisures) ont explosé atteignant en 2003 le niveau record de 359 000 TM. La facture s’est élevée à 105 millions de dollars US, soit 48% de plus comparé à 1995. Les difficultés de la filière rizicole se traduisent par une production nettement insuffisante et par des importations en hausse continuelle.
« En 1990, Haïti était presque autosuffisant pour son approvisionnement en riz. Après plusieurs années d’importations de riz américain à bas prix, la production locale s’est aujourd’hui effondrée (...). Un pays qui fut fier de sa quasi-autosuffisance en riz est devenu dépendant des importations alimentaires. » [2] Pas moins de trois rations de riz sur quatre consommées (75%) proviennent de l’extérieur a noté l’organisation Oxfam dans un document d’information. [3] Cette situation témoigne à la fois de l’incapacité du secteur agricole en général à assurer sa mission première de nourrir la population, du peu d’intérêt accordé à la question primordiale de la lutte contre l’insécurité alimentaire et remet aussi en cause le niveau d’« incohérences des politiques » [4] en la matière.
Cette baisse de la production agricole est aussi remarquée du coté des exportations. L’impressionnant recul de la principale denrée d’exportation agricole, le café, consacre les difficultés à terme du pays à assurer la facture commerciale de ses importations alimentaires. Pour la période 1995-2003, ses recettes d’exportations ont été divisées par sept en terme de valeurs passant de 25 à 3,5 millions de dollars. L’effet ciseau est indéniable entre les exportations agricoles et les importations alimentaires, en plus cet effet s’est inscrit dans la durée pour prendre un caractère structurel.
Ces importations céréalières ne se justifient pas seulement par le déficit de la production vivrière nationale. Elles sont surtout dues à la forte croissance urbaine qu’engendre l’exode rural - généré par la non-résolution de la crise du secteur agricole - qui conduisent les ruraux notamment dans la capitale. Les gens laissent la campagne pour s’établir dans les villes à la recherche d’un mieux être. Cette stratégie répond parfaitement à ce slogan de l’Habitat II en 1996 « mieux vaut être pauvre en ville que de mourir à la campagne ». Cette urbanisation aura comme conséquence de modifier la composition de la ration alimentaire. L’agriculture vivrière, étant déjà en situation de délabrement, n’est pas à même de répondre à cette demande induite par les nouveaux citadins constitués essentiellement de « bidonvillois ». D’un point de vue global la croissance urbaine a laissé peu de temps à l’agriculture pour se moderniser et répondre à ces nouveaux besoins. Si l’importation des aliments n’est pas un problème en soi, toujours est-il qu’il faut avoir les moyens pour l’assurer et aussi contrôler les problèmes de dépendance qu’elle induise.
Politique de sécurité alimentaire nationale
A l’échelle nationale, la sécurité alimentaire peut être assurée suivant deux grandes voies, nous dit la FAO [5] :
A. Soit par l’autosuffisance alimentaire, qui signifie la satisfaction des besoins alimentaires dans la mesure du possible à partir d’approvisionnements nationaux et en dépendant le moins possible des échanges commerciaux.
B. Soit par l’autosubsistance alimentaire qui prend en compte les possibilités qu’offre le commerce international. Cette option suppose de maintenir un certain niveau de production intérieure et de créer la capacité d’importer sur le marché international, le cas échéant. Celle-ci implique à terme une dépendance à l’égard du commerce qui, comme on le sait, vient avec son lot de risques, compte tenu principalement de l’incertitude des approvisionnements et de l’instabilité des prix sur les marchés mondiaux.
A la recherche de l’autosuffisance ?
L’idée que sous-tend l’autosuffisance alimentaire nationale demeure logique et correspond au vœu de plus d’un : Produisons ce que nous mangeons ! « Se grès kochon an, ki pou kwit li ». La plupart des gouvernements qui se sont succédés depuis plus d’une dizaine d’années et de nombreuses organisations sociopolitiques font de cette autosuffisance alimentaire du pays l’un de leurs objectifs. [6] Vite dit, vite oublié : cet objectif passe comme une lettre à la poste. La réalité est qu’aujourd’hui le pays est fortement tributaire de l’étranger pour son alimentation - à plus de 50% (voir tableau), qui lui revient de plus en plus chère. Aussi faudra-t-on arriver à stabiliser la facture de ses importations agro-alimentaires, pour la réduire à terme.
Cette idée d’autosuffisance semble se cantonner dans la sphère des vœux pieux quand on considère les différentes mutations, aussi bien sur le plan national que de l’environnement international ; l’évolution et la situation actuelle des grandes filières agricoles telles que la riziculture et enfin la manière dont les pouvoirs publics ont abordé et abordent encore la question agro-alimentaire. La recherche de l’autosuffisance s’apparente de plus en plus à de la spéculation grossière et mensongère compte tenu de l’état actuel des systèmes nationaux de production céréalière et de la dépendance vis-à -vis de l’extérieur notamment pour le riz, dépendance induite par une forte croissance de la demande urbaine pour ce produit et par la stabilisation voire le recul de sa production.
Certains voudraient que le pays produise des biens agricoles fortement valorisés sur le marché externe pour ainsi dégager suffisamment de devises qui permettront les importations céréalières, histoire d’arriver à l’équilibrage des comptes extérieurs alimentaires (importations et exportations de produits). [7] Cette opinion sous-entend la mise en place d’une politique qui met l’accent sur les cultures de rentes. Autrement dit, de renoncer à la production vivrière sous le fallacieux prétexte de non-compétitivité. Or ce qu’ils ont omis de nous dire, c’est que : (1) les prix de ces produits de rentes (matières premières agricoles) sont déterminés sur les marchés de pays non-producteur (à New-YorK, à Londres) et subissent des variations plus ou moins fortes selon la période et que (2) l’accès aux marchés agro-alimentaires des pays industrialisés est fortement conditionné. Peut-on continuer à s’accrocher au café quand cette culture d’exportation ne rapporte ni aux caféiculteurs ni à l’Etat haïtien ? La réalité est qu’en 2002, la mangue a généré pour le pays presque le double des recettes d’exportations du café (5,46 contre 2,88 millions de USD, www.brh.net ).
D’autres continuent de croire dans aux possibilités du pays à satisfaire ses besoins alimentaires moyennant la relance de la production agricole nationale. Les réclamations et propositions des différentes associations et organisations de paysans, d’acteurs du développement, de groupes de pression ont fait de cette production la porte d’entrée à la sécurité alimentaire. Au niveau officiel, on y adhère volontiers. Les objectifs affichés de la politique agricole du MARNDR sont : la sécurité alimentaire, la modernisation de l’agriculture et l’amélioration de la production destinée à l’exportation. Dans un document de propositions d’un Plan national de sécurité alimentaire (jamais validé), la relance de la production agricole s’inscrit en lettre d’or. Sur le long terme, la mise en œuvre d’une politique de sécurité alimentaire en Haïti devrait permettre d’« augmenter le degré de satisfaction des besoins alimentaires par la production nationale en respectant le capital ressources naturelles et en tenant compte des spécificités propres à chaque zone et des avantages comparatifs au point de vue économique, social et humain » écrit la CNSA dix ans en arrière [8]. Tout est dit, mais rien n’a été fait. Des mots, encore des mots.
Même en admettant le bien fondé de cette stratégie, la question serait de savoir s’il faut renoncer à la production vivrière et livrer le ventre du pays à l’extérieur en le soumettant aux seules vertus du marché, et se cantonner dans des spéculations dont leur commercialisation échappe complètement aux producteurs. NON, 1000 fois non, bien que l’évolution de la situation corresponde à la réponse contraire. A l’image du café, l’agriculture spéculative reste très instable tant au niveau des producteurs que de l’Etat. Paradoxalement, « ce sont les pays exportateurs de cacao, café, coton et huile de palme qui sont aussi devenus les plus gros importateurs de denrées alimentaires comme le blé, le riz et la viande » remarque J.O. Igué [9]. Le principe de prudence plaide au moins en faveur d’une production d’autoconsommation. C’est un fait que les performances de l’agriculture vivrière nationale laissent à désirer, mais les seules motivations économiques ne peuvent à elles seules justifier cette stratégie. Il est vrai que l’autosuffisance céréalière totale est très loin de la capacité agricole actuelle du pays, elle peut cependant être approchée à certain degré en déployant les efforts appropriés. Ces derniers devront passer sans nul doute par le réexamen des différentes options qui peuvent contribuer à atteindre cet objectif telles que l’intégration des différentes politiques sectorielles, une meilleure valorisation des instruments et accords internationaux à disposition, de partenariats avec les institutions multilatérales FMI, Banque mondiale et OMC.
La politique d’autosuffisance alimentaire demeure un objectif stimulant qui réclame des moyens de subventionnement coûteux de la part du pays qui veut la mettre en pratique. Comment produire des céréales dont le prix est très bas sur le marché mondial et quand d’une part, le pays n’a pas les moyens d’assurer le subventionnement des prix aux producteurs agricoles et que d’autre part, les consommateurs sont limités par leurs revenus ?
Protection alimentaire nationale d’abord ?
Malheureusement l’objectif de « relancer la production agricole nationale » tarde à se traduire dans la réalité. En ce qui concerne la filière rizicole par exemple, les revendications concernant sont restées les mêmes depuis plus d’une quinzaine d’années : encadrement des producteurs, accès aux intrants et au crédit, problèmes de curage et de drainage, problèmes de récolte et de transformation, problèmes de commercialisation, etc. En dehors des revendications techniques, l’on ne cesse de réclamer la protection de la filière de la concurrence déloyale qu’elle subit. Les associations de riziculteurs exigent des mesures concrètes pour « contrôler l’importation et percevoir des taxes sur les produits importés » et « suspendre l’importation des produits agricoles au moment des récoltes » [10]. Dans quelle mesure ces demandes peuvent être satisfaites compte tenu des engagements internationaux du pays ?
Il est vrai qu’« Haïti a exécuté des réformes qui ont substantiellement libéralisé son économie et en ont fait l’une des plus ouvertes d’Amérique latine et de la Caraïbe » [11], il est aussi vrai qu’il peut s’avérer difficile de faire marche arrière. Toutefois, il existe pleins d’instruments à sa portée dans le cadre des accords de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui peuvent faciliter au pays de soutenir, voire d’assurer une certaine protection de la production agricole. Pour une raison ou une autre, on ne les a jamais utilisés, alors que les pays peuvent avoir recours à plusieurs mesures compatibles avec les accords de l’OMC pour atténuer les effets de l’instabilité des marchés sur la sécurité alimentaire et protéger sa production nationale. Ainsi peuvent-ils appliquer aussi bien des tarifs douaniers pour équilibrer les prix internes que de mettre en œuvre des incitations à la production.
Il existe deux options de politiques sous l’accord agricole pour soutenir sa production nationale dans le cadre d’une stratégie axée sur la sécurité alimentaire [12] :
a) les mesures à la frontière, à travers les droits de douane, dans les limites des droits consolidés notifiés auprès de l’OMC, et
b) les mesures de soutien interne, consistant à fournir un soutien aux agriculteurs et des versements fondés sur des facteurs autres que le prix pour faire baisser les coûts de production (soutien par produit, subvention au crédit, aux intrants comme l’irrigation, les semences, etc.) toujours dans les limites des engagements pris auprès de l’OMC.
Considérons le cas des Tarifs douaniers. Les pays peuvent appliquer des droits de douanes variables, inversement proportionnels au niveau des prix à l’importation, à condition que le taux maximal du droit ne dépasse pas le taux consolidé. Dans la pratique l’on peut faire varier les taxes à l’entrée des produits alimentaires, à la condition que le taux appliqué reste en deçà du taux consolidé. Si c’en est le cas, le pays ne viole pas les règles de l’OMC. En règle générale, ces taux consolidés à un niveau relativement élevé permettent aux pays en question d’avoir un degré de protection considérable à la frontière tandis que pour les pays ayant des taux consolidés plus bas, cette flexibilité est réduite. Il arrive que pour certains pays ces taux soient consolidés à un très faible niveau. Ce niveau peu élevé des taux appliqués peut être expliqué notamment dans le cas des pays de l’Afrique Subsaharienne par l’adoption d’un tarif extérieur commun (TEC) mis en place dans le cadre des accords d’union douanière.
« De nombreux pays en développement ont consolidé leurs taux à des niveaux relativement élevés pour les produits alimentaires de base. Il est théoriquement possible d’appliquer des droits de douane jusqu’à concurrence des niveaux consolidés car les engagements de l’OMC le permettent, mais cette option a des possibilités d’application limitées dans la pratique, en particulier pour les pays en développement, dont la majorité sont importateurs de produits alimentaires. Une augmentation des droits de douane se traduit non seulement par une augmentation des prix payés aux producteurs du pays mais aussi par une augmentation des prix payés par les consommateurs nationaux » nous dit la FAO. Qu’en est-il d’Haïti ? Pourquoi les autorités rechignent-elles à utiliser les tarifs, par exemple, pour protéger la production nationale rizicole ?
Signalons qu’Haïti bien avant la conclusion du Cycle d’Uruguay, dans le cadre des Programmes d’Ajustement Structurel - reformes de libéralisation du secteur agricole - avait procédé à l’élimination de la plupart des mesures non tarifaires et la réduction des taux appliqués. La libéralisation généralisée des échanges entamés depuis 1986 dans le cadre de la mise en œuvre du Programme d’ajustement structurel, fait du régime commercial haïtien l’un des régimes d’échange des PMA les plus ouverts. Pendant le Cycle d’Uruguay, Haïti a consolidé les droits d’entrée sur tous les produits agricoles (définition de l’OMC) et sur quelques produits non-agricoles. Depuis 1995, le tarif douanier révisé est réduit, à quatre taux (zéro, cinq, dix et quinze pourcent), sauf pour quelques produits de base qui sont consolidés à des taux de 50% (riz, maïs, millet et farine) ou à des taux de 40% (sucre, café torréfié et pâte de tomate). Les taux de droit de douane applicables varient entre 5 et 15% pour les produits finis et dans la fourchette 0 - 5% pour les matières premières, intrants et sous-produits.
Il existe encore d’autres instruments tels que les mesures de la Boite Verte et celles autorisées dans le cadre du TSD (Traitement spécial et différencié) en supplément du niveau de minimis. Ces différentes mesures nous donnent suffisamment de marge pour soutenir l’agriculture nationale. Mais faut-il souligner que les difficultés de l’utilisation de ces instruments résident dans les capacités financières limitées pour fournir un tel soutien et aussi les contraintes découlant des exigences des bailleurs multilatéraux, BMI et Banque mondiale.
Pré-requis de l’autosuffisance
Il s’avère délicat de dire si Haïti est un cas perdu ou à un stade de non-retour en matière de capacités à nourrir sa population. Pour l’instant, la satisfaction des besoins par la production alimentaire nationale est à son plus bas niveau, le pays est importateur net de produits alimentaire. Cependant, cette situation ne compromet pas totalement les possibilités de rétablir une certaine forme d’autosuffisance en produits agro-alimentaires dans la mesure où les conditions environnementales le permettent encore. Deux scénarios s’offrent au pays :
A. Soit que l’on considère qu’il n’y a pas d’autres solutions que de faire dépendre totalement le pays de l’extérieur pour sa nourriture en le rendant solvable pour acheter à l’étranger ce qui lui manque,tout en le faisant produire si possible une partie de sa nourriture - l’option de l’autosubsistance alimentaire ;
B. Soit que l’on fasse tout pour assurer son autosuffisance alimentaire en le rendant le moins possible dépendant de l’extérieur.
Le constat est évident : Le pays n’a pas suffisamment de ressources financières pour importer les produits alimentaires, l’existence d’une production locale adaptée s’avère cruciale. Ce serait un combat perdu d’avance si on faisait le choix de dépendre totalement de l’extérieur pour son alimentation. La réalité nous indique à être prudent. Ces observations de Louis Dupont gardent encore de leur pertinence : « Haïti a libéralisé son régime commercial, ses exportations se heurtent encore à diverses restrictions sur les marchés étrangers » soulignait-il en 1998 [13]. L’autosuffisance alimentaire demeure très importante pour l’obtention de la sécurité alimentaire du pays étant donné qu’il s’avère dangereux pour un pays de faire reposer totalement sur le marché mondial sa satisfaction des besoins alimentaires. La politique de l’autosuffisance a cependant un coût très élevé et réclame certaines exigences. Les conditions agro-climatiques, politiques, économiques et commerciales doivent déterminer ce degré d’autosuffisance auquel le pays doit s’efforcer de parvenir pour chacune des productions alimentaires.
Si l’on opte pour la seconde alternative, elle ne peut se faire que de manière progressive et suppose des conditions nécessaires. En premier lieu, il faut une volonté gouvernementale, et c’est la condition sine qua non. Pour le reste, il s’agira :
Du retour à la stabilité sociopolitique, un climat de paix et de confiance ;
Une bonne politique économique et commerciale
Une bonne politique agro-alimentaire, qui tachera de fournir des prix rémunérateurs, et cela de façon la plus régulière que possible, aux paysans-producteurs [14]. Le fait pour eux de recevoir de meilleurs prix peut s’avérer considérable et faciliterait une amélioration beaucoup plus rapide et plus directe de leur conditions de vie (ou de survie), de leur sécurité alimentaire et de celle du pays.
Perspectives peu réjouissantes !
La situation de dépendance alimentaire n’a cessé de se renforcer durant ces dernières années en raison des nouveaux déterminants de la sécurité alimentaire comme la forte croissance démographique, la forte croissance urbaine, le développement extraordinaire de la pauvreté, les crises sociopolitiques aiguà« s provoquées par les difficultés de la démocratisation de l’Etat et de la société, les tensions sur les ressources naturelles (ressources foncières, ressources ligneuses), la baisse constante du pouvoir d’achat des différentes catégories socioéconomiques et de l’impact négatif du modèle de croissance économique que l’on essaie de mettre en place.
Haïti fait malheureusement partie de ces pays, dont le taux élevé de croissance démographique urbaine menace la sécurité alimentaire. A terme elle ne pourra accroître indéfiniment ses importations alimentaires - faute de réunir les quantités de devises nécessaires pour couvrir les coûts. Comme les statistiques disponibles le laissent supposer si les capacités de production ne sont pas restaurées, elle devra dépendre encore plus de l’aide alimentaire étrangère, américaine surtout. Le risque, si ce n’est pas déjà le cas, est qu’elle devienne un pays indigent, presque sans souveraineté, à la merci de son principal fournisseur d’aide.
Aujourd’hui plus que jamais - en dépit de tout ce que disent ou pas les chiffres, l’on peut raconter, il y va de la nécessité d’une forte intervention étatique afin d’aider l’agriculture à répondre à sa mission première et contribuer à la sécurité alimentaire nationale. Un effort national doit être fait dans le sens d’accroître la production alimentaire et de diminuer à terme autant que possible les importations et les dons. « Les pays qui aujourd’hui ne connaissent déjà plus la sécurité alimentaire, comme le Bangladesh, l’Ethiopie, Haïti..., devraient se donner comme objectif national minimum de cesser d’être des récipiendaire d’aide alimentaire et des importateurs nets d’aliments. » [15] Cet objectif est avant tout politique. Il doit être inscrit dans les priorités des prochains gouvernements. Parce qu’à terme, compte tenu des faibles rentrées en devises, le pays se retrouvera en difficultés pour soutenir sa situation de dépendance alimentaire, actuelle et future, vis-à -vis de l’extérieur d’autant que les besoins alimentaires se multiplient très vite eu égard à la progression démographique (et l’urbanisation anarchique des villes) et les pressions constantes sur les maigres ressources naturelles disponibles.
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* Agro-économiste de formation. Diplomé en Etudes du développement.
Contact : pascallundy@hotmail.com
Juin 2005 (revu en janvier 2006)
Références bibliographiques
BANQUE MONDIALE, La pauvreté et la faim, la sécurité alimentaire dans les pays en développement, problèmes et options. Washington D.C. 1986.
FAO, Les Négociations Commerciales Multilatérales sur l’Agriculture - Manuel de Référence - II - L’Accord sur l’Agriculture, Rome, 2001
TERCIER, N., SOTTAS, B et al. La Sécurité alimentaire en question. Dilemmes, constats et controverse, Editions Karthala, Paris, 2000
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Notes :
[1] Ray Daryl E., D. Ugarte, K. Tiller, Repenser la politique agricole des Etats-Unis : Changer d’orientation pour assurer des revenus aux agriculteurs du monde entier, Agricultural Analysis Policy Center, University of Tennessee, 2003
[2] Ray Daryl E., D. Ugarte, K. Tiller, Op., cit.
[3] OXFAM international, Enfoncer la porte. En quoi les prochaines négociations de l’OMC menacent les agriculteurs des pays pauvres, Document d’information, Avril 2005.
[4] Lundy P.P., In/ Cohérences des politiques de développement en matière de sécurité alimentaire en Haïti : Quels enseignements ? Le Nouvelliste, Janvier 2005
[5] Voir FAO, « Commerce et sécurité alimentaire : les options des pays en développement », Les négociations commerciales multilatérales sur l’Agriculture - Manuel de Référence II - L’accord sur l’agriculture, Rome, 2001, Chap. X
[6] L’organisation sociopolitique MOUN (mouvement pour l’Unité Nationale) vise, entre autres, à « moderniser l’agriculture pour arriver à un certain autosuffisance alimentaire et rééquilibrer l’économie nationale ».
[7] La plupart des gens qui réfléchissent sur le secteur donnent corps sans hésiter à cette stratégie en reprenant à qui veut l’entendre que le salut passe par la modernisation de l’agriculture, sans pour autant indiquer les voies et moyens.
[8] CNSA, Proposition de Plan National de Sécurité alimentaire, 1996
[9] Igué John O., « L’organisation mondiale du commerce et l’avenir de l’agriculture exportatrice en Afrique de l’Ouest » in N. S. Tercier & B. Sottas, La sécurité alimentaire en questions. Dilemmes, constats et controverses. Karthala, 2002
[10] Voir Compte rendu de la journée de réflexion organisée par la PAPDA et l’ANDAH sur le « Rôle du secteur agricole dans la transition et le développement national » en avril 2004. http://www.alterpresse.org/article.php3?id_article=1369
[11] OMC, Examen des politiques commerciales. Haïti. Rapport du Secrétariat. WT/TPR/S/99/REV.1, OCT 2003
[12] Voir FAO, Op. Cit.,
[13] Dupont L., Sécurité alimentaire et stabilisation macro-économique en Haïti, L’Harmattan, Paris, 1998
[14] Pour que l’économie se développe dans un pays où la majeure partie de la population est agricole, il faut que l’agriculture décolle. Pour que l’agriculture décolle, il faut donner aux agriculteurs la liberté de produire à des niveaux de prix qui leur permettent de vivre convenablement. La banque mondiale a estimé qu’une croissance de la production agricole de 10% permettrait de réduire le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de la pauvreté de 6 à 10%.
[15] Oswaldo de Rivero, Le mythe du développement, Editions Ecosociété, Montréal, Collection Enjeux Planètes, p. 198 (souligné par nous).