Interview avec Paul Denis
Par Nancy Roc [1]
P-au-P., 4 janv. 06 [AlterPresse] --- Le candidat à la présidence, Paul Denis, croit que, dans la conjoncture actuelle de misère et d’insécurité, « il faut redonner l’espoir aux gens ».
Le candidat de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL) a fait ces déclarations dans une interview avec la journaliste Nancy Roc, 3ème d’une série entreprise depuis la fin de l’année dernière.
Les priorités de Paul Denis sont l’éducation, les services de base, la santé publique, l’assainissement, l’incitation à l’investissement, le développement agricole et industriel ainsi que la décentralisation, affirme-t-il.
Paul Denis déclare miser sur sa trajectoire, son expérience et l’implantation de l’OPL sur l’ensemble du territoire, pour remporter les prochaines élections.
Nancy Roc : M. Denis, votre candidature à la présidence a étonné beaucoup de gens. Qu’est-ce qui vous a poussé à briguer le poste de la plus haute magistrature du pays alors que la majorité vous voyait encore comme candidat au Sénat de la République ?
Paul Denis : En fait, ce n’est pas la majorité qui me voyait au Sénat. Il y avait sûrement beaucoup de personnes qui, constatant le travail que j’avais effectué au sein du Sénat de la République, avaient souhaité que je me porte candidat aux sénatoriales mais énormément de gens m’ont toujours dit « Paul, il faut que tu te portes candidat à la présidence ». Toutefois, je n’avais pas cette vocation. Au niveau de l’Organisation du Peuple en Lutte (OPL), depuis l’année 2000 nous avions pris la décision de principe de briguer la présidentielle, car nous avons compris que chaque fois qu’on remettait à certaines personnes la charge de nous représenter au niveau de l’Exécutif et de la présidence, on était toujours trompés. Nous avons donc pris la décision d’envoyer quelqu’un sortant des rangs de l’OPL. Lorsque nous nous sommes réunis les 30 et 31 juillet de cette année, il n’y avait aucun candidat. Après deux jours de discussion, il y a eu consensus autour de moi et j’ai accepté parce que c’était un honneur d’avoir été choisi -bien que je n’avais pas postulé pour cette candidature- et d’autre part, habitué à mener des combats et celui-ci étant particulièrement difficile, je ne pouvais pas me dérober et j’ai accepté la lourde mission que mon Parti m’a confiée.
Nancy Roc : Pensez-vous que vous avez des chances d’être élu et pourquoi ?
Paul Denis : Je suis absolument persuadé que j’ai beaucoup de chances, plus de chances que beaucoup d’autres à gagner cette compétition. Pourquoi ? Tout d’abord à cause de ma trajectoire. Deuxièmement, à cause du fait que l’OPL est implantée sur l’ensemble du territoire et je vais disposer du soutien d’une organisation bien représentée. Ensuite, je suis un homme décidé et de combat ; enfin, grâce à l’expérience que nous avons des élections, j’ai beaucoup de chances d’être élu.
Nancy Roc : L’OPL a beaucoup déçu en faisant bande à part et en ne se ralliant pas aux autres partis de la mouvance de l’International Socialiste et on a eu l’impression que le grand front que vous prôniez avant le départ d’Aristide a été écrasé devant les ambitions politiques des uns et des autres. Quelle est votre opinion à ce sujet ?
Paul Denis : l’OPL n’a pas refusé de se rallier à d’autres partis de gauche. L’OPL n’a pas su trouver un terrain d’entente avec ces partis donc la responsabilité incombe à l’OPL et aux autres. Mais, jusqu’à aujourd’hui, nous sommes ouverts à d’autres partis de même sensibilité politique que nous à trouver un accord qui pourrait nous donner plus de force pour aborder les prochaines compétitions électorales. Nous avions une Convergence qui regroupait des partis de gauche et de droite mais nous étions réunis autour d’un même objectif : la lutte contre Aristide et son départ. Après le départ du dictateur, il n’y avait aucun point dans l’accord qui nous commandait de rester unis bien qu’il aurait été souhaitable qu’on continue cette Convergence pour pouvoir offrir un front plus uni et plus fort face aux prochaines échéances électorales. Malheureusement cela n’a pas été possible. Je profite de l’occasion pour dire qu’on est en train de faire de Préval une force dans le pays. Je considère que Préval est un épouvantail. Il n’a ni la capacité ni la force qu’on lui prête. Certes c’est un candidat dont il faut tenir compte mais il n’a certainement pas la force qu’on lui donne à l’heure actuelle. Je suis absolument sûr qu’il ne peut pas gagner ces élections. Préval a un passif comme président et a une stratégie particulière comme candidat. Il faut se lancer dans la bataille électorale pour pouvoir gagner la majorité de l’électorat. La victoire appartiendra à ceux qui ont su rallier la majorité en prenant en compte les revendications de la majorité du peuple haïtien.
NRoc : Comment percevez-vous l’Entente du 28 novembre entre 9 partis et groupements politiques et comment la gérer ?
Paul Denis : A mon avis, elle est positive car elle permet déjà la gouvernabilité. Le prochain président devra choisir son premier ministre à partir de la majorité acquise au Parlement. Cette dernière nous est acquise à travers cette Entente. Ces 9 partis se sont mis d’accord pour soutenir au 2ème tour les candidats les mieux placés pour former un bloc majoritaire. C’est une garantie de gouvernabilité pour ce pays et nous avons besoin de cela.
NRoc : Si vous êtes élu, quelles seront les priorités de votre programme que vous appliqueriez au lendemain de votre accession au pouvoir ?
Paul Denis : Les priorités doivent être établies à partir des objectifs qu’on poursuit. L’objectif de mon Parti est de réformer l’Etat, d’engager le pays sur la voie du développement durable et de promouvoir la justice sociale. A partir de ces objectifs, nos priorités sont l’éducation, les services de base, la santé publique, l’assainissement, l’incitation à l’investissement pour créer des emplois, le développement agricole et industriel ainsi que la décentralisation.
NRoc : Mais si vous êtes élu, quels seront les premiers actes que vous allez poser ?
Paul Denis : Il faut d’abord nettoyer la capitale et les chefs lieu de département. Il faut assurer la propreté et la salubrité des zones urbaines. Nous nous proposons de rétablir le courant électrique entre 18h et 24h par jour et nous mènerons des actions au niveau de la police nationale pour la professionnaliser et lui donner les moyens de garantir la sécurité des vies et des biens. L’autre mesure que nous allons prendre immédiatement c’est de subventionner le gaz propane et le butane en vue d’encourager les utilisateurs domestiques à délaisser le charbon de bois pour lutter contre la désertification du pays. Ce sont des mesures qu’on peut prendre de toute urgence dans les trois premiers mois.
NRoc : Au Rwanda, le président a fait planter un arbre par chaque citoyen après son élection et 10 ans après le pays est devenu vert. Pourriez-vous vous engager à poser un tel acte ?
Paul Denis : Non seulement je suis pour cette idée mais je suis aussi pour la formation de brigades de reboisement dans chaque section communale. Elles disposeraient d’un certain salaire, planteraient des arbres et effectueraient des travaux pour retenir le sol sous l’action des pluies. Nous allons aussi mener une politique d’éducation de la population sur l’environnement. Une des premières mesures que nous allons prendre c’est de travailler sur un plan d’aménagement du territoire pour que l’espace territorial soit spécialisé.
NRoc : En matière d’insécurité, nous voyons de plus en plus de gangs devenir indépendants. Nous constatons aussi l’inefficience de la Mission des Nations Unies pour la Stabilisation d’Haiti (MINUSTAH) devant des zones de non droit, notamment à Cité Soleil. Comment votre gouvernement va-t-il faire face à ces gangs et comment les maîtriser ?
Paul Denis : Je crois qu’il faut d’abord questionner l’action de la MINUSTAH. Elle est là pour créer la sécurité et aider au désarmement des gangs. Or, l’insécurité gagne du terrain et le désarmement n’a jamais été effectué. Il faut donc évaluer le travail de la MINUSTAH et la nécessité de sa présence. Il appartient aux autorités politiques de renforcer l’instrument capable d’assurer la sécurité dans le pays : la police nationale. Des mesures doivent être prises pour la professionnaliser, l’épurer et lui donner les moyens de formation et d’action face au grand banditisme. Pour cela, il faut aussi créer une entité de renseignements, rétablir la hiérarchie au sein de la PNH et lui donner les moyens pour avoir des résultats. L’action de la police doit être mené conjointement avec des actions sociales. Ce qu’il y a dans les ghettos en Haïti révolte la conscience des gens et à l’occasion de cette campagne j’ai pris l‘habitude d’aller dans les quartiers populaires. Les gens vivent dans des conditions effroyables. Il faut redonner l’espoir aux gens des quartiers populaires. C’est essentiel d’avoir des actions conjointes pour lutter contre l’insécurité. Il faut isoler les chefs de gangs de la population. Quand vous avez des centaines de milliers de personnes entassées dans ces ghettos, on comprend qu’elles sont désespérées. A Solino on m’a parlé d’un canal. J’ai été le voir. C’est un lieu de développement de microbes et de contamination de la population et les gens vivent à côté de cette insalubrité. Il ne faut pas beaucoup d’argent pour nettoyer ce canal. Au Bel Air, il y a des latrines publiques qui desservent Delmas 2, Delmas 4 et une partie du Bel Air. Cela fait un an qu’elles sont remplies. Pour les déboucher il faut 25.000 gourdes et rien n’a été fait. On comprend alors à quel point cette population se sent abandonnée. Avec des actions peu coûteuses on peut prouver que désormais on s’occupe d’elle et que les choses vont changer. Il faut démontrer que, même si on ne peut changer sa situation du jour au lendemain, on peut l’accompagner vers un devenir meilleur. On pourra alors isoler les mauvais éléments, sinon ces derniers auront toujours le soutien de la population. Il y a des endroits où il n’y a pas d’école, pas de centre de santé : nous avons passé 200 ans à construire une catastrophe. Aujourd’hui, nous l’avons. Le problème est de savoir que cette réalité existe et d’avoir la volonté d’y apporter des solutions.
[nr gp apr 04/01/2006 11:40]
[1] Interview réaliséee le 8 décembre 2005
