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Haïti / Justice : Paralysie depuis bientôt un mois

P-au-P, 28 déc.05 [AlterPresse] --- A la fin de décembre 2005, les juges de la république sont à leur troisième semaine de grève en Haïti, en signe de protestation contre une mesure de mise à la retraite anticipée contre 5 juges de la Cour de Cassation, prise par le président intérimaire Boniface Alexandre en début du dernier mois de l’année.

L’appareil judiciaire, qui doit se prononcer sur plusieurs affaires, dont les cas de plusieurs personnes arrêtées par la Police Nationale d’Haïti (PNH) pour séquestration, association de malfaiteurs, voies de faits et autres, se trouve sérieusement affectée, a constaté l’agence en ligne AlterPresse au cours d’une visite effectuée cette fin d’année au Palais de justice de la capitale.

Des va et vient incessants, pas une affaire entendue, des discussions entre des avocats et des curieux, dysfonctionnement total : tel est le visage offert par le Palais de Justice de Port-au-Prince.

Aucun juge ne s’y est présenté, à part quelques avocats qui commentaient la situation ayant découlé de l’arrêté présidentiel du 9 décembre 2005 contre 5 juges de la plus haute instance judiciaire du pays.

Les tentatives de pourparlers entre les juges grévistes, principalement regroupés autour de l’Association Nationale des Magistrats d’Haïti (ANAMAH), n’ont pas encore abouti.

« Nous avons pris cette décision pour rajeunir la Cour de Cassation, qui, en une année, n’a seulement adopté que 30 arrêts », a tenté d’expliquer Michel Brunache, chef de cabinet de la présidence intérimaire, face au tollé provoqué parmi les juges, avocats et autres secteurs de la société.

Après un essai infructueux au Palais de Justice, en raison des protestations des juges mis à la retraite et d’un groupe d’étudiants, l’Exécutif intérimaire a procédé, le jeudi 15 décembre au Palais National, à l’installation des nouveaux juges appelés à remplacer les anciens mis à la retraite.

La cérémonie du 15 décembre s’est déroulée en l’absence du président de la République et du ministre de la Justice, Henry Marge Dorléans. Elle a été introduite par le commissaire du gouvernement près le tribunal de première instance, tandis qu’un greffier a lu le texte de l’arrêté présidentiel.

Appuyés par d’autres secteurs de la vie nationale qui demandent un retrait de la décision du 9 décembre 2005, les juges mis à la retraite anticipée considèrent la mesure de la présidence intérimaire comme une réponse politique à l’arrêt de la Cour de Cassation, demandant au Conseil Electoral Provisoire (CEP) de porter le nom de Dumarsais Mécène Siméus, un riche industriel d’origine haïtienne et détenteur d’un passeport des Etats-Unis d’Amérique, sur la liste des candidats agrées aux prochaines présidentielles.

Dans la capitale, les rumeurs ont couru sur d’éventuels pots-de-vin qui auraient été distribués pour favoriser un tel arrêt en faveur de Siméus. Michel Donatien, l’un des 5 juges mis à la retraite anticipée, s’y est inscrit en faux et a mis quiconque au défi de prouver qu’il aurait reçu de l’argent dans ladite affaire.

Toujours est-il que le fonctionnement du système judiciaire, depuis quelques années en Haïti, laisse planer de sérieuses suspicions sur l’intégrité de certains juges ayant même libéré des bandits qui, à la suite de leur élargissement, ont récidivé dans leurs forfaits.

Citoyennes et citoyens se plaignent des longues procédures exigées et de l’apparence de corruption qui semblent prévaloir au sein du système judiciaire tendant davantage à faire pencher la balance au profit de gens les plus malins, les plus fortunés ou les plus influents politiquement.

Une réforme, annoncée depuis la chute du régime dictatorial de Jean-Claude Duvalier en 1986, tarde tant encore à se matérialiser que les revendications de justice et de dispositions institutionnelles contre l’impunité demeurent aujourd’hui la priorité des revendications de la population en Haïti.

La nouvelle année 2006 va commencer sur ce conflit entre l’Exécutif intérimaire et les juges de la République, en plus de la perte de crédibilité du gouvernement qui a échoué dans sa tâche principale de réaliser des élections à tous les niveaux avant la fin de 2005.

D’aucuns prédisent la chute probable ou la démission de l’actuelle équipe qui dirige le pays depuis mars 2004, pratiquement sans aucune base parmi les secteurs vitaux de la nation, mais en se reposant davantage sur les positions et orientations dictées par la communauté internationale.

Le président provisoire, Boniface Alexandre, n’a pas jugé bon, depuis son intronisation à la chute du régime lavalas le 29 février 2004, de désigner un nouveau président à la Cour de Cassation, vraisemblablement parce qu’il envisage de revenir à la tête de la plus haute instance judiciaire d’Haïti après l’installation d’un nouveau président issu des élections annoncées pour 2006, interprètent divers secteurs.

Les juges Michel Donatien, Luc S. Fougère, Jackaman Charles, Raoul Linsé et Louis Alix Germain ont été conviés, par la présidence intérimaire, à faire valoir leur droit à une pension et remplacés par d’autres éléments de la magistrature considérés plus capables à assurer les lourdes responsabilités de la Cour de Cassation.

Me Georges Moïse, un ancien juge et ministre de l’intérieur et des collectivités territoriales, récemment démis de ses fonctions, est nommé vice-président du tribunal ; le poste de président étant resté vacant et pratiquement réservé au Président de la république, Me Boniface Alexandre, un ancien juge qui avait succédé à Jean-Bertrand Aristide, renversé le 29 février 2004.

Pour le moment, le bras de fer se poursuit entre l’Exécutif et les juges de la Cour de Cassation.

Le débrayage des juges est maintenu et toutes les activités sont suspendues depuis deux semaines dans tous les tribunaux. Les magistrats refusent de siéger. Ce qui provoque la grogne chez les avocats.

Les négociations se multiplient pour tenter de favoriser un retour à l’harmonie entre l’Exécutif et le Judiciaire, mais les magistrats grévistes semblent déterminer à maintenir leur position.

Entre-temps, un nombre indéterminé de personnes appréhendées pour différents motifs attend de passer devant leurs juges naturels à une date incertaine. [rc jj apr 28/12/2005 19:00]