Bulletin d’évaluation du processus électoral et recommandations du CNO, émis le 27 décembre 2005
Soumis à AlterPresse le 28 décembre 2005
Au terme d’une observation de la phase préélectorale, à travers les dix (10) départements géographiques du pays, le Conseil National d’Observation des élections (CNO) entend exprimer son insatisfaction et ses préoccupations par rapport au mode de gestion du processus électoral par le CEP et les acteurs internationaux impliqués dans la préparation des élections.
En dépit de certains efforts de correction effectués par les instances concernées au niveau des étapes préparatoires du processus électoral, le CNO constate aujourd’hui encore des défaillances majeures susceptibles de mettre en cause de manière significative la crédibilité des élections. Au nombre de ces problèmes, nous notons particulièrement :
1. Un Problème d’autorité et de responsabilité
La conduite du processus électoral continue à être fortement entravée par un manque de cohésion et une mauvaise répartition des responsabilités au sein du CEP d’une part et des rapports mal définis entre le CEP et les acteurs internationaux engagés dans la gestion du processus électoral d’autre part. Cette situation a eu pour conséquence :
Une prise en charge non explicite mais de plus en plus directe des élections par l’international ;
une confusion permanente entre différents niveaux d’autorité et de responsabilité qui s’est traduite par des initiatives et des prises de position unilatérales, contradictoires et inappropriées ;
une interférence du pouvoir exécutif pour tenter de remettre le processus sur les rails.
2. Une Mauvaise planification des étapes du processus électoral
Tout au début du processus, en dépit des demandes réitérées du CNO, le CEP et les instances internationales concernées n’ont jamais pu adopter et rendre public un chronogramme d’activités conjointement élaboré et assumé.
Ceci a eu pour effet d’empêcher une évaluation périodique des différentes phases du processus électoral. Ainsi, les tâtonnements et les imprécisions qui en ont résultés ont abouti à (3) trois reports successifs de la date prévue pour des élections. Et le CEP envisage, aujourd’hui une fois de plus, un nouveau report de la date officielle du 08 janvier arrêtée pour les prochaines élections.
Cette situation est d’autant plus embarrassante que l’organisation des élections en cours bénéficie de ressources financières et d’une durée trois (3) fois supérieures par rapport aux processus antérieurs.
3. Une Incohérence et une absence de transparence dans la gestion financière et logistique du processus électoral
Tout en ayant la responsabilité principale dans l’organisation de ces élections, le CEP ne semble disposer d’aucune autorité réelle dans la définition des besoins et dans l’ordonnancement des dépenses. De plus, selon les informations fournies par le CEP, la gestion des fonds nationaux et étrangers affectés à ces élections se réalise selon la discrétion des acteurs internationaux. Jusqu’à date, il n’a été rendu public aucun rapport substantiel émanant des instances internationales chargées de gérer le financement des élections. Ce, en dépit d’une augmentation continue et significative du budget des élections qui est passé de quarante six (46) millions de dollars américains à environ soixante seize (76) millions de dollars américains.
4. Une Déficience de la campagne d’information et d’éducation civique des électeurs
La campagne d’éducation civique limitée, mise en place par le CEP avec l’appui international est loin de combler le déficit d’information et d’éducation des électeurs. A titre d’exemple, aujourd’hui un grand nombre de Cartes d’Identification Nationale s’entassent dans les centres de distribution soit par manque d’information sur l’emplacement des centres de distribution, soit par manque de motivation de beaucoup d’électeurs qui manifestent peu d’intérêt à faire le déplacement pour le retrait de leur carte. Une situation qui s’est d’ailleurs aggravée avec les conditions souvent indignes et désordonnées de la livraison des cartes et la confusion entretenue par certains responsables sur la possibilité ou non de voter avec le reçu d’inscription. A cela s’ajoute un manque d’information au niveau de la population sur le nombre de sénateurs pour lequel un électeur est appelé à voter dans chaque département.
5. Une montée inquiétante du climat d’insécurité à partir des zones dites de non droit.
L’amélioration observée, il y a quelques mois, dans la gestion du phénomène de l’insécurité et du kidnapping s’est largement estompée ces dernières semaines. Cette recrudescence du climat d’insécurité dont l’épicentre se trouve dans les zones dites de non droit constitue un défi non encore résolu pour la pleine transparence et le caractère démocratique du processus électoral. Ces zones, à l’intérieur desquelles plusieurs dizaines de milliers d’électeurs se sont inscrits, demeurent jusqu’ici inaccessibles aux autorités électorales, aux partis politiques, aux candidats, et aux observateurs. Elles continuent d’être sous le contrôle absolu de chefs de gangs armés, susceptibles d’imposer leur volonté aux électeurs et aux agents électoraux qui y sont affectés.
6. Une Distribution tardive désordonnée des Cartes d’Identification Nationales
Une répartition irrationnelle des électeurs dans les Centres de Vote
A (12) douze jours des élections, environ plus de 2/3 des cartes d’identification ne sont toujours pas distribuées. Il s’ensuit qu’une grande partie des électeurs inscrits risque d’ignorer la localisation de leur centre de vote ; les reçus d’inscription n’indiquent pas les centres et les bureaux de vote aux électeurs. Par ailleurs, un nombre important et encore indéterminé d’électeurs sont assignés à des centres de Vote extrêmement éloignés de leurs zones de résidence ou de leurs bureaux d’inscription et voire, dans certains cas, en dehors de leur circonscription électorale. Cette situation risque d’avoir pour effet un faible taux de participation de la population aux prochaines élections.
7. Une Mauvaise localisation de plusieurs Centres de Vote
Certains centres de Vote identifiés dans les listes préparées par les instances concernées ne sont pas confirmés sur le terrain ou sont simplement inexistants. Un grand nombre de Centres de Vote est mis en place sans le consentement des propriétaires des maisons ou des gérants de ces édifices appelés à les loger. D’autres sont beaucoup trop exigus par rapport au nombre de bureaux de vote envisagé.
8. Une Assignation non encore précisée des électeurs par Bureau de Vote et
une indisponibilité des listes électorales partielles.
D’une manière générale, les Cartes d’Identification Nationales distribuées aux électeurs comportent au verso une étiquette précisant leur Centre de Vote. Néanmoins, les electeurs ne reçoivent aucune indication concernant leur Bureau de Vote au sein de ce Centre. Cette procédure incomplète risque de favoriser le jour des élections une grande confusion au sein de certains centres qui seront appelés à accueillir des dizaines de Bureaux de Vote et plusieurs milliers d’électeurs. De plus, les listes électorales par Centre de Vote et par Bureau de Vote ne sont toujours pas prêtes.
9. Un Recrutement et une formation d’environ 36.000 membres de Bureaux de Vote encore largement inachevés.
A moins de (2) deux semaines des élections, la liste de plus de 36.000 membres à recruter et à former pour les Bureaux de Vote n’est toujours pas disponible. Cette anomalie risque de soulever des interrogations sur la transparence et le sérieux de cet aspect du processus.
10. Une aide aux partis politiques dans l’impasse
Après la sortie du décret électoral, l’absence de suivi sur des mécanismes appropriés et bien définis pour fournir l’aide promise par l’Etat aux partis politiques empêche jusqu’à date la concrétisation de cet appui. Ce qui ne favorise pas un équilibre dans le jeu démocratique
11. Une gestion déficiente de l’observation électorale et de la représentation des partis politiques au sein des Bureaux de Vote
La publication tardive par le CEP des mécanismes de l’observation électorale et la décision relative à l’obligation faite aux observateurs de fournir des photos pour les cartes d’accréditation risque de pénaliser plusieurs milliers de citoyens et de citoyennes disposé (es) à accomplir un devoir civique pour contribuer au développement de la démocratie dans notre pays. Les graves difficultés auxquelles sont confrontées la population vivant dans les communes éloignées à l’intérieur du pays pour obtenir une photo plus ou moins récente peut constituer un obstacle majeur à la participation citoyenne.
Par ailleurs, la représentation des partis politiques par leurs mandataires au sein des Bureaux de Vote n’a pas été jusqu’ici abordé par le CEP.
Conclusions et recommandations du CNO
Face à la gravité de ces nombreux problèmes qui risquent de mettre en question la légitimité des élections, le CNO exprime de sérieuses préoccupations quant à la capacité du CEP et des acteurs internationaux impliqués dans la gestion du processus à organiser des élections crédibles à la date prévue du 8 janvier 2006.
En conséquence, le CNO recommande au CEP de prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de corriger ces graves problèmes observés dans la gestion du processus électoral avant la tenue du scrutin.
Le CNO demande en particulier :
1. Que Toutes les Cartes d’Identification des électeurs soient distribuées au moins (2) deux semaines avant les élections
2. Que la Carte d’Identification Nationale soit considérée comme l’unique document exigible pour le Vote
3. Que les listes électorales par Centre de Vote et par Bureau de Vote soient disponibles pour les partis politiques au moins (1) une semaine avant les élections
4. Que la liste des 36.000 membres des Bureaux de Vote soit rendue public une semaine avant les élections.
5. Qu’une évaluation appropriée, sur la base d’une meilleure répartition des électeurs en fonction de leur lieu d’inscription et leur zone de résidence permette de re-localiser certains centres de Vote ou Bureaux de Vote et d’en augmenter leur nombre le cas échéant
6. Q’une campagne intensive d’information et d’éducation des électeurs soit lancée rapidement ; notamment en ce qui concerne la distribution des Cartes d’Identification nationale et le vote de trois (3) sénateurs par département.
7. Que des organisations déployant des observateurs nationaux ou des mandataires de partis politiques obtiennent leur carte d’accréditation deux semaines avant les élections.
8. Que la fonctionnalité des BED et des BEC soit assurée véritablement en valorisant davantage leur responsabilité dans le processus électoral et en leur dotant du matériel nécessaire à leur travail.
Pour le CNO :
Léopold BERLANGER, Coordonnateur Général
Gerda BIEN-AIME, Coordonnatrice Générale Adjointe
Fritz PIERRE, Conseiller
Barthélemy AMBROISE, Trésorier
Lesly TIBERIS, Conseiller
Wismick CHARLES, Secrétaire Général
Kenson POLYNICE, Conseiller
Edouard METELLUS, Conseiller
Marcelin EMILE, Conseiller
Jean Baptiste Ancelot Venort, Directeur Exécutif