Notes de lecture
P-au-P., 27 déc. 05 [AlterPresse] --- Après « Discours et décision » paru en novembre 2004, Frédéric Gérald Chéry, docteur en économie, propose à ses lecteurs en septembre 2005, soit neuf mois après, « Société, économie et politique en Haïti. La crise permanente ».
Ce dernier ouvrage prolonge la réflexion entamée dans le précédent. Alors que l’auteur s’évertuait dans le premier à diagnostiquer la crise du savoir qu’affronte la société haïtienne et l’impasse de la décision, il donne surtout, dans le second, des outils théoriques permettant de bien comprendre la société haïtienne et de mesurer l’ampleur de la tâche à abattre pour renverser la vapeur.
D’emblée, Frédéric Gérald Chéry présente la société haïtienne comme une société paysanne axée sur une dichotomie élites / masses ou élites / paysans. Haïti est dépeinte comme l’exemple d’une société dans laquelle « les besoins des gens sont résolus au sein de la petite propriété familiale et ne sont pas présentés en tant que besoins collectifs dont la satisfaction dépend de la politique de l’Etat ».
L’auteur explique l’impasse du système politique par le fait que « l’élite n’a pas une approche collective pouvant aider à organiser la nouvelle société ».
Il dénote « une certaine féodalisation et balkanisation de la vie politique » qui résulte entre autres de l’absence d’une sphère étatique répondant à des problèmes collectifs, de l’inexistence de lien institutionnalisé entre l’Etat et les citoyens et du confinement de l’individu dans « le rôle de spectateur soumis déchargeant souvent ses requêtes à un notable ».
Tenant compte de son organisation basée sur l’agriculture et le partage inégalitaire du surplus agricole, Haïti présente, aux yeux de l’auteur, les caractéristiques d’une société stratifiée, contrôlée par une oligarchie. « Il n’existe pas dans le pays un ordre social accepté par tous, appuyé sur un compromis social qui légitime le partage de la richesse ».
Frederic Gérald Chéry relève dans la foulée l’inadéquation entre la prétention d’un tel système à adopter un dispositif de droit moderne - fondé sur la
notion de citoyen - et les relations économiques et politiques qui au fait ne favorisent pas la mobilité sociale, mais perpétuent de préférence le maintien des statuts, des différences et le classement des individus.
Analysant la formation des institutions et la genèse des sphères politique, économique et domestique en Haïti, l’auteur souligne l’insuffisance d’institutions aptes à aider les membres de la société à résoudre les besoins collectifs. Frederic Gérald Chéry lie entre autres cette carence - c’est-à -dire le recours à la sphère familiale pour résoudre ces besoins - aux origines esclavagistes de la société haïtienne.
L’auteur plaide pour la mise en œuvre de « projets devant favoriser une sortie des gens de l’économie familiale et la concrétisation de nouveaux droits économiques au profit de ces derniers ». Le défi posé à cette élite, renchérit-il, « n’est pas de monter de nombreux petits projets pour les masses, mais de prouver que ces projets contribuent effectivement à la mobilité et à la promotion sociales de tous et à une nouvelle organisation économique et politique de la société ».
Frederic Gérald Chéry épingle le droit moderne qui est en Haïti « un habillage juridique de la réalité qui cadre mal avec les interactions des individus dans la société ». Il préconise une refondation du droit à partir des pratiques des gens. Une refondation qui passe, à son avis, par « l’engagement des citoyens dans les sphères économique et politique » à travers « la pratique de la discussion autour des conflits qui en émanent et qui les divisent ».
Planchant sur la question de l’illégitimité du politique à travers l’histoire d’Haïti, l’auteur déplore l’absence d’une sphère politique ouverte en Haïti. Un tel vide tendrait à « engendrer un pouvoir absolutiste instable qui dévie en tyrannie ».
Frederic Gérald Chéry pointe sur cette lancée la société des notables gravitant traditionnellement autour du pouvoir politique. « Qu’elles soient noires ou mulâtres, ces couches sociales liées à l’administration, au commerce et à la terre appuient et souhaitent un Etat faible. Elles assument la demande sociale ; elles réaffirment le primat des liens de nature féodale sur les liens politiques, et, bien sûr, la peur du débat public sur les besoins collectifs ». Aux yeux de l’auteur, tout investissement de l’Etat dans une sphère de la vie collective est une remise en question de ce pouvoir social.
L’économiste analyse ensuite le faible développement des relations marchandes découlant de la vision d’une société accordant un rôle réduit à l’autorité politique et la répression par la société des pratiques économiques et politiques des individus.
Frederic Gérald Chéry met également l’emphase sur la difficulté à réformer l’administration. « La réforme de l’administration publique est manifestement impossible à se concrétiser, si les relations liant l’Etat et la société civile ne sont pas redéfinies en Haïti - au travers d’un débat public dévoilant les conflits latents de la société ».
L’auteur explique l’impasse politique par l’impuissance de l’Etat à constituer une administration qui institue, par la loi et grâce au débat public, les nouveaux besoins et les nouvelles sphères de la vie sociale.
L’économiste estime par ailleurs que la constitution ne suffit pas à garantir la marche démocratique des institutions. Il faut, à son avis, « une référence plus élevée qui lui sert de cadre et qui oriente l’action de l’Etat. L’auteur fait ici allusion à « la réponse qui est donnée aux conflits de la société par les citoyens, à travers la formulation d’une politique portée sur l’intérêt général ». « La société qui ne définit pas ce qu’elle doit être, sur la base d’une volonté générale, laisse cette initiative à son chef suprême », soutient Chéry.
L’auteur conclut à l’impasse de la démocratie en Haïti, et en particulier du vote démocratique. « L’institution de la société haïtienne et de l’Etat sur la division élite / paysan, condamne le pays à ne jamais avaliser des relations politiques axées sur des bases démocratiques », martèle Frederic Gérald Chéry.
L’auteur montre que, depuis la fixation de la population (par ces élites) dans des états (paysans et élites) au début du dix-neuvième siècle, « les deux faces (répressive et libérale) d’une même approche des gens alternent en Haïti ». Cette partition de la société en statuts a entraîné, affirme-t-il, « une situation d’indécision dans la sphère étatique », voire « un blocage du système politique et de la politique économique » en Haïti ». [vs apr 27/12/05 9:05]