"Les événements survenus à l’HUEH de 1999 à nos jours ne sont ni le fruit du hasard ni des actes isolés. Ils témoignent de la dégradation de l’environnement socio-politique du pays. La crise morale et la crise politique qu’elle a engendré ont conduit à de nombreux cas de violation des droits humains (...)"
Rapport d’enquete de la Plate-forme des Organisations Haitiennes de Droits Humains(POHDH) et de la Coalition Nationale pour les Droits des Haitiens(NCHR)
février 2003
INTRODUCTION
La santé, condition essentielle au bien-être de la population, est loin d’être un objectif prioritaire de développement pour les pouvoirs publics en Haïti. Le secteur public ne compte que 30% des établissements de santé (voir, PNUD, Rapport National sur le Développement Humain en Haïti, 2002, p. 54). Haïti est classée au 146e rang sur 173 pays dans la rubrique « engagements en faveur de la santé : accès, services et ressources » du rapport mondial sur le développement humain du PNUD pour l’année 2002 tandis que la République Dominicaine voisine est classée au 94e rang. Haïti se caractérise en effet par une faible couverture sanitaire, il en résulte donc un accès restreint et une qualité inadéquate des services et des soins de santé. La distribution géographique des centres de santé et des ressources humaines et matérielles correspondantes est au centre de toutes les préoccupations, une situation qui favorise les villes au détriment des zones rurales.
L’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti est le plus grand, si ce n ’est le seul « vrai » centre hospitalier public du pays. Depuis les quatre dernières années, il fait l’objet de troubles récurrents entravant son bon fonctionnement au grand désarroi des patients les plus pauvres, incapables de se payer les services des centres de santé privés, encore moins un avion - ambulance pour aller se faire soigner à l’étranger.
Qu’en est-il exactement ? La Plate Forme des Organisations Haïtiennes de Droits Humains (POHDH) et la Coalition Nationale pour les Droits des Haïtiens (NCHR) ont entrepris conjointement une enquête sur la situation qui prévaut à l’HUEH du 7 au 13 février 2003. Les maintes démarches entreprises pour rencontrer les dirigeants de l’HUEH ont été vaines. Le directeur médical selon ses propos, n’était pas disposé à nous rencontrer. Toutefois, les informations recueillies aideront à éclairer les uns et les autres sur la situation de l’HUEH à travers le présent rapport. Pour mieux comprendre le problème de l’HUEH il faudra remonter dans le temps, l’histoire récente de ce centre hospitalier commande de commencer notre enquête à partir de 1999.
I- SITUATION DE L’HUEH AVANT LE 10 JANVIER 2003
• Année 1999 : Un mouvement de grève des médecins et infirmières a secoué l’HUEH. Il était motivé par des réclamations salariales et de meilleures conditions de travail. Ce mouvement a eu lieu à un moment où une crise institutionnelle saccageait presque toutes les institutions publiques du pays. Des négociations entreprises par le pouvoir ont abouti seulement à une levée de la grève. Les revendications sont demeurées insatisfaites.
• Année 2000 : Le 27 février 2000 a vu la disparition dans des conditions mystérieuses du bébé de Nanoune MYRTHIL. Ceci a mis à nu les faiblesses administratives et structurelles de l’HUEH. L’infirmière Yanick AUGUSTIN est arrêtée. La crise rebondit. Le syndicat du personnel infirmier (SPI) entre en grève. Les malades sont abandonnés à eux-mêmes. Des cas de personnes mortes par manque de soins ont été enregistrés. Près d’un mois plus tard, soit le 21 mars 2000, dans un document rendu public, le SPI présente les conditions de reprise de travail :
Meilleures conditions de travail
Création d’un environnement sécuritaire
Etc.
• En mai et juin 2002, des résidents et internes de l’HUEH, du SANATORIUM et de la MATERNITE ISAà E JEANTY ont observé pendant trente trois (33) jours, un arrêt de travail pour protester contre :
L’ingérence du MSPP dans les affaires de l’Université d’Etat d’Haïti pour avoir transféré arbitrairement, Dr Evelyne Moïse la directrice du 3e cycle de formation et de recherche, entité créée par l’Université d’Etat d’Haïti (UEH) et placée sous sa tutelle.
Le mauvais fonctionnement du système de santé de l’HUEH dont l’échec est constaté dans ses trois principales fonctions :
a) Services en soin de santé
b) Formation
c) Recherche
Des actes d’agression et des menaces ont été proférés à l’endroit des résidents et internes actifs au comité. Encore une fois les malades et patients ont payé les frais et une nouvelle solution cosmétique a été trouvée. Un protocole d’accord a été ratifié par les différents groupes à savoir :
1) Comité des résidents et internes.
2) Rectorat de l’UEH et le décanat de la Faculté de Médecine et de Pharmarcie .
3) La commission santé du Sénat de la République.
4) Le Ministère de la Santé Publique
• 20 Novembre 2002 : vers les 9h AM , le nommé Fanfan POMPILUS blessé par balles la veille est abattu froidement sur son lit à la salle d’urgence de l’HUEH par un inconnu armé sous les yeux des médecins, infirmières et patients. Il est reparti sans être inquiété, provoquant ainsi un vent de panique et de la peur chez les médecins.
Une assemblée générale des résidents et internes a conclu à un nouvel arrêt de travail et la formulation de nouvelles revendications qui n’ont pas été satisfaites.
II- LA SITUATION A PARTIR DU 10 JANVIER 2003
• 10 Janvier 2003 : Une manifestation est organisée à Port-au-Prince à l’initiative des syndicats de transports publics. Celle-ci est supportée par plusieurs autres secteurs de la société et des partis politiques de l’opposition. Elle visait à dénoncer l’augmentation des prix des produits pétroliers et à réclamer le retour des anciens prix à la pompe.
Des personnes se réclamant du pouvoir ont organisé une contre manifestation. Il en résulte un affrontement qui s’est soldé par une dizaine de blessés surtout dans le camp des contre-manifestants. Par la suite, un groupe d’environ 200 personnes armées de fouet et d’armes à feu ont investi les locaux de l’HUEH. Ils ont ouvert le feu et des rafales d’armes ont été entendues dans presque tous les couloirs de l’HUEH, particulièrement près de la chirurgie et du service d’urgence.
Pris de panique, les patients ont du arracher leur perfusion, laisser leur lit pour se réfugier dans les toilettes. Les médecins et infirmières paniqués sont obligés d’enlever leurs blouses voir chemises et se sont fait passer pour des malades afin de sauver leur peau. Certains médecins et patients ont eu des poussées hypotensives et de la diarrhée. Dans la foulée :
un médecin cubain et un agent de sécurité auraient été tabassés. Des injures, des propos orduriers et désobligeants ont été lancés à l’endroit des médecins et infirmières. On les accuse d’être des membres de l’opposition.
De plus un hélicoptère ayant à son bord des individus des forces spécialisées de la PNH, vêtus de noirs, tournoyait pendant environ 2 heures d’horloge sur les toits des services de radiologie, médecine interne et laboratoire. Une conférence de presse a été donnée au local même des urgences par le chef de file des assaillants, M. René Civil, leader de JPP.
• 13 janvier 2003 : Les étudiants ont organisé une manifestation pour dénoncer la mort d’Erick PIERRE, étudiant en troisième année de la Faculté de Médecine et de Pharmacie (FMP). HAà TI OBSERVATEUR a pris des photos de la manifestation. Les leaders du mouvement ont eu leurs photos en première page de cet hebdomadaire et des individus à la solde du pouvoir en ont profité pour intimider les étudiants dont les photos ont été remarquées.
• 20 janvier 2003 : Le jour des funérailles d’Eric PIERRE à la Faculté de Médecine et de Pharmacie, deux (2) hommes armés ont intercepté sur sa route le Dr Dupiche FRANCISQUE et lui ont demandé de leur remettre le dossier de Antoine CELANGE. Ils lui ont lancé un ultimatum expirant le même jour à 4h P.M. pour avoir le dossier, faute de quoi il serait tué ainsi que ses collègues Dorelas, Richard et Desrosiers. Ces hommes armés ont reproché au Dr FRANCISQUE le fait d’avoir voulu transmettre à l’avocat du Colonel Himler Rébu le dossier de Antoine CELANGE. Signalons que ce patient selon l’avocat du Colonel Rébu sur les ondes des stations de radio de la Capitale, a été soigné à l’HUEH le 10 janvier vers 8h a.m et avait par la suite déclaré à la Télévision d’Etat avoir été blessé par balles vers midi et avait vu Himler REBU tirer sur lui. Suite à cette plainte et de bien d’autres du même genre, un mandat d’amener a été émis contre M. REBU par le parquet de Port-au-Prince. Au moment de rédiger ce rapport trois (3) des résidents susmentionnés ont pris refuge à l’étranger et deux (2) sont dans le maquis.
• 10 février 2003 : Le Dr Alphonse LOUIS a été attaqué près de la Place Saint Pierre à Pétion-Ville par des individus qui lui ont reproché d’avoir contresigné une note avec le SPI. Il a été sévèrement battu et a dû être hospitalisé.
III- LES REVENDICATIONS
Les revendications sont pratiquement les mêmes depuis 1999. Elles gravitent autour de meilleures conditions de travail pour les médecins et infirmières, ainsi qu’une saine gestion de l’HUEH en vue d’une distribution normale des soins de santé à la population
A- Les revendications : mai - juin 2002
1. Retrait de la décision du Ministère de la Santé Publique de transférer le Dr Evelyne Moïse, responsable du 3e cycle de formation et de recherche, entité créée par le rectorat de l’UEH.
2. Amélioration de la gestion de l’HUEH dans ses trois principales fonctions :
a) Service en soin de santé
b) Formation
c) Recherche
B- Les revendications de janvier 2003
1. Patrouilles policières en différents points à l’intérieur de l’HUEH ;
2. Fermeture de l’Eglise à l’origine de grands rassemblements ;
3. Port d’uniforme spécifique à chaque catégorie du personnel ;
4. Badge pour tout le personnel ;
5. Carte de visite par service et par numéro de lit ;
6. Changement du portail.
C- Revendications actuelles du SPI.
1. Déposition formelle auprès du Parquet de Port-au-Prince, d’une plainte suite au brigandage du 10 janvier 2003 ;
2. Des sanctions officielles convenables à l’encontre des auteurs des actes du 10 janvier 2003 ;
3. Mise en garde publique des dirigeants du pays contre tous ceux et toutes celles qui veulent continuer leur forfait ;
IV- REPONSES DES AUTORITES
A- En ce qui a trait aux revendications de Mai – Juin 2002, un protocole d’accord a été signé. Le gouvernement a fait le retrait de la nomination qui a été faite arbitrairement à la tête du 3e cycle de formation et de recherche mais les autres engagements relatifs aux conditions de travail, pris par les autorités n’ont pas été respectés.
B- En ce qui concerne les revendications de janvier 2003, seules les patrouilles policières et la barrière à remplacer ont été respectées. Celles relatives à la sécurité et les conditions de travail sont restées lettres mortes.
C- Le Vendredi 7 février 2003, Les autorités concernées ont rencontré les différentes entités de l’HUEH à l’exception du SPI et des résidents qui se sont mis à couvert. Au lieu de répondre aux revendications de ces dernières, elles préfèrent choisir la voie de l’arbitraire en menaçant de prendre des sanctions administratives contre les maquisards sans même annoncer la création de conditions favorables à leur retour en fonction.
COMMENTAIRES
Les événements survenus à l’HUEH de 1999 à nos jours ne sont ni le fruit du hasard ni des actes isolés. Ils témoignent de la dégradation de l’environnement socio-politique du pays. La crise morale et la crise politique qu’elle a engendré ont conduit à de nombreux cas de violation des droits humains qu’il convient de signaler :
1. Violation du droit à la santé des malades
Le droit à la santé des malades a été violé tant par les autorités sanitaires que par les médecins de service, les résidents, les internes et les infirmières.
La situation qui prévaut à l’HUEH est aussi le résultat d’une trop grande polarisation de la situation politique du pays. Tout est politisé ou presque. Du moins tout est vu sous un angle politique. Le médecin qui refuse de modifier, à des fins politiques, les motifs d’admission d’un malade est immédiatement considéré comme un membre de l’opposition. La question d’éthique est reléguée à l’arrière-plan. Celui qui se réclame du pouvoir peut tout se permettre, l’action publique ne sera jamais mise en mouvement contre lui. Après tout, les commissaires du gouvernement ne sont-ils pas des représentants de l’exécutif au sein du pouvoir judiciaire ?
Il saute aux yeux que les médecins, les infirmières bref le personnel de santé de l’HUEH sont dans l’impossibilité matérielle de travailler. Ils sont dans le collimateur des civils armés. Des mesures urgentes s’imposent en vue d’assurer un environnement sécurisant propice à un travail de qualité. Ils faut dépolitiser la gestion de l’hôpital, restaurer la confiance, laver l’affront auquel les cadres de ce centre hospitalier ont été soumis le 10 janvier et les jours suivants par la prise de sanctions pénales exemplaires contre les auteurs et complices des actes de brigandage autour du 10 janvier 2003.
a) Les autorités sanitaires
Ces dernières pour n’avoir pas répondu aux revendications justes et fondées des médecins et infirmières en 1999, 2000, 2002 et 2003 et qui, au contraire tentent de résoudre le problème par l’arbitraire et de supporter les bandits armés pour des motifs politiques.
b) Les médecins de service
Ceux –ci sont payés par l’Etat haïtien mais sont toujours absents de leur poste laissant ainsi toutes les responsabilités aux résidents et internes. Ils sont d’éternels grévistes et se soucient peu ou très peu des soins à prodiguer aux malades de ce centre hospitalier.
c) Les résidents, internes et infirmières
Dans une moindre mesure, ces derniers sont aussi responsables . En effet, ils n’ont pas su respecter le principe du minimum de service à procurer dans la réalisation d’une grève. Toutefois, ils soutiennent n’être pas en grève mais attendent des conditions favorables de sécurité pour travailler.
2. Droit à la sécurité
Trois (3) résidents durent prendre le chemin de l’exil, plusieurs autres se sont mis à couvert pour cause de menaces de mort, d’agression physiques et verbales dont ils font l’objet de la part des militants de base proches du pouvoir en place.
• Un médecin cubain et un agent de sécurité auraient été tabassés lors des événements du 10 janvier 2003.
• Le Dr Dupiche FRANCISQUE a été agressé le 20 janvier 2003.
• Le Dr Alphonse LOUIS a été sévèrement battu le 10 février 2003 pour avoir signé une note conjointe avec le SPI.
3. Droit à la liberté syndicale
Les menaces de révocation contre les infirmières du SPI et les pressions exercées sur les résidents constituent de sérieux accrocs à l’exercice du droit à la liberté syndicale. Le dialogue est souvent remplacé par le mépris, la force brutale et les abus de droit.
4. L’inviolabilité d’un bâtiment de santé
L’inviolabilité des espaces réservés aux hôpitaux et autres centres de santé est un principe consacré par les conventions de Genève sur le droit humanitaire ou le droit de la guerre. Ce principe est universellement admis et est respecté même en temps de guerre. Il est inconcevable qu’une bande armée conduite par René Civil puisse pénétrer impunément dans l’enceinte de l’HUEH le 10 janvier 2003 en y faisant régner la terreur pendant près de deux (2) heures d’horloge.
CONCLUSION ET RECOMMENDATIONS
La situation de l’Hôpital de l’Université d’Etat d’Haïti (HUEH) est, au demeurant, préoccupante. Jadis considéré comme étant le temple du savoir dans le domaine médical, l’HUEH se trouve aujourd’hui à un niveau critique qui interpelle la conscience de tout citoyen avisé. Ce centre hospitalier, au-delà des clivages idéologiques et politiques doit être mis en condition – par une gestion responsable, saine et rationnelle – de répondre à sa vocation. Pour ce, la POHDH et la NCHR recommandent :
1- Au Commissaire du Gouvernement près le Tribunal de Première Instance de Port-au-Prince, Me Josué PIERRE LOUIS, de mettre l’action publique en mouvement contre René Civil et consorts pour que les auteurs et complices des actes du 10 janvier 2003, des menaces et agressions perpétrées contre les docteurs Dupiche FRANCISQUE, Alphonse LOUIS, Faviel DORILAS, Richard, Dérosiers, et Saint Albin soient recherchés, poursuivis, jugés et condamnés conformément à la loi.
2- Au pouvoir de prendre toutes les dispositions tendant à créer un environnement sécurisant, propice au travail et à faciliter la reprise des activités des résidents qui sont dans le maquis ou à l’étranger pour qu’ils puissent terminer sans crainte leur cycle de formation
3- Au Ministère de la Santé Publique et de la Population (MSPP) de reprendre la dialogue avec toutes les entités de l’HUEH sans exclusive.
4- Au MSPP de respecter les engagements pris en juin 2002 conformément au protocole d’accord intervenu entre les parties.
5- Aux médecins de service, résidents et infirmières de respecter leur contrat de service avec l’Etat et leurs engagements vis-à -vis des malades. Qu’ils se souviennent que même en temps de grève ou d’arrêt de travail un service minimum de soin de santé doit être assuré, et que la santé des malades doit être placée au-dessus de tout.
6- Aux partis politiques ou autres groupes de pression d’éviter à tout prix d’impliquer l’HUEH dans le débat politique, de respecter sa neutralité et son autonomie.
Fevrier 2003