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Haiti - Élections : Sondage, vous avez dit Sondage ?

Débat

Par Marie Laurence Lassègue [1]

Soumis à AlterPresse le 17 décembre 2005

La publication du sondage CID Gallup / Ambassade des Etats-Unis, effectué au début novembre 2005 dans la zone métropolitaine, les principales villes secondaires et dans le reste du pays, portant sur un échantillon de 1200 personnes, dont 400 à Port-au-Prince, a suscité de nombreuses réactions et commentaires dans la classe politique et dans la Société civile. Nous avons souhaité analyser ce sondage et partager les quelques réflexions suivantes.

Un candidat à la présidence en 2006 est crédité de près du 1/3 des intentions de vote (32%). Ce score le place en position de favori dans la course. Cependant les mêmes chiffres signifient que les 2/3 des sondés ne souhaiteraient point voter pour lui. Ce candidat est arithmétiquement minoritaire, mais politiquement, il fait figure de gagnant potentiel. En effet, avec 1/3 des votes potentiels, il est quasiment certain d’aller au second tour et quand on sait, et la psychologie des foules le démontre bien, que souvent les électeurs/trices, de tous les continents, aiment voler au secours de la victoire... les autres prétendant-es au fauteuil présidentiel auraient donc du souci à se faire. De toute façon, il serait plus facile au candidat favori de passer de 32 à 50% + 1 qu’à son vis a vis de remonter de 4 - 5% à 50% + 1. En effet, la notion de report des voix entre les deux tours des élections, est tellement complexe sur le plan socio- politique qu’on ne peut jamais être certain que des consignes claires de vote en faveur d’un ancien compétiteur puissent être correctement suivies........

Cependant, il n’y a pas lieu de croire à la "véracité" de ce sondage. Pour plusieurs raisons. Voyons, d’abord, les raisons techniques et quelques biais statistiques.

1- L’échantillon parait assez faible (1200) pour permettre de faire des projections, donc des prédictions fiables dans notre pays. En Europe et en France en particulier, les grands Instituts de sondage (SOFRES, IPSOS...), avec pourtant un long passé dans ce secteur, rappellent souvent qu’il faut, en période électorale, interroger au moins 5000 électeurs/trices potentiels de façon à obtenir une marge d’erreur faible (_+2 a 3%) et surtout pour disposer d’une bonne stratification de l’échantillon et sur le plan spatial et sur le plan de la distribution selon les catégories socioprofessionnelles.

2- Les sondeurs eux-mêmes reconnaissent ne pas avoir "sondé" dans les quartiers difficiles, de Port-au-Prince, du Cap ou des Gonaives.......Or, il s’agit là de bassin potentiel d’électeurs. Cette non-inclusion de ces groupes sociaux importants, sans pondération des résultats, risque de fausser totalement la prédiction.

3- L’Institut de sondage, CID Gallup n’est pas de notoriété publique en HAITI. Aussi, il n’est nullement évident que l’échantillon ait pu être validé à partir d’ études- pilote ou d’autres travaux antérieurs.

4- Les Instituts de sondage, de par le monde, surtout en matière politique, pratiquent des redressements et des pondérations des chiffres bruts "trouvés" à partir des résultats d’études antérieures ou à partir des comportements historiques des catégories socioéconomiques. Les Instituts de sondage en Occident, peuvent se tromper sur l’évaluation des phénomènes sociétaux récents (le phénomène islamique...), parce que ne disposant pas de séries statistiques suffisamment longues et fiables pour "redresser" leurs données brutes. Mais ils peuvent, dans certains cas précis, produire une projection qui se révélera juste à des décimales près.

5- Même dans les grandes métropoles des pays du Nord, les sondés répondent rarement directement sur les questions relatives à leur choix électoral arrêté, sauf s’il s’agit de sympathisants ostentatoires, de militants politiques déclarés ou si le sondage se déroule dans un fief électoral politiquement répertorié (ville- usine, cite dortoir, banlieue communautariste....). Cependant, dans le concept de ces études, les questions indirectes, les questions fermées, les recoupements idéologiques, l’expression des choix de société, les questions portant sur les choix économiques sensibles, les expressions d’orientations religieuses........permettent nettement de réaliser un profil de l’électeur potentiel qu’il soit de gauche, de centre droit ou franchement de droite. En France, par exemple, la question du financement par l’Etat de l’Ecole privée.....permet de tracer des lignes de ruptures entre les parties de droite, du centre et de gauche. De même, à l’intérieur, par exemple de la gauche française, les questions de politique étrangère, du mode de gestion des entreprises nationales, de la question des licenciements économiques, de la délocalisation des entreprises ou des investissements à l’étranger....permettent de répartir avec une relative précision, les votes de gauche entre les grands Partis de gauche.......En HAITI, par contre, les questions idéologiques fondamentales ou même les approches macro-économiques ne permettent point de distinguer et encore moins de prévoir les penchants de l’électeur potentiel.......L’histoire haïtienne récente est riche en métamorphoses idéologiques.....et en instabilité des choix sociopolitiques......

6- Une intention de vote ne signifie nullement que cet électeur précis ira jeter son vote. Pis, rien ne dit que son intention soit définitivement arrêtée et qu’il ne changera pas d’opinion. Malheureusement, il n’existe pas d’historique de sondage d’opinion en Haïti, pour permettre à un Institut, avec un risque acceptable d’erreur, de transformer des intentions de vote exprimées en probabilités de votes arrêtées.

7- De façon plus terre à terre, il ne parait pas évident que nos sondés haïtiens puissent répondre avec sincérité et enthousiasme à des questions portant sur les choix enfouis dans leur coeur. Le marronnage n’est pas encore interdit par la Constitution ! Comme la campagne électorale venait à peine de démarrer, le sondé pouvait, à bon droit, estimer que la question du choix d’un candidat à la présidence n’était pas, suffisamment d’actualité, donc n’était pas une question mûrement pensée, pour répondre avec assurance. Aussi, l’opinion exprimée quand même va souffrir de cette indécision.... Par contre, en ce début de novembre, une question sur le sort des Haïtiens en République Dominicaine ou sur l’impact du GSM Voila de Comcel, sur la clarté des communications « cellulaires ».....auraient été d’actualité, et auraient suscité des réponses statistiquement plus appropriées. Somme toute, un sondage du début novembre n’est qu’un instantané de l’état de l’opinion au début novembre, cela ne préjuge en rien, de ce qu’il sera quatre semaines plus tard lors de la révélation médiatique des résultats ..................

8- Le pourcentage de 21% « retrouvé » pour un autre candidat, est trop important pour être signifiant et crédible. Le doute a toujours plané sur la participation effective de ce prétendant aux joutes électorales. Il n’a aucun passé politique sur la scène nationale et est un inconnu pour la très grande majorité des Haïtiens en âge de voter. Il n’avait pas encore présenté des choix politiques clairs qui auraient pu faire exploser a bon droit sa popularité........En dehors de quelques conférences de presse et des publicités radiophoniques...rien d’autre ne le prédisposerait à de telles hauteurs statistiques. Les 21% de ce candidat laisse planer le plus puissant doute sur le résultat global de ce sondage !

9- Un autre candidat à la magistrature suprême qui a pu en un temps record, rassembler plus de 120 000 signatures de sympathisants, donc des intentions de votes fermes et arrêtées en sa faveur......s’est vu gratifier d’un score de 2%. Or 120 000 signatures début octobre 2005, alors que le niveau d’inscription pour l’obtention de la carte électorale, était encore problématique, permettaient d’augurer d’un pourcentage d’intention de vote à des distances conséquentes du chiffre rapporté. Il y a clairement un doute statistiquement significatif à ce niveau.

Le sondage CID Gallup jetterait, en ce sens, une lumière crue sur une des conséquences prévisibles de l’émiettement des forces opposées à l’ancien régime. Pour contrer le candidat favori du haut de ses 32% d’intensions de votes, il aurait fallu un regroupement de la majorité des autres prétendants avec le choix d’un candidat « unique »........mais comment avoir un candidat unique parmi tous ces candidats à la candidature quand ils ont quasiment tous le même niveau de faveur (4 à 5%) auprès de la population ! Serait-il possible que des biais techniques viennent objectivement à la rescousse de choix politiques stratégiquement inavoués ?


[1Ancienne membre du Conseil électoral Provisoire
Ancienne ministre de l’information