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Reportage-photo : Maguie Metellus, la passionaria de la culture haïtienne à Montréal

Par Nancy Roc

Soumis à AlterPresse le 16 décembre 2005

Le Commandement, « Aime ton prochain comme toi-même » , pourrait être sa devise...à part, qu’elle a très peu de temps pour elle. Alors, elle sème les semences de ses valeurs et de la culture haïtienne dont elle est héritière, à tous vents et en tous temps. àŠtre au service des autres et de la communauté haïtienne à Montréal est le but qu’elle s’est fixée. Son dévouement et son engagement sociocommunautaires lui ont valu d’être sélectionnée parmi les Lauréates/ Lauréats du Calendrier 2005 du Mois de l’Histoire des Noirs à Montréal. Portrait et entretien avec la passionaria de la culture haïtienne à Montréal.

Sans le vouloir, nous sommes une large majorité à aimer notre prochain comme nous même, c’est à dire si mal... Ne demandez pas à Maguie Metellus de vous parler d’elle, « je ne saurais le faire moi-même » vous répondra-t-elle. Issue d’une famille de Léogâne, elle passe ses sept premières années en famille à Carrefour Feuilles. Elle rejoint ensuite ses parents, enseignants, à Brooklyn avant de suivre toute la famille qui s’installe définitivement au Québec en 1965. Depuis, Maguie Metellus n’est jamais retournée en Haïti. Dieu merci pour elle, et tant pis pour nous.

En effet, difficile d’imaginer cette femme pleine de dynamisme prendre son envol dans un Carrefour Feuilles résonnant de violence et d’injustice sociale. Elle s’avoue ‘’caponne’’ et, même si elle est née sous le signe du Lion, souhaite se battre contre l’injustice fermement mais en douceur. La Québécoise en elle, n’aime pas le bruit. Mais l’Haïtienne en elle, agit.

Maguie Metellus est une personnalité hybride issue d’une Haïti qui l’aurait sans doute étouffée et d’un Québec où elle s’est parfaitement intégrée. Mais Haïti lui colle à la peau et au cœur : elle est désordonnée mais délivre toujours dans ses performances culturelles très prisées à Montréal. Elle aurait pu être intrinsèquement méfiante et égoïste comme beaucoup de nos compatriotes mais le Québec lui a montré la nécessité d’appliquer la devise de José Marti, sa préférée : « La solidarité est la tendresse des peuples ». Alors, Maguie Metellus donne sans compter et est devenue, au fil des années, la passionaria de la culture haïtienne à Montréal.

Magguie Metellus, novembre 2004

Elle occupe le poste d’adjointe administrative en communications au Centre Eurêka, un service d’aide en recherche d’emploi pour les 40 ans et plus, dont elle est devenue l’âme. Parmi ses réalisations les plus significatives on peut citer son engagement avec le MRAP-Québec (Mouvement contre le racisme et l’antisémitisme et pour la paix) dont elle est la présidente auprès de l’Onyx, un groupe de détenus du Centre fédéral de formation. à€ ce titre, elle a participé activement aux événements organisés par le Collectif Echec à la guerre l’an dernier, dans le mouvement de contestation contre la guerre en Irak.

Connue aussi sous le nom de Maguy M, animatrice, où MagLuv, chroniqueuse culturelle, Maguie Metellus assure la direction artistique et l’animation des soirées Dimanches Afrocentrik, activité qui offre une plate forme aux artistes et aux jeunes de la communauté.

Animatrice très recherchée et multilingue, elle gère aussi, bénévolement, une chronique culturelle hebdomadaire d’informations, un outil unique dans sa forme qui s’étend à près de 2000 personnes sur la toile web. Cette chronique permet aux différentes communautés de se tenir au courant des activités et manifestations de tous genres.
Issue d’un pays où les valeurs ont éclaté, elle se fait le devoir de partager celles léguées par ses parents enseignants et son héritage culturel à travers ses multiples activités et notamment à la radio. Diseuse et lectrice, Maguy Métellus est membre du collectif Les Dimanches Littéraires de Montréal, avec lequel elle a participé à de nombreux spectacles. La mission de cette association est la diffusion de la culture haïtienne sous toutes ses formes : littérature, chanson, danse, musique, peinture, etc. Depuis novembre 2004, on peut l’entendre sur les ondes du 1610 AM, CPAM- Radio Union.com (www.cpam-radiounion.com), où elle présente son agenda culturel à l’émission Champ libre le dimanche matin.

Ouf ! C’est tout ? Me demanderez-vous... Non, le reste appartient à l’intéressée que nous avons interviewée à l’occasion de la dernière soirée de l’année des Dimanches d’Afrocentrik. Cette soirée qui a connu un grand succès, a rassemblé une panoplie d’artistes et d’écrivains sous le thème : La Passion amoureuse et militante. Les invités étaient les suivants : l’écrivain et poète Haïtien Patrick Sylvain, Bernadette Charles, poète/diseuse d’origine west-indienne, la troupe Belkadans, formée de jeunes étudiants de Martinique et de Guadeloupe, Yves Valbrun, alias Steeve K, chanteur et ancien membre du groupe So Kute, Wesley Louissaint, guitariste Haïtien, Georges Rodriguez, l’Haïtien, Oswald Durand Jr à la flûte et à la guitare, le Congolais Mulumba Tshikuka, artiste-peintre, sans oublier une visite performance inoubliable et intime de Luck Mervil, accompagné de son frère, Pierre alias Coyotte.

Nous avons eu l’honneur d’y présenter Les Grands Dossiers de Metropolis et avons saisi cette opportunité pour interviewer Maguie Metellus dont nous suivons le parcours étonnant depuis notre arrivée à Montréal :

NRoc : Maguie Metellus, vous êtes réputée pour être au cœur- sinon le cœur- de la plupart des événements culturels haïtiens à Montréal. D’où vient votre passion pour la culture et l’organisation où l’animation de tels événements ?

M. Metellus : Sans conteste, ce sont mes parents qui m’ont insufflé cette passion. On pourrait dire que je suis tombée dedans toute petite ! Pendant les soupers de famille, mon père nous récitait des poèmes, nous contait des discours de sénateurs à la Chambre, toutes sortes de grands textes - il a une mémoire phénoménale ! Ma mère pour sa part a toujours aimé la musique et le chant. De plus, ils sont des danseurs spectaculaires ! Ils ont toujours vivement encouragé la lecture à la maison et, par bonheur, j’y ai pris goût. J’ai hérité, surtout de mon père, la passion de la langue - française et créole, parce qu’il n’aime pas tellement l’anglais. Pour ce qui est de l’organisation d’événements, depuis très longtemps, je suis au coeur de l’organisation de différents événements dans la famille. J’aime préparer les programmes, coordonner le déroulement de l’événement, etc. Mes fonctions d’adjointe administrative m’ont également amené à développer encore plus ce talent. C’est depuis environ cinq ans que j’ai l’occasion de porter ces habiletés à un autre niveau.

NRoc : L’événement ‘’Afrocentrik ‘’ est devenu un rendez-vous multiculturel important à Montréal. Comment est né ce projet et comment le mener plus loin ?

Ambiance avec Belkadans

M. Metellus : L’événement Les Dimanches Afrocentrik, dont la première a eu lieu le dimanche 3 août 2003, est une initiative de Caroline Thélémaque, de Diffusion Galax’Art et d’Yves Délima, propriétaire du Salon Daomé, lieu de l’activité. Ils m’ont d’abord invitée à me joindre à eux à titre d’animatrice. Mon rôle s’est très vite - tout de suite même - transformé en celui de directrice artistique et organisatrice de la partie spectacle de l’événement. Pendant un an et demi, Caroline Thélémaque a assuré le volet vernissage. Depuis quelques mois, c’est Adrienne Johnson qui s’en occcupe.

Le terme Afrocentrik, qui n’est pas notre création, est très couramment utilisé, en Amérique du Nord en tout cas, pour désigner ce qui a trait à la culture de ce qu’on appellerait la diaspora africaine. Il prend bien sûr les saveurs et teintes de celles ou ceux qui en font l’usage. Les Dimanches Afrocentrik se veulent un lieu de promotion et de diffusion des cultures afro-antillaises de Montréal, avec leurs composantes canadiennes et québécoises, francophones, créolophones, anglophones et latino-américaines. Nous voulons aussi encourager la solidarité entre les différentes communautés culturelles de la cité.

NRoc : Qu’est-ce que le dernier ‘’Afrocentrik’’ de l’année a signifié pour vous et quels sont vos plans pour le premier Afrocentrik de 2006 ?

MM : Au cours des trois dernières années, nous avons connu plusieurs grands moments aux Dimanches Afrocentrik. Certes, chacune des soirées comporte sa propre magie et est spéciale à sa façon. Ceci

Lecture des Grands Dossiers de Metropolis

étant dit, au nombre de ce que j’appelle nos « grands moments », on retiendra certainement, pour 2005, la soirée avec Franketienne, le 3 avril dernier, l’hommage à Martha Jean-Claude en novembre, et celle de décembre : Passion : l’amoureuse et la militante ! Plusieurs éléments ont contribué à faire de cette dernière l’un des moments forts de l’année : la grande variété des talents présents, la qualité incontestable de chacune des prestations, la présence de Patrick Sylvain, venu de Boston pour l’occasion, etc.. Mais par-dessus tout, pour moi et pour plusieurs autres personnes présentes, votre participation, Madame Roc, a ajouté.... Vous accueillir fut en soi un grand privilège. Et vous avez ajouté à notre bonheur en acceptant, pour la toute première fois me dites-vous, de lire vos poèmes en public. Je me suis laissé dire que nous avions terminé l’année de façon magistrale ! Je vous remercie encore de votre contribution.Le premier Afrocentrik de 2006 aura lieu en février - nous faisons relâche en janvier, pour la première fois. La soirée aura pour thème : Hommage aux lauréatEs du calendrier du Mois de l’Histoire des Noirs. Elle promet également d’être particulièrement réussie, parce que là encore nous aurons un événement en trois langues : français, anglais et créole. Nous avons déjà confirmé la présence de la troupe de danse Mapou Ginen, la plus ancienne troupe de danse folklorique haïtienne de Montréal.

Bernadette Charles, poétesse

N.R : Vous êtes de toutes les soirées culturelles haïtiennes et ethniques. Pourtant, paradoxalement, vous n’avez jamais été en Haïti. Parlez-nous de ce sens inné de vouloir conserver votre identité
culturelle ? D’autre part, vous sentez-vous davantage Haïtienne que Québécoise ou vice versa ?

MM : Je dois d’abord vous rappeler que j’ai vécu mes sept premières années en Haïti ! Un concours de circonstances m’a en effet propulsée à l’avant de la scène culturelle haïtiano-montréalaise depuis environ trois ans : Les Dimanches Afrocentrik, ma Chronique sur internet, ma chronique à CPAM, etc. Mes parents nous ont toujours incités à embrasser le fait haïtien en nous, et à connaître et à reconnaître nos origines, dans tous les domaines : histoire, littérature, théâtre, politique, etc. Je revendique le fait d’être haïtiano-québécoise. Pleinement. J’aime à dire que ma famille est un parfait modèle d’intégration. Il est certain que mon expérience québécoise est plus directe, je dirais de première main, alors que l’haïtienne est plutôt par personne interposée. Ce que je sais de la culture québécoise, je l’ai vécu directement. Les souvenirs que j’ai d’Haïti sont ceux de l’enfance. J’ai appris Haïti à travers les gens que je côtoie, les livres, films, etc. Et je porte ce pays en moi.

NR : Vous avez été sélectionnée parmi les lauréates du Calendrier du Mois de l’Histoire des Noirs à Montréal. Quel effet cela vous a-t-il fait ?

MM : Ce fut un honneur indescriptible pour moi déjà que ma candidature soit soumise. J’ai été d’autant plus touchée, que ce sont deux jeunes artistes de la communauté haïtienne - Myriam Joseph alias Dame de Pique et Jocelyn Bruno alias Dramatik (du groupe Muzion) - qui l’ont fait. Ils affirment que je suis pour eux et pour plusieurs jeunes de Montréal, un modèle, une inspiration, et surtout, une maman ! Se sont joints au leur plusieurs autres témoignages de personnes de toute nationalité et d’horizons divers, qui soulignent la qualité de mon travail. Ce que cela me dit, c’est que j’ai la responsabilité de continuer à donner le maximum et à être toujours à la hauteur des attentes qu’il semble que j’ai moi-même créées, à mon insu ! Ce fut également un grand honneur que ma candidature soit retenue par le jury et que des membres des communautés anglophones et francophones noires reconnaissent en moi un modèle pour la jeunesse. Grande responsabilité...

NR : Vous semblez vouloir être une ‘’rassembleuse’’ de personnes, d’artistes, de cultures différentes. Quel est votre souhait le plus cher dans ce sens ? àŠtre un lien entre les communautés visibles ? Pourquoi ?

MM : J’ai la chance, en effet, d’être ces temps-ci, une sorte de passerelle. C’est un privilège dont je souhaite être digne en tout temps. Cela me vient aussi, je dois le dire, assez naturellement. J’aime les gens. Si on veut parler de lien entre communautés, ce serait alors entre toutes les communautés de Montréal, visibles ou non. J’ai l’ambition de contribuer à faire reconnaître l’apport des différentes communautés migrantes à la richesse de la vie culturelle de Montréal et du Québec, et aussi à faire découvrir aux membres de ces communautés la richesse culturelle du peuple québécois. Je crois profondément que le travail doit se faire dans les deux sens.

NR : Vous avez un penchant marqué pour la poésie qui pourtant ne se vend pas en Haïti. Qu’est-ce qui a déclenché cet amour et quels sont les poètes haïtiens qui vous ont le plus marquée ?

Le poète et écrivain Patrick Sylvain

MM : Mon père , encore et toujours lui ! Comme je vous le disais, nous avons le bonheur d’avoir un père qui aime et connaît la poésie et qui plus est, sait dire. C’est donc un bonheur, encore maintenant de l’entendre réciter. Quatre poèmes Haïtiens m’ont profondément marquée : Face à la nuit et Au rendez-vous de la vie, de René Dépestre, et Nedjé de Roussan Camille, que nous récitaient mon père, et Altitude de Regnor Bernard, qui était mon poème fétiche dans les spectacles de Samba. Ces textes demeurent mythiques pour moi, parce qu’ils ont bercé mon enfance et mon adolescence. Depuis, j’ai bien sûr découvert et appris à apprécier beaucoup d’autres poètes et poèmes. Je pense à Frankétienne, à Syto Cavé, à Marie-Thérèse Colimon, pour ne citer que ceux-là . Et j’ai eu le bonheur de découvrir plus récemment les textes savoureux de Patrick Sylvain. De plus, à Montréal, nous avons la chance inouïe d’avoir plusieurs poètes de grande qualité qui produisent. Je pense entre autres aux Arol Pinder, Franz Benjamin, Fayolle Jean, Marie-Célie Agnant, Géraldine Piquion, Rodney Saint-Eloi, Gary Klang et tant d’autres.

NRoc : Vous connaissez très bien la communauté artistique haïtienne à Montréal. Selon vous, quels sont ses atouts et quelles sont ses faiblesses ?

MM : C’est beaucoup dire que je connais bien la communauté, parce qu’elle n’est pas du tout homogène. Cependant, je crois savoir que les atouts sont multiples et, malheureusement, les faiblesses sont presque aussi nombreuses ! Il me semble que la plus grande faiblesse demeure le manque de solidarité, la méfiance viscérale, qui semble nous poursuivre où que nous allions. Pour ce qui est des atouts : la créativité, l’audace, la ténacité, la foi en un avenir meilleur.

Luck Mervill et son frère Pierre à la soirée Afrocentrik

NR : La vitalité grandissante de la culture haïtienne à Montréal vient aussi du fait que le pays perd de plus en plus ses fils et ses filles. Comment vivez-vous cette réalité ? Par ailleurs, comment expliquez-vous que cette culture reste, quelque part, cloisonnée entre Haïtiens et ne soit toujours pas reconnue à part entière au Québec comme l’a souligné Luck Mervil lors de la dernière soirée d’’Afrocentrik ?

MM : Le point que vous soulevez est ce qui donne un goût amer à notre bonheur de voir la culture haïtienne de Montréal si dynamique. Surtout parce que ce saignement du pays dure depuis des décennies. Pour ce qui est d’être encore cloisonnée, je crois d’une part qu’elle l’est de moins en moins, et qu’il nous incombe de nous ouvrir à l’autre et de lui faire découvrir la qualité de ce que nous avons à offrir.

NRoc : Lors de vos soirées, vous encensez toujours Haïti alors que le pays est plongé dans des profondeurs abyssales. Que pensez-vous de l’Haïti d’aujourd’hui et pensez-vous que le pays pourra se sortir de sa crise perpétuelle ?

Le peintre Anthony Benoît et la chanteuse Sara Rénélik parmi le public

MM : L’Haïti que j’encense, comme vous dites, n’est pas une Haïti mythique. Je ne suis pas totalement déconnectée des réalités du pays. Je suis parfaitement consciente - même s’il est vrai qu’il m’est peut-être difficile de comprendre l’étendue du désastre - de la tragédie que vit le pays. L’Haïti d’aujourd’hui demeure pour moi un pays riche d’hommes, de femmes et d’enfants qui, pour citer Marmoud Darwich en parlant de la Palestine : « souffrent d"un mal incurable, l’espoir ». C’est cet espoir que je porte en moi. L’espoir qu’Haïti saura renaître de ses cendres. Idéalisme, me direz-vous. Peut-être même aveuglément ou pire encore, ignorance complète de la réalité. Je n’en crois rien. Un pays qui produit autant de créatrices et de créateurs dans tous les domaines, ne peut mourir !

NRoc : Je vous remercie.