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Plongée de la gourde : résultat de la mauvaise gestion et de la crise politique

P-au-P., 13 fev. 03 [AlterPresse] --- Dans sa descente aux enfers, la monnaie haïtienne a battu tous les records cette semaine. Ce 12 janvier, il vous fallait 1040 gourdes pour 20 dollars américains. Au delà de 20 dollars, le billet vert se vendait jusqu’à 56 gourdes dans les banques.

Le plus dûr dans tout cela, c’est que rien n’indique, selon les économistes, que la plongée de la gourde va s’arrêter. Bien au contraire.

La flambée de ces derniers jours s’expliquerait par le fait que tout le monde court vers le dollar. Des particuliers, de gros importateurs, de pétrole entre autres, et même l’Etat haïtien. La Banque Nationale de Crédit (BNC) serait à la recherche de plusieurs millions de dollars pour des raisons diverses. C’est une véritable panique.

Selon plusieurs économistes, la nervosité actuelle du marché des devises est imputable à la mauvaise gestion. « On fait une gestion politique de la crise économique. Il n’y a aucune approche technique », a commenté l’un d’entre eux.

Les économistes évoquent le manque d’autonomie de la Banque Centrale qui la porte à actionner la planche à billets à la moindre sollicitation de l’Exécutif. N’étant pas garanties par les recettes fiscales, ces sorties de fonds contribuent à aggraver le déficit budgétaire.

A preuve, en quatre mois seulement, soit depuis le début de l’exercice en cours, le déficit budjétaire se chiffrerait à plus de deux milliards de gourdes, un record sans précédent qui pèse très lourdement sur la gourde. Et selon certains économistes, le déficit pourrait être encore plus important, l’opacité du régime lavalas ne permettant aucune estimation précise.

Récemment, lors d’une conférence de presse, le syndicat des employés de la compagnie nationale d’électricité (ED’H) a imputé le rationnement sévère de l’électricité à Port-au-Prince à la mauvaise gestion. Selon le syndicat, l’ED’H aurait conclu un accord avec un groupe proche du pouvoir en place, la SOGED, pour la fourniture du courant au Cap-Haïten, deuxième ville du pays, pour un montant de 16 millions de gourdes, alors que l’Etat haïtien ne tirerait que trois millions de gourdes de la vente de l’énergie électrique dans la métropole du nord.

Quelle est la logique financière d’une telle transaction qui met la compagnie dans l’impossibilité d’acheter du carburant nécessaire au fonctionnement des centrales thermiques en vue de desservir la région métropolitaine de Port-au-Prince, se sont demandés les syndicalistes. Le syndicat n’a toutefois pas apporté des précisions concernant par exemple la durée du contrat. Malgré que cette conférence ait été largement couverte par les médias, le gouvernement et la compagnie privée citée sont restés motus et bouche cousue.

Par ailleurs, on devrait s’attendre à la poursuite des anticipations négatives des agents économiques au regard de la situation internationale.
Le prix de l’essence à la pompe a grimpé de 10 % la semaine dernière aux Etats-Unis, en s’écoulant à 1,60 dollar le gallon. Une hausse historique provoquée par les craintes des compagnies pétrolières face au déploiement militaire massif aux frontières de l’Irak et dans la perspective d’un conflit armé potentiel qui risque d’affecter la production dans le golfe.

Ce tableau suffit à donner des sueurs froides aux consommateurs haïtiens déjà durement éprouvés par la hausse spectaculaire des prix du carburant à la pompe en Haïti le premier janvier 2003.

Face à la tension des changes, les autorités financières et monétaires se sont entretenues le 12 février avec les responsables des banques. Elles ont à l’occasion annonncé certaines mesures comme l’augmentation du taux des bons de la banque centrale qui passerait de 15 % à 22 % d’intérêt. Cette disposition devrait décourager l’achat de dollars, les bons de la banque centrale étant censés rémunérer les excédents en gourdes des banques.

Mais plusieurs économistes doutent que ces dispositions parviendront à calmer véritablement le marché et contribuer à la réduction du déficit budgétaire. Selon eux, la résolution de la crise financière et monétaire passe par le dénoument de la crise politique née des élections contestées du 21 mai 2000.

En raison de la persistence de la crise politique, Haïti est privée de 500 millions de dollars d’aide de la part d’institutions financières internationales comme la banque interaméricaine de développement (BID) et d’environ 70 millions d’euros, soit autant de dollars, de la part de l’ union européenne (UE).

Les conditions de vie de la population se sont considérablement dégradées depuis la hausse spectaculaire des prix du carburant en haïti. Cette augmentation a eu des effets multiplicateurs sur le coût de la vie (tarifs des transports populaires en hausse, flambée des prix des produits de première nécessité). La plongée actuelle de la gourde face au dollar aggrave la flambée des prix.

A la faveur du 7 février 2003, le président Jean Bertrand Bertrand Aristide a, lors d’une visite au Parc Industriel (site abritant les usines d’assemblages), annoncé officiellement le relèvement du salaire minimum des ouvriers à 70 gourdes par jour contre auparavant 36 gourdes. Cette augmentation n’est pas encore effective. L’objectif de cette décision serait de permettre à cette catégorie vulnérable de la population d’affonter le coût de la vie.

Mais, plusieurs voix n’ont pas tardé à s’élever au niveau du secteur syndical pour faire savoir que toute augmentation sera dérisoire tant que la spirale inflationiste persistera. Les syndicats font remarquer que les 70 gourdes mis sur la table par le chef de l’Etat, à grand renfort de publicité, ne représentent pas plus que 1,36 dollar américain, soit à peine 68 % du salaire de 1995, 36 gourdes, équivalant à l’époque à deux dollars américains.

Au regard du désarroi de la majorité de la population, Haïti présente l’allure d’un pays sous perfusion. Le sérum est administré par la diapora haïtienne dont les envois annuels sont estimé à 800 millions de dollars.

Alors que la déconvenue est patente, le régime lavalas assimile toutes velleittés de contestation sociale à des manœuvres de destabilisation. Le 11 février, le chef du service de la circulation et de la police routière, Evans Sainturné, a qualifié de « destabilisateurs » un groupe de conducteurs de poids lourds qui protestait entre autres devant le palais national contre la hausse des prix du carburant et la chèreté de la vie. Ils ont été pris à parti, sous les regards passifs de la police, par des partisans du pouvoir. Trois de ces conducteurs ont été appréhendés par la police. [vs apr 13/02/03 15 :00]