Traitement d’un débat
P-au-P., 16 déc. 05 [AlterPresse] --- Bravant les peurs que pourrait susciter une journée mouvementée, au lendemain de la visite perturbée du président dominicain Leonel Fernandez, une assistance sélecte composée d’intellectuels de divers champs de compétence a pris place au local du CRESFED, secteur Est de Port-au-Prince, dans la soirée du 13 décembre.
Une occasion pour faire un inventaire des maux d’Haïti, d’esquisser une vision et des pistes de solution. Le décor est bien planté. Car le conférencier n’est autre que le journaliste et directeur de Radio Ibo, Hérold Jean François, auteur de deux ouvrages parus récemment et intitulés respectivement « Pacte de la Renaissance » et « Manifeste de la Renaissance ».
L’auteur présente ces deux livres comme des utopies, à l’instar de celle formulée en son temps par Jules Verne à propos du tour du monde.
« Le Pacte de la Renaissance offre un profil de notre société à travers ses différents groupes qui prennent des engagements, en fonction des lacunes, des reproches et critiques les plus courants ».
Hérold Jean François croit bon de signaler qu’il ne s’agit pas de diaboliser telle catégorie de gens qui serait responsable de l’échec de la gestion des 200 ans d’indépendance.
« Le Pacte de la Renaissance » se veut de préférence, a-t-il souligné, une critique de ce que chaque groupe n’a pas encore fait aujourd’hui et une invitation à adhérer à de nouveaux engagements, à adopter de nouveaux comportements en vue de poser les jalons d’une nouvelle société, d’un pays fonctionnel et agréable pour toutes et pour tous.
Cet engagement collectif des citoyens pourrait être assorti, aux yeux du confrère, d’un mécanisme interne de résolution de conflits baptisé Conseil national de médiation. « Une telle structure nous éviterait de recourir constamment à l’étranger pour régler nos affaires », renchérit- il.
Hérold Jean François relève des similarités entre le Pacte de la renaissance et le Contrat social, document élaboré par le Groupe des 184, une plateforme d’organisations et d’institutions de la société civile haïtienne. « C’est la même idée, la même démarche d’engagement à partir d’une préoccupation citoyenne », martèle-t-il.
Quant au second ouvrage, « Le Manifeste de la Renaissance », il campe le pays rêvé et souhaité par l’auteur à partir de quatre grands axes prioritaires : l’éducation, la production globale, les infrastructures et le tourisme.
L’exposé de l’auteur a été suivi d’un débat des plus enrichissants au sein de l’assistance autour des deux ouvrages et de divers aspects de la réalité haïtienne, immédiate et lointaine.
L’économiste Fritz Déshommes trouve le titre « manifeste de la renaissance » très accrocheur. Il n’a pu toutefois s’empêcher de se demander si cette renaissance partait d’un nouveau paradigme, d’une nouvelle lecture de la réalité.
Déshommes a rebondi sur la question de la responsabilité collective dans l’échec de la gestion de l’héritage de l’indépendance. « Certains sont plus responsables que d’autres. Celui qui fait du déboisement pour la survie et celui qui le fait pour amasser une fortune » ne sont pas logés à la même enseigne, a-t-il poursuivi.
La sociologue Danièle Magloire a choisi dans un premier temps de porter le débat sur l’appellation choisie par le journaliste Hérold Jean François pour son livre. Tout en disant comprendre le contenu et l’esprit que l’auteur donne au concept Renaissance, elle penche beaucoup plus - dans un pays comme Haïti - pour la notion de refondation sociopolitique.
Dans des dynamiques de refondation, la militante féministe pense qu’il faut repenser la question de la mobilité et la mixité sociale, entre les sexes et les catégories sociales.
A propos de l’éducation qui constitue l’un des axes prioritaires du manifeste de la renaissance, Danièle Magloire rappelle qu’elle ne doit pas être seulement formelle et académique, mais elle doit être également vue en tant qu’éducation à la citoyenneté. Magloire a en passant opiné sur l’obscurantisme qui est, à son avis, une pratique de gens lettrés en Haïti.
Et vient alors l’étiquette « Etat en faillite » accolée de plus en plus ces jours-ci à Haïti, notamment par des étrangers. « L’Etat haïtien n’est pas en état d’effondrement. Nous sommes plutôt parvenus à la conscience du processus de désintégration », relève le docteur Claude Jean François.
Pour étayer son affirmation, l’ancien directeur de la Croix rouge haïtienne rappelle que, pendant toute la période 1986-1990, un grand moment de re-bouillonnement, on ne parlait pas de refondation (de l’Etat), mais de préférence d’un Etat au service de la population.
Ce n’est que, avec le temps, indique Claude Jean François, suite à des départs ratés, des rendez-vous manqués, des pressions émanant de différents secteurs et un jaugeage des capacités de réponses, on est parvenu à souhaiter une refondation. La directrice du CRESFED, l’historienne Suzy Castor, qui faisait office de modératrice, a fait remonter à 1957 (la montée de François Duvalier) l’accélération du processus d’effondrement du pays.
Le vice-recteur (de l’Université d’Etat d’Haïti) aux affaires académiques a souligné la nécessité pour Haïti de bien s’y prendre pour ne pas se faire broyer, dans le cadre de la mondialisation.
Wilson Lalau croit important que le pays se mettre au pas avec la société du savoir, rompe avec le cycle d’une éducation à plusieurs vitesses et favorise l’intégration (par les citoyens) des valeurs de l’éducation afin de faciliter le dialogue social. [vs apr 16/12/05 9:30]