Communiqué de la Commission Citoyenne pour l’Application de la Justice (CCAJ) [1]
Soumis à AlterPresse le 12 décembre 2005
Depuis combien de temps des dossiers qui attendent une enquête, une décision, une signature sont-ils retenus empilés dans les tribunaux civils du pays ? Depuis combien de temps des dizaines de dossiers détenus par des juges d’instruction dorment-ils dans la poussière ? Depuis combien d’années les morts assassinés attendent-ils l’ordonnance d’un juge d’instruction ? .
La Commission Citoyenne pour l’Application de la Justice (CCAJ), organisée dès le 3 mars 2004 par un groupe de 9 personnalités de la société civile s’appuyant sur l’expertise d’un comité de 11 juristes, n’a cessé de souligner, pendant les 20 mois de son existence, la nécessité, pour une refondation de la démocratie dans notre pays, de débloquer le système de justice, sur les ruines laissées par trois dictatures qui ont saigné le pays et la nation pendant 48 années.
La Commission Citoyenne pour l’Application de la Justice n’a cessé de faire valoir la nécessité, pour restaurer l’Etat de Droit, de faire effectivement fonctionner la justice, comme un acte initial et refondateur. IL S’AGIT D’UN PRINCIPE INSTITUTIONNEL : SANS JUSTICE, L’ETAT N’EXISTE PAS. C’est dans chaque acte de justice, dans le débat public et contradictoire, dans le verdict, dans la sanction, que la société se retrouve et se redéfinit. C’est alors que l’Etat s’affirme et trace, aux yeux de tous et dans l’âme de chacun, la ligne qui sépare le permis et l’interdit, le légal et l’illégal.
Il est vital, que l’Etat haïtien, publiquement, officiellement, sanctionne les deux principes de base du contrat qui doit maintenir ensemble les citoyens de ce pays, s’ils veulent encore vivre ensemble :
Tu ne tueras point. Tu ne voleras point
Pa touye. Pa vòlè
L’Etat doit parler. La République doit s’affirmer. A travers les actes officiels de justice s’opère la rupture avec les discours type « Himalaya de cadavres », avec la théorie démagogique de « tolérance-zéro », avec les slogans trop souvent répétés selon lesquels « Voler l’Etat n’est pas voler ».
Sur les 3,664 personnes incarcérées dans les prisons du pays, seulement 413 ont été jugées. Si la durée de la prison préventive est tellement longue, on peut invoquer le manque de moyens et c’est vrai. Mais on peut y voir aussi une hésitation de la justice à s’affirmer. On peut y déceler l’emprise de la corruption. On peut y découvrir le triomphe insolent de l’impunité dans une société, qui même au cœur des institutions judiciaires a peur de reconnaître, de distinguer le bien du mal et de sanctionner les abus, les forfaits et les escroqueries de 48 années de délinquance de nos administrations, de nos dictateurs ou apprentis dictateurs.
Les juristes de la CCAJ ont, à diverses reprises, communiqué aux autorités responsables (deux Ministres de la Justice, Conseil des Sages, Secrétaire d’Etat à la Sécurité, deux Chefs de la Police Nationale, Responsables de la MINUSTAH), des propositions pragmatiques concernant ce blocage de la justice au niveau des parquets et la nécessite d’y répondre par une mobilisation des acteurs et une organisation rationnelle des jugements...
Ils ont étudié et soumis des dossiers concernant des cas qui devraient passer en jugement de manière prioritaire comme celui de Brignol Lindor et celui de Jean-Dominique et Jean-Claude Louissaint et d’autres encore. Plus récemment, les juristes de la CCAJ ont démontré que ce serait un contresens d’attendre un quelconque avis de la Cour des Comptes concernant les conclusions des deux rapports de l’UCREF et de la CEA. La CCAJ avait demandé et obtenu la promesse du Ministre de la Justice que des mesures conservatoires et des mises en examen seraient rapidement effectuées.
Le pays attend encore des actes décisifs. Jusqu’à quand ?
Pour donner le change, le Ministère de la Justice s’est lancé dans la production de projets de décrets qui prétendent reformer le système de justice, dont le Forum Citoyen pour la Réforme de la Justice vient, d’ailleurs, de dénoncer et la méthode employée et le fond de cette tentative de « réforme ».
Mais pendant qu’un gouvernement en fin de transition s’intéresse au long terme, les délinquants sont dans la rue. Les armes sont entre les mains de groupes de civils. Certains supposés délinquants identifiés par les rapports de l’UCREF et de la CEA, continuent à opérer et même utilisent, dans leurs activités politiques, les fonds de l’Etat qu’ils avaient détournés.
C’est pourquoi, la Commission Citoyenne pour l’Application de la Justice (CCAJ) demande :
que les Autorités responsables, Président de la République, Premier Ministre, Ministre de la Justice, affectent au fonctionnement de la justice les ressources qui sont nécessaires. Il n’est que de regarder les bureaux des Parquets pour se rendre compte de la quasi-impossibilité d’y travailler ;
que la Police Judiciaire, surtout dans des domaines spécialisés, ait les ressources indispensables pour mener les enquêtes ;
que les juges d’instruction, en serviteurs scrupuleux de la République et de la loi, fassent leur travail dans le délai imparti par la loi ;
que les citoyens soient informés de l’action de la justice et que cesse le mépris du temps et des délais qui caractérise notre système de justice. Justice lente, déni de justice !
Si pa gen jistis, pa gen peyi !
Port-au-Prince, le 5 décembre 2005
[1] Le Comité de la CCAJ : Jean-Claude Bajeux, Coordonnateur, Yanick Lahens, Responsable Projet Nouveau Contrat Social, Tony Cantave,.GRIEAL, Arnold Antonin, cinéaste, Centre Pétion-Bolivar, Laennec Hurbon, sociologue, Marilyn Allien, Fondation Héritage Haiti, sect. Haitienne Transparency Intern., Emmanuel Buteau, Educateur